Pécou, Lazkano, Nante : trois concertos inédits dédiés à Alexandre Tharaud 

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Thierry Pécou (°1965) : Cara Bali Concerto, pour piano et orchestre. Ramon Lazkano (°1968) : Mare Marginis (nouvelle lune), concerto pour piano et orchestre. Alex Nante (°1992) : Concerto pour piano et orchestre « Luz de lejos ». Alexandre Tharaud, piano ; Orchestre National de Lyon, direction Jonathan Stockhammer ; WDR Sinfonieorchester, direction Sylvain Cambreling ; Orchestre national de Lille, direction Emilia Hoving. 2022/23/24. Notice en français, en anglais et en allemand. 78’ 14’’. Erato 5021732491855. 

La très éclectique discographie d’Alexandre Tharaud (°1968) s’étend de Bach à Kagel, avec une affection particulière pour le répertoire français du début du XXe siècle. Mais le Parisien n’hésite pas à mettre en évidence des œuvres de notre temps. Il y a cinq ans, déjà pour Erato, il gravait en première mondiale les concertos pour piano, qui lui étaient dédiés, de Hans Abrahamsen, Gérard Pesson et Oscar Strasnoy, un album dont Olivier Vrins s’était fait l’écho le 18 avril 2020. Cette fois, il remet le couvert avec des concertos de trois autres compositeurs qui lui sont proches. Deux d’entre eux, Pécou et Lakzano, sont de la même génération que lui, le troisième, Nante, est né au début de la décennie 1990. Il s’agit de premiers enregistrements discographiques, effectués avec trois orchestres et trois chefs différents, deux concertos ayant été gravés en live (Nante en 2022 à Lille, Lazkano en 2023 à Cologne), et celui de Pécou, à l’Auditorium de Lyon, en 2024. L’album est passionnant, notices y compris, chaque créateur ayant écrit un texte de présentation qui situe son œuvre.

Même si Thierry Pécou est un grand voyageur, son Cara Bali Concerto (2020) n’est pas directement lié au souvenir de l’un d’eux, car le natif de Boulogne-Billancourt ne s’est pas encore rendu dans l’île indonésienne. Dans sa présentation, Pécou estime que l’on peut comparer la fascination de compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle pour Bali à celle du siècle précédent pour le voyage à Bayreuth. En deux mouvements, dont la durée totale dépasse la demi-heure, le compositeur nourrit son inspiration du gamelan, comme source poétique et formelle, précise-t-il. Dans cette partition brillante, le Vivace initial expose rythmes, parfois déchaînés, dans une atmosphère qui relève à la fois du mystère exotique et des complexités procurées par les effets percussifs qui évoquent ceux du gamelan. Cet « à la manière de Bali », que Pécou suggère comme traduction de son titre Cara Bali, offre au piano et à l’orchestre une franche palette de couleurs insolites et inattendues, que le second Vivace confirme, avec un édifice sonore nanti de clusters et de sons oppressés ou étouffés. Cette belle aventure, dont l’audition est fascinante et jouissive en même temps et qui s’achève en apogée, est servie avec panache par Alexandre Tharaud, familier de Pécou dont il a déjà créé deux autres concertos, et par l’Orchestre nationale de Lyon, dirigé par l’Américain Jonathan Stocaux effluves khammer (°1969°), qui a, de son côté, enregistré en 2010 Vague de pierre de Pécou pour Harmonia Mundi.

Avec Mare Marginis (nouvelle lune), page en un seul mouvement de près de 26 minutes, le compositeur basque franco-espagnol Ramon Lazkano, qui vit à Paris, a choisi la métaphore d’une mer sans eau qui est également le lieu de la limite qui démarque le visible de l’invisible de la lune. Il fait état de références nocturnes de sa jeunesse, comme Chopin, Bartók et Debussy. L’auditeur est entraîné dans un univers destiné, selon le vœu du compositeur, à explorer le clavier et à en exploiter la diversité : le piano, qui se dérobe autant qu’il se révèle caressant, secoué ou frappé autant que traversé par l’émotion, évolue au sein d’un univers aux effluves énigmatiques, dans une acoustique originale, qui crée l’étrangeté. Il y a bien des subtilités dans cette partition qui expérimente aussi les sonorités des percussions. Tharaud en souligne toute la singularité qu’il partage avec le WDR Sinfonieorchester, mené par Sylvain Cambreling, attentif aux détails.

L’univers d’Alex Nante, né à Buenos Aires, est onirique et vise à une dimension spirituelle. Son concerto « Luz de lejos » (2021) fait partie d’un cycle orchestral autour de la lumière. Les six mouvements enchaînés, de structure symétrique, baignent dans une atmosphère apaisée, qui joue d’effets contrastés entre le piano et l’orchestre, notamment lors de moments où l’instrument principal joue en duo avec le cor dans Anunciación, ou avec la harpe dans une fluide Canción de amor. Les allusions baroqueuses ou romantiques sont marquées par la clarté et la volonté de dialogue. Alex Nante confie qu’Alexandre Tharaud a participé au processus créatif de cette « lumière de loin ». Le résultat de la collaboration est une œuvre au toucher allusif et souple, pensive et épanouie par son côté limpide. Cette commande conjointe de l’Orchestre national de Lille et de l’Orchestre Beethoven de Bonn est servie par la première phalange nommée, placée sous la direction de la cheffe finlandaise Emilia Hoving (°1994), elle-même pianiste, dans la dimension émotionnelle et éthérée qu’elle réclame.

Ce très bel album est une vitrine attirante pour l’univers musical de notre temps ; il montre la diversité de l’acte créateur et la capacité des compositeurs à laisser leur imaginaire se développer. C’est fascinant et novateur, et à découvrir sans faute !

Son : 9   Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

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