Au Concours de Genève, la victoire de Kevin Chen

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Pour sa 76e édition, le Concours de Genève (International Music Competition) avait décidé de mettre à l’honneur le piano et la composition. Au Victoria Hall, le 3 novembre, a eu lieu le concert final réunissant quatre des pianistes sélectionnés (sur 182 participants) avec l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par la  cheffe polonaise Marzena Diakun. Chacun des candidats doit choisir un concerto romantique ou moderne, ce qui explique que deux d’entre eux ont opté pour le Troisième Concerto de Prokofiev.

Le programme débute par le Premier Concerto en mi bémol majeur de Franz Liszt dont l’orchestre affiche la rutilance, ce qui pousse Zijian Wei, artiste chinois de vingt-quatre ans, à enchaîner à tempo rapide des octaves aussi raides que bruyantes qui, par volonté de contraste, se diluent dans un cantabile alangui. Le Quasi Adagio exhibe une sonorité plus concentrée, fluidifiée par le trille qui crépitera ensuite dans un Scherzo où le trait est élaboré avec minutie. Mais le Final tourne à la course poursuite et s’achève par un Più mosso effréné, presque insensé.

Paraît ensuite une Japonaise de vingt-huit ans, Kaoruko Igarashi, qui aborde le Troisième Concerto en ut majeur op.26 de Sergey Prokofiev avec une clarté de jeu qui inscrit chaque passaggio virtuose dans une ligne où les accords à la pointe sèche s’enchaînent avec arpèges et glissandi. Le Tema con variazioni tente d’infiltrer de rêveuses inflexions, perlant sous un canevas orchestral gros sel qui laisse la part belle aux vents ignorant les nuances. Par des sauts d’une extrême précision, le Final s’ouvre en éventail avant de faire chanter chaque motif et conclure par une stretta échevelée.

Dans le même ouvrage, Sergey Belyavsky, un Russe lui aussi âgé de vingt-huit ans, imposera, en fin de programme, une sonorité beaucoup plus ample cultivant la brillance par un martellato agressif qui rend tout fortissimo, anguleux. Le Tema con variazioni semble ici bien plus clinquant, en progressant avec une dynamique soutenue jusqu’à un Final extrêmement articulé qui frise l’emphase mais qui produit un grand effet sur le public, imaginant immédiatement que lui sera octroyé le premier prix.

Néanmoins, le jury en décidera autrement en l’attribuant (selon moi, à bon droit) à Kevin Chen, un Canadien de… dix-sept ans qui a déjà remporté le Premier Prix aux Concours Liszt de Budapest et Mozart de Lugano. Ici il s’attaque au Premier Concerto en mi mineur op.11 de Chopin. Répondant à un orchestre qui a bâclé les accords initiaux avant de se canaliser en modelant une introduction rassérénée, le jeune pianiste use magistralement du rubato pour assouplir les lignes, tout en égrenant l’abondante ornementation sans perdre de vue le cantabile. La totale indépendance des mains révèle une maîtrise technique qui ne contrecarre jamais l’expansion de l’émotion. Le Larghetto médian, délicatement pimenté par le trille, pèche par un coloris trop uniforme qui finira par se vivifier dans une cadenza aux inflexions étranges. Mais le Rondò final brillera d’une irrésistible exubérance emportant le discours dans une houle qui accumule les traits émoustillants.

Après plus d’une heure de délibérations, le Jury du 76e Concours de Genève attribuera le Premier Prix à Kevin Chen, le Deuxième à Sergey Belyavsky, le Troisième à Kaoruko Igarashi.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 3 novembre 2022

Crédits photographiques : Anne-Laure Lechat

 

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