Alexandre Tharaud revient à Schubert, son complice de toujours

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Franz Schubert (1797-1828) : 4 Impromptus, D. 899 ; Rosamonde, D. 797 (extraits transcrits par Alexandre Tharaud) ; 6 Moments musicaux, D. 780. Alexandre Tharaud, piano. 2021. 71’44. Livret en français, en anglais et en allemand. 1 CD Erato 0190296599217

Dans la discographie d’Alexandre Tharaud, Schubert est en bonne place. Non pas tant par le nombre (c’est le quatrième album qui lui est consacré, sur une quarantaine), mais plutôt par sa constance, et surtout par l’évidente affection pour le compositeur que l’interprète nous fait ressentir.

En 1997, pour Arion, il enregistrait les 6 Moments musicaux D. 780 (déjà), la Sonate D. 664 et les 16 Danses allemandes et 2 Écossaises D. 783, avec un remarquable mélange de fougue et de sobriété. Puis il y eut, en 2001 et 2006, deux albums pour Harmonia Mundi où il n’était plus seul : à quatre mains avec Zhu Xiao-Mei (Divertissement à la hongroise D. 818, Variations sur un thème original D. 813 et Fantaisie D. 940), tout en sensibilité, mais volontiers musclé ; et à l’unisson d’un Jean-Guihen Queyras en état de grâce, de grande classe (Sonate pour arpeggione, Sonate pour violon D 384, transcription de 5 Lieder, ainsi que des pièces de Webern et de Berg).

Pour être complet, on pourrait ajouter la bande originale d’Amour, ce film tout autant bouleversant qu’éprouvant de Michael Haneke (Palme d’or Cannes 2012), dans lequel il a du reste un petit rôle, de pianiste... mais qu’on ne voit pas jouer du piano ! Dans le CD (Erato), outre des œuvres de Bach et de Beethoven, il joue 2 des 4 Impromptus (les Nᵒˢ̊ 1 et 3) qu’il reprend dans nouvel album, lequel commence précisément par ces ultimes chefs-d’œuvre.

Le choix de ces Impromptus D. 899, les pièces plus profondes de l’album, pouvait du reste surprendre, a priori, pour l’ouvrir (même si le tout premier accord, qui sonne comme un glas, impressionne d’entrée). Il est difficile d’avoir quelque chose à dire à leur suite... Mais Alexandre Tharaud en donne une lecture relativement sereine, sans en gommer la fébrilité mais sans en accentuer le caractère inexorable. Ce sera affaire de sensibilité, d’être bouleversé par cette approche plutôt pudique, ou de se sentir frustré du manque de gravité. Quoi qu’il en soit, cela permet que l’on n’en sorte pas avec le sentiment que « tout est accompli ». Il peut y avoir une suite.

Pour autant, la légèreté de ce qui suit peut surprendre. En effet, entre deux cycles voulus tels par le compositeur, Alexandre Tharaud a choisi de recréer « une sonate imaginaire ou quatre impromptus inédits » en transcrivant des extraits de la musique de scène de Rosamonde. Si la qualité des transcriptions (bien plus proche de l’original que ce qu’en a fait Leopold Godowsky) et de l’interprétation est indéniable, et si l’on peut comprendre que le pianiste ait voulu s’approprier ces pièces irrésistibles, il faut plusieurs écoutes pour oublier le son de l’orchestre. Mais cela en vaut la peine. 

Certes, Alexandre Tharaud avait d’autres alternatives, car il ne manque pas de petites pièces « populaires » pour piano dans le catalogue de Schubert. Mais il a fait ce choix très personnel, et il y a mis toute sa sincérité et son humilité. Ce travail rappelle son livre Montrez-moi vos mains (2017), dans lequel il montrait les mêmes qualités, y dévoilant une certaine intimité, sans impudeur. 

À noter que si les trois premiers extraits sont parmi les plus célèbres, ce n’est pas le cas du dernier, tiré de l’Entracte N° 1, dont le début rappelle irrésistiblement le Tremblement de terre final des Sept dernières paroles du Christ de Haydn. 

Alexandre Tharaud termine (ce qui permet de se retirer dans le silence) ce CD avec les Moments musicaux D. 780, qui avaient donc ouvert son premier album consacré à Schubert, il y a près d’un quart de siècle. Si sa conception n’a pas radicalement changé, les nuances sont plus accentuées, avec en particulier des piano et pianissimo plus doux. Et puis, la simplicité de 1997 est moindre : il y a davantage d’intentions musicales (des ralentis notamment) en 2021. Une lecture sans doute pas plus sophistiquée, mais plus ostensiblement émue, en quelque sorte. Cette fois, certains épouseront cette conception avec ravissement, tandis que d’autres auraient préféré plus de sobriété. 

Avec ce nouvel album qu’il lui consacre, Alexandre Tharaud confirme ses affinités avec Schubert, qu’il joue avec une sensibilité raffinée, sans fausse pudeur. Il en donne une image plutôt aimable, que vient tout de même bousculer les contrastes dynamiques, grâce auxquels ce Schubert prend corps.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8 

Pierre Carrive

 

 

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