Aux origines du concerto français pour violon

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Jacques Aubert (1689-1753) : Concertos en ré majeur, op. 26 n° 3 et en fa mineur, op. 26 n° 4. Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Concerto en mi bémol majeur. Jean-Baptiste Quentin (c. 1690-c.1742) : Concerto en la majeur, op. 12 n° 1. André-Joseph Exaudet (1710-1762) : Concerto en mi bémol majeur. Michel Corrette (1707-1795) : Concerto comique n° 25 « Les Sauvages et la Furstemberg ». Ensemble Diderot, violon solo et direction Johannes Pramsohler. 2020. Notice en anglais, en français, en allemand et en japonais. 70.13. Audax ADX 13782. 

Après des disques consacrés à des sonates en trio de Leclair et Mondonville, et d’autres portant des titres de villes européennes (les Albums Paris, London, Dresde et Berlin) avec d’autres sonates en trio de Clérambault, Couperin, Purcell, Blow, Haendel, Telemann, Graun, Benda et quelques autres, l’Ensemble Diderot propose, toujours chez Audax, un échantillon représentatif de quelques concertos français pour violon de la première moitié du XVIIIe siècle, dont deux en première discographique mondiale. C’est sous l’enseigne du célèbre écrivain, philosophe et encyclopédiste que l’Ensemble Diderot a été fondé dans la capitale française en 2009 par son violon solo Johannes Pramsohler, un parrainage justifié par l’intérêt permanent de Denis Diderot (1713-1784) pour la musique, notamment dans le domaine de l’acoustique, et dans ses Leçons pour clavecin parues en 1771.

Johannes Pramsohler (°1980) signe lui-même la notice de ce panorama qui nous emmène à l’époque où le concerto italien, de plus en plus vogue dans le reste de l’Europe, est cependant vu d’un œil circonspect à Paris où l’on se demande, entre autres réticences, si la mise en avant d’un soliste correspond bien à l’esprit et au goût français, dans une société qui se nourrissait encore de l’absolutisme qui accorde peu de place à l’individu. Mais en réalité, la cause première bien réelle du rejet initial du nouveau genre musical demeurait certainement le manque d’intérêt pour le violon. A cela s’ajoutait la difficulté technique, explique, détails à l’appui, Pramsohler, dont nous nous inspirons. Il précise qu’il a fallu la création des Concerts Spirituels en 1725 et leur développement pour que des pages comme Les Quatre Saisons soient programmées.

C’est à la fin des années 1730 qu’est publié un premier recueil de concertos composés par un Français ; on les doit à Jacques Aubert. Deux d’entre eux figurent à l’affiche ; destinés à quatre violons, violoncelle, contrebasse et clavecin, ils sont tirés du second recueil op. 26. Ce compositeur parisien fera partie, comme d’autres ici représentés, des Vingt-Quatre violons du Roi et se produira aux Concerts Spirituels qui donnent une impulsion et offrent au violon, dans un espace public plus large, l’opportunité de se faire apprécier. Ces deux concertos d’Aubert apparaissent encore bien sages, dans un style galant ; en trois, puis en quatre mouvements, ils déploient un agréable développement, marqué, en fin de partition, par des formes françaises, une Chaconne (n°3), et un Carillon (n°4). Dans la foulée d’Aubert (nous prenons les compositeurs par ordre chronologique), Jean-Baptiste Quentin, qui se distingue à l’Académie royale de musique, compose un volume de Sonates en trio et à quatre parties pour les flûtes et violons. Selon Pramsohler, l’œuvre tirée de l’opus 12 relève encore de la sonate d’église italienne, mais dont l’exposition de la voix supérieure et l’écriture des autres parties en font incontestablement un concerto pour violon, injouable pour les flûtes

Premier inédit du programme : le Concerto en mi bémol majeur de Jean-Marie Leclair, dont les œuvres séduisent les auditeurs du temps, y compris à la Cour. Cette page provient de deux sources, l’une berlinoise, l’autre émanant de Stockholm, et des idées d’autres concertos se retrouvent, dans une autre tonalité. Le charme agit, à notre avis, bien plus que chez Aubert et Quentin. Leclair, passé lui aussi par le Concert Spirituel, est considéré comme le fondateur de l’école française de violon ; il arrive à équilibrer les apports des styles italiens et locaux avec une virtuosité présente mais maîtrisée. 

Le Concerto à cinq instruments d’André-Joseph Exaudet est l’autre première discographique mondiale de l’album. Né à Rouen où il se fait connaître comme un brillant virtuose, Exaudet devient violoniste à l’Opéra de Paris, se produit au Concert Spirituel, puis parmi les Vingt-Quatre Violons du roi avant d’être engagé à la Cour de Condé. Il est l’auteur d’un célèbre menuet qui porte son nom et a servi de base à un grand nombre de chansons du temps. Cette page est riche d’un Andante initial chantant, suivi d’un Largo voué à deux violons qui accompagnent le soliste dans un climat émouvant. L’Allegro ma non presto bénéficie d’une cadence étonnante aux traits fortement hachés ; ces mesures complémentaires ont été récemment redécouvertes dans une bibliothèque de Dresde. Un défi pour le soliste qui se lance dans cet exercice de haut vol avec une audacieuse habileté. Le programme s’achève par le Concerto comique n° 25 de Corrette, farci de mélodies familières, une flûte venant s’ajouter aux cordes. 

L’Ensemble Diderot propose de ce panorama une vision équilibrée, les instrumentistes faisant preuve d’une sensible écoute mutuelle. Quant à Johannes Pramsohler, ses interventions solistes sont à la mesure de l’attente : sûres et marquées du sceau d’une virtuosité réfléchie. Pourtant, malgré ces qualités, on n’est pas transporté par ce programme qui, s’il s’écoute avec plaisir, engendre un climat que l’on n’osera pas taxer de monotonie, mais plutôt de manque de couleurs. Un univers en recherche de sa propre personnalité, ainsi apparaissent ces pages des origines du violon français, enregistrées en décembre 2020 dans le Gustav-Mahler-Hall de la cité italienne de Toblach. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 8,5

Jean Lacroix

 

 

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