Après Brahms et Mozart, Jonathan Fournel se tourne vers la Pologne

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Frédéric Chopin (1810-1849) : Sonate pour piano n° 3 en si mineur op. 58. Karol Szymanowski (1882-1937) : Variations pour piano en si bémol mineur op. 3 ; Variations sur un thème folklorique polonais op. 10. Jonathan Fournel, piano. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 60’ 51‘’. Alpha 1064.

Vainqueur du Concours Reine Elisabeth de 2021, placé sous le signe de la pandémie, le pianiste français Jonathan Fournel (°1993), originaire de Sarrebourg, dans l’est de la France, avait alors démontré ses affinités particulières avec Brahms en jouant en demi-finale les Variations et Fugue sur un thème de Haendel op. 24, avant un brillant Concerto n° 2 en finale. Entré dès 2009 au CNSM de Paris où il étudia avec Bruno Rigutto, Brigitte Engerer, Claire Désert et Michel Dalberto, Fournel a poursuivi sa formation, à partir de 2016, à la Chapelle musicale de Waterloo, avec Louis Lortie et Avo Kouyoumdjian. Dans la foulée de ce Premier Prix, il a gravé pour Alpha son premier disque, consacré lui aussi à Brahms. On y retrouvait l’opus 24, couplé à la Sonate n° 3. Nous avions souligné, le 23 novembre 2021, l’excellence du style, riche en nuances, ainsi que la plénitude, la capacité expressive, l’énergie et l’intensité émotionnelle que ces pages dévoilaient chez ce jeune interprète. Nous appelions aussi de nos vœux des gravures de Fournel dans d’autres répertoires. Ce fut chose faite, début 2024, pour le même label, avec les Concertos n° 18 et 21 de Mozart, l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg étant placé sous la direction de Howard Griffiths ; Fournel en soulignait toute la vivifiante élégance. 

Pour son troisième album chez Alpha, le pianiste propose un album où se côtoient Chopin et Szymanowski. Un judicieux programme polonais, qui rappelle que le second nommé, dans ses partitions de Variations, composées en pleine jeunesse, au tout début du XXe siècle, s’inscrit dans la descendance de Chopin, mais aussi du premier Scriabine, et sous influence brahmsienne et schumanienne. Dans l’opus 3, dédié à Arthur Rubinstein lorsqu’il est publié en 1910 (sauf erreur, le virtuose n’en a pas laissé de témoignage sur disque), douze variations s’enchaînent, en moins de douze minutes, Szymanowski manie l’art de la concision et de la liberté expressive, avec des suraigus et des graves, une certaine joie, et un rappel de la marche funèbre de Chopin. Le compositeur est en recherche d’un style propre, qu’il va développer au sein de l’opus 10 de manière plus large (une vingtaine de minutes), dans une polyphonie plus travaillée, qui fait défiler les variations d’un thème emprunté à un recueil de chants de la région de Zakopane, située au pied de la chaîne montagneuse des Tatras. La musique traditionnelle fait ainsi son entrée dans le catalogue de Szymanowski. L’écriture pianistique, qui n’est pas sans évoquer des atmosphères lisztiennes, s’exprime encore de façon académique (la dédicace est pour son professeur Zygmunt Noskowski), mais avec des humeurs variées : sombre, rêveuse, rythmée, funèbre, ou triomphale dans une conclusion en apogée. Jonathan Fournel sert ces deux séries de variations avec un vrai sens de l’équilibre instrumental, leur accordant cette part de jeunesse qui les caractérise, sans effets ni contrastes malvenus. Il met en évidence les influences, tout en animant le tout avec finesse et sûreté. 

Placée entre les deux opus szymanowskiens, la Sonate n° 3 de Chopin (1844) fait vibrer la lumière et la joie, tout à fait à l’opposé de la Sonate Funèbre. De style large et jaillissant, cette composition de Nohant, à la virtuosité maîtrisée, déploie un superbe chant d’une esthétique entre Beethoven et Bellini dans le vaste l’Allegro maestoso initial, avant un bref Scherzo « plus léger que l’air », selon la jolie formule de maints commentateurs. Le Largo se mue en caresses élégiaques qui s’épanouissent de façon rêveuse, en plein émerveillement, presque irréel. Chopin laisse la puissance et les scintillements se propager dans un final en forme de rondo, aux effets flamboyants. Jonathan Fournel est ici aussi à l’aise que dans Brahms ; il traduit tous les paysages intérieurs de Chopin avec un enthousiasme communicatif, un sens du partage, une flamme ardente et un engagement qui séduisent tout au long du parcours. Il sait aussi ne pas se laisser emporter par une fougue trop débridée et ne pas être débordé par une émotion excessive (le Largo est superbement énoncé), dans le respect de ce moment de bonheur que reflète l’écriture du compositeur. On aurait aimé que Fournel fasse l’un ou l’autre commentaire sur la manière dont il conçoit son approche de Chopin. Mais la notice n’en dit rien.

Ce troisième album confirme la maturité pianistique d’un artiste qui aura sans doute bien des richesses musicales à proposer dans le futur.   

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix    

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