Affinités incertaines

par

Maurice Ravel (1875-1937), Henri Duparc (1848-1933). « Aimer et mourir ». Danses et mélodies. Magdalena KOZENA, mezzo-soprano. Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Robin TICCIATI, dir. 2018- 60:27- livret en anglais, français et allemand - textes en anglais et français- chanté en français-LINN CKD 610.

Après un enregistrement consacré à Fauré et Debussy (2017) qui n’avait pas vraiment convaincu (cf. Crescendo), Robin Ticciati, à la tête de l’orchestre berlinois, se tourne à nouveau vers la musique française avec un programme séduisant : Deuxième Suite de Daphnis et Chloé, Valses Nobles et Sentimentales de Ravel associées à quatre mélodies de Duparc -sur les huit orchestrées- et Aux étoiles, premier et seul mouvement d’un Poème nocturne (les deux mouvements suivants ayant été détruits par le compositeur comme beaucoup d’autres de ses œuvres). Le livret de présentation de Roger Nichols, traduit très approximativement en français, ne nous dit pas pourquoi le programme présenté ici n’a retenu que ces quatre mélodies ni pourquoi ce sont ces deux compositeurs qui ont été placés côte à côte sinon pour une raison de dates.

Au début de l’écoute, l’enregistrement se présente agréablement ; puis, très vite, les affinités entre compositeurs, formation et direction apparaissent de plus en plus incertaines. On sait que le jeune chef britannique a déjà eu l’occasion d’aborder l’univers de Berlioz dont il a gravé Romeo et Juliette et les Nuits d’été avec le Swedish Radio Symphony Orchestra et le Scottish Chamber Orchestra. Mais, en matière de musique française, il y a loin de Berlioz à Ravel… Ce dernier considérait d’ailleurs que si l’auteur de la Damnation était traversé d’éclairs de génie, il n’avait guère de « métier » comme orchestrateur, ses réussites surgissant essentiellement de coïncidences heureuses entre son instinct et l’écriture de telle ou telle page. C’est dire a contrario l’exigence de précision, d’exactitude de rythmes et de nuances que requièrent La Suite de Ballet N° 2 de Daphnis et, plus encore, les délicates Valses Nobles et Sentimentales. C’est dire aussi une conception de la musique qui laisse dans son sillage le romantisme allemand et français, celui de Berlioz en particulier qui, d’ailleurs, peut s’accommoder sans dommage d’une interprétation assez fantasque. La musique française à partir de 1900 fait appel à l’esprit d’analyse, au sens de la légèreté, de la litote, de l’élégance poétique tout autant qu’à l’extrême précision du geste jointe à la pulsion de la danse. Or, ici, dès les premières minutes, on éprouve la sensation d’un orchestre enregistré dans les grands fonds marins. D’où des sonorités floues et des rythmes émoussés. La texture d’ensemble s’avère finalement très monochrome et sans véritable influx nerveux. L’intervention de la mezzo-soprano Magdalena Kozena, subtile musicienne, diffuse un charme fantomatique dans les quatre mélodies de Duparc en dépit d’une diction également très floue. On se tournera donc plus volontiers vers Dame Janet Baker qui en a donné une version inégalée et on se souviendra encore une fois de l’onctueuse, la « légatissime », l’extatique Phydilé de Marie Nicole Lemieux, lauréate canadienne du Prix Reine Elisabeth de Belgique en 2000. Quant au mouvement « orphelin » Aux étoiles, ne serait-ce que par sa rareté, il ne manquera pas d’intéresser les admirateurs du malchanceux Duparc.

Bénédicte Palaux Simonnet

Son : 6 - Livret : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 6

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