Années 1990 : Roberto Abbado dynamisait les Danses hongroises de Brahms 

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Johannes Brahms (1833-1897) : 21 Danses hongroises, intégrale. Orchestre de la Radio de Munich, direction Roberto Abbado. 1996/97. Notice en allemand et en anglais. 51’ 20’’. BR Klassik 900360.

L’ensemble des Danses hongroises de Brahms, qui ne portent pas de numéro d’opus, le compositeur estimant qu’il ne s’agissait pas d’œuvres originales, a été édité en deux fois, la première en 1869 pour les n° 1 à 10, écrits au cours de la décennie précédente, la seconde en 1890, pour les onze autres. Destinées aux quatre mains, Brahms en transposa une dizaine pour deux mains et en orchestra trois, les n° 1, 3 et 10. Il s’agit de pages d’inspiration tzigane, plus précisément de csárdás, qui alternent tempos lents (« lassus ») en mode mineur, et vifs (« friskas ») en mode majeur. Dès la fin de son adolescence, Brahms s’était passionné pour ce type de musique venant d’Europe de l’Est. Il avait rencontré et accompagné le violoniste et compositeur Eduard Reményi (1828-1898) qui, au cours de sa carrière, fut violon solo de la reine Victoria, puis de l’empereur François-Joseph. Lorsque Brahms fit paraître ses danses, Reményi l’accusa de lui en avoir volé la substance, accusation plutôt injuste, car le fait d’être installé à Vienne offrait au natif de Hambourg la fréquente opportunité d’y entendre les tziganes.

Six compositeurs de nationalités différentes allaient se partager avec bonheur  l’orchestration des dix-huit danses dont Brahms ne s’était pas chargé :  les Allemands Albert Parlow (1824-1888) et Martin Schmeling (1864-1943), le Suédois Johann Andreas Hallén (1846-1925), le Suisse Paul Juon, né à Moscou, surnommé « le Brahms russe » (1872-1940), l’Autrichien Hans Gal (1890-1987), et Antonín Dvořák (1841-1904), l’ami fidèle pendant plus de vingt ans, qui peaufina les six dernières, et allait à son tour éditer, en 1880, des Danses slaves pour piano à quatre mains, qu’il orchestrera lui-même. En raison de l’engouement qu’elles ont toujours suscité, certaines Danses hongroises figurent souvent à l’affiche des concerts ; ce sont en effet des bis idéaux ou des ajouts de courte de durée qui réjouissent tout un chacun.

Le label BR Klassik propose une gravure de studio de l’intégrale restée dans les tiroirs depuis son enregistrement à Munich, en décembre 1996 (n° 1, 3, 5, 6, 10, 17-21), puis en avril 1997 (n° 2, 4, 7-9, 11, 12-16). À cette époque, Roberto Abbado est à la tête de l’Orchestre de la Radio de Munich depuis 1992, où il demeurera en poste jusqu’en 1998. Né à Milan en 1954, ce chef est le fils du pianiste et compositeur Marcello Abbado (1926-2020), qui sera directeur du Conservatoire Verdi de Milan de 1972 à 1996, où Roberto étudiera, et le neveu de Claudio Abbado 1933-2014), que l’on ne présente plus. C’est à Rome, à l’Académie nationale Sainte-Cécile que Roberto Abbado apprend la direction d’orchestre, avec Franco Ferrara (1911-1985), qui comptera aussi, parmi ses élèves, Claudio Scimone, Riccardo Muti et Riccardo Chailly. Il fera carrière en dirigeant maints opéras sur la plupart des scènes lyriques italiennes et internationales, dont témoignent des enregistrements de Bellini, Rossini, Puccini, ou Verdi. Il sera aussi chef principal de plusieurs orchestres, ses derniers postes se situant à Bologne et à Parme. Il sera, dès le 1er janvier 2026, à la tête de l’Orchestre symphonique national de Corée.

Cette gravure ressuscitée des Danses hongroises de Brahms est la bienvenue. En effet, si de multiples versions de danses isolées existent dans de magistrales lectures qu’on n’en finirait pas de répertorier, les intégrales ne sont pas des plus nombreuses. On retiendra celle de la Philharmonie de Györ menée par János Sándor (Hungaroton, 1982), et celle de l’Orchestre du Festival de Budapest, superbement dirigé par Iván Fischer (DG, 2016). Mais la palme revient à Claudio Abbado, l’oncle de Roberto, qui a laissé pour DG (1984), avec la Philharmonie de Vienne, une version vif-argent, en total état de grâce.

La concurrence est donc rude pour l’autre représentant de la famille, mais le pari est réussi. Avec l’Orchestre de la Radio de Munich qui se révèle d’une souplesse et d’une caractérisation adaptées, les danses déroulent leurs rythmes, leurs légèretés, leurs passions, leurs langueurs, leurs vivacités dans une atmosphère globale qui emporte l’adhésion. On sera séduit par les sonorités bondissantes, les climats joyeux, les pulsations relancées, comme par les couleurs ou les contrastes qui relancent sans cesse les ambiances populaires de ces deux dizaines de danses. L’oncle et le neveu peuvent figurer côte à côte dans une discothèque brahmsienne, même si la phalange de Claudio Abbado demeure prioritaire en raison des fabuleux pupitres viennois qui cisèlent chaque note.     

Son : 8,5    Notice : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 9

Jean Lacroix

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