Archives bruckneriennes de la Radio bavaroise : symphonies 4 et 7 par Haitink en concert

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Anton Bruckner (1824-1896), Symphonie n°7 en mi majeur WAB 107. Bernard Haitink, Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Novembre 1981. Livret en allemand, anglais. TT 63’46. BR Klassik 900218

Anton Bruckner (1824-1896), Symphonie n°4 en mi bémol majeur WAB 104 Bernard Haitink, Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Janvier 2012. Livret en allemand, anglais. TT 68’03. BR Klassik 900213

Une trentaine d’années séparent ces deux enregistrements munichois, qui complètent notre connaissance de l’art brucknérien de Bernard Haitink, ici aux commandes d’un orchestre somptueux et discipliné. Depuis sa gravure de novembre 1966 à Amsterdam (il en laissera une autre au Concertgebouw en octobre 1978, également pour Philips) jusqu’à son ultime concert de septembre 2019 à Lucerne avec le Wiener Philharmoniker, la Symphonie no 7 revint souvent dans ses concerts et sa discographie, utilisant chaque fois la mouture de 1885 (éd. Nowak, 1954). Peu de chefs peuvent revendiquer de l’avoir dirigée pendant plus d’un demi-siècle !

Quelles que soient les différences de détail entre les successifs enregistrements en condition live ou studio, le chef néerlandais s’est souvent distingué par son approche classique, épurée, asséchant le pathos et privilégiant la dignité du discours sur ses effusions. En cela plus proche d’un Karl Böhm et surtout d’un Günter Wand que d’un Carlo Maria Giulini ou un Herbert van Karajan. Quitte à resserrer le tempo, notamment dans son témoignage de 1966, dont l’Allegro moderato avait pu être critiqué pour son excessive cursivité. On retrouve les mêmes propensions cinétiques en novembre 1981, mais moins radicales. Sans traîner, le premier mouvement bénéficie d’un regard d’architecte qui tend les lignes de force et clarifie la structure, dans le sillage de son aîné et prédécesseur au Concertgebouw, Eduard van Beinum. Les cordes sud-allemandes ne cultivent peut-être pas la même distinction que leurs homologues bataves, mais ne leur cèdent rien en chaleur, ce qui intensifie la luisance de l’Adagio où les bois (clarinettes notamment) se parent de gouleyantes teintes Mitteleuropa. Même saveur danubienne pour les cors dans la péroraison à 11’47, ou la transition cuivrée vers ut majeur avant le climax de percussion de la mesure 177 (16’59).

Stimulée par une vaillante baguette, la chevauchée du Scherzo s’active sur un élan intrépide, non exempt d’instabilité qui en accuse l’urgence plutôt que la démonstration de puissance. Un abordage plutôt qu’un maelström, au risque d’évincer quelque peu la force brute des déflagrations. Là encore, les traits et couleurs incisifs des bois signent leur terroir, nous permettant d’apprécier comment la canalisation des énergies évite l’excès de masse et enjambe l’ornière d’un trépignement sur place. Haitink préserve une lucidité qui ne nous soumet pas à la vertigineuse course à l’abîme qu’avaient entrevue quelques antiques sorciers comme Oskar Fried, Oswald Kabasta, ou Hermann Abendroth. C’est encore une volontariste mobilité qui s’empare du Finale, où l’intégration des épisodes, parfois un peu décousue ou du moins trop séquentielle, n’atteint pas une cohérence organique. Elle convainc toutefois par son vibrant enthousiasme, ne faisant pas mystère d’un diligent héroïsme.

À l’instar de ses enregistrements Philips de mai 1965 à Amsterdam ou de février 1985 au Musikverein de Vienne, Haitink emploie la partition de 1880 (édition Robert Haas, 1936) pour la Symphonie no 4. Dans ce concert de janvier 2012, la physionomie sonore se fait plus épaisse, lestée par les cuivres, des basses pesantes, et une captation plus charnue qu’en 1981. La grandeur n’est pas sacrifiée mais cet opulent manteau contribue à obscurcir et rigidifier le paysage de légende du Bewegt, nicht zu schnell, où l’on doit avouer que l’octogénaire maestro a la main un peu lourde, appesantissant une imagerie médiéviste plus repue que fantasmée –jusqu’à une conclusion boursouflée. Le liminaire appel de cor aura préludé à des horizons plutôt bas de plafond, étendus sur un tempo qui se moyenne entre les deux versions précitées. En revanche, le train de l’Andante quasi Allegretto se déploie à une allure plus soutenue que dans ces enregistrements antérieurs, enserrant une déambulation aux accents inquiets et parfois plaintifs : une atmosphère un brin décadente, nourrie de Weltschmerz mahlérien, que la plénitude de la phalange munichoise rend d’autant poignante.

C’était là le mouvement le plus réussi car l’interprétation du Scherzo, davantage freinée qu’à Amsterdam ou Vienne, grevée par des fanfares malhabiles et prosaïques, singe davantage la rusticité de ces scènes de chasse qu’elle ne les enfièvre. Tandis que le Trio central (4’44) vire à la préciosité vétilleuse, et que les tentatives de relance cherchent leur chemin, comme égarées dans le décor. Ce tableau parmi les plus suggestifs du Maître de Saint Florian s’avère un écueil pour le chef comme en proie à une panne d’inspiration, malgré la conclusion ardente qu’il parvient à plaquer. Dans le Finale, on pourra succomber à la grasse rumeur des pupitres bavarois, ou convenir que le vétéran n’y parvient guère à contourner une emphase qu’il savait pourtant éviter dans ses meilleurs lustres. Le résultat sonne gros et appuyé, voire ampoulé, gonflant çà et là une voilure qui placarde des sommets expressifs sans grande nécessité intérieure. Le souffle épique fait défaut. Une vision aux conflits escamotés, culminant sur une coda étrangement résignée et quasi douloureuse.

Globalement, l’oreille pourra se satisfaire d’un riche matériau instrumental, intrinsèquement séducteur. Mais malgré une intelligente exploration de l’Andante, cette prestation résiliente et extatique, voire extérieure et empruntée regretteront les contempteurs, ne montre pas un maestro au faîte de son acuité. Ambition en berne ou sagesse de l’expérience qui nous expose un testament serein ? En tout cas, sa Romantique ne rivalise guère avec l’enregistrement de la Symphonie no 8 qui en 1993 constituait la cime du legs brucknérien d’Haitink dans sa collaboration munichoise.

Christophe Steyne

Symphonie 7 = Son : 8,5 – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8,5

Symphonie 4 = Son : 8,5 – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 6,5

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