Lucas et Arthur Jussen en récital
Les frères Lucas et Arthur Jussen avaient galvanisé le public monégasque lors de leur concert dans le cadre du Festival Mozart en 2023. Ils sont considérés à juste titre comme le meilleur duo de piano actuel et ils ont été choisis par l'Orchestre philharmonique de Monte Carlo comme artistes en résidence pour la saison 2024-2025.
C'est avec bonheur qu'on les retrouve à la Salle Garnier dans un choix de chefs d'œuvres du répertoire pour deux pianos et piano à quatre mains.
La Sonate pour deux pianos en ré majeur, K448/375a de Mozart est une de ses œuvres les plus optimistes et c'est un de leurs chevaux de bataille : de l’exubérance et de la joie à l’état pur. On est stupéfait par une telle clarté et une telle finesse, une telle puissance, une telle grâce et une telle délicatesse. Une coordination incroyable : deux pianos qui sonnent comme un seul. On arrive à peine à discerner les deux parties. Ils connaissent la partition au bout des doigts et il paraît qu'ils s'amusent parfois à tirer à pile ou face avant d'entrer en scène pour décider qui joue telle partie.
La Fantaisie en fa mineur pour piano à quatre mains op.103 D940 de Schubert est une pièce d'une beauté envoûtante. Il est impossible de se détacher de cette musique qui pénètre toute l'âme et enveloppe tout le corps, et s'écoute d'un seul souffle. On entend ici un pianiste avec vingt doigts. Parfaite synchronisation, les frères Jussen ressentent les émotions et la tension de manière synonyme. Ils confinent au sublime. Tout porte à la contemplation et à la sérénité. L'âme de Schubert plane au-dessus du piano.
Lucas et Arthur Jussen nous entraînent ensuite dans le tourbillon de La Valse de Ravel, déclinée dans la version pour deux pianos. Ils la jouent avec précision, dextérité et passion. C'est une explosion, frénétique et délirante.
Que dire de plus ? Au-delà de la performance époustouflante sur le plan technique, ils jouent tout sans partition, l'interprétation nous propose une palette de couleurs qui rivalise avec un orchestre symphonique d'une centaine de musiciens. Ainsi deux pianos nous transportent du basson au cor anglais, du registre de cors à la trompette piccolo aux tubas, de la petite cymbale aux timbales, du violon à la contrebasse. Quel enchantement !
Ils terminent après l'entracte par le Sacre du Printemps de Stravinsky dans la version pour deux pianos. Effrayant, terrifiant, plein d'embûches pour tout pianiste, presque rien de cette musique ne tient confortablement sous les doigts. Tout d'abord, un exploit de mémoire phénoménal, mais aussi une interprétation captivante. On est emporté dès la première note. La variété du toucher, l'énergie, la précision, la rythmique incisive, tout est réuni d'une manière très convaincante. Le public est transporté et après plusieurs rappels ils nous offrent une page de Bach.
Monte-Carlo, Salle Garnier, 15 septembre 2024
Carlo Schreiber
Crédits photographiques : Marco Borggreve