La Flûte toujours enchantée ? Yannick Nézet-Séguin réinvente Mozart.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte. Klaus Florian Vogt, Tamino ; Christiane Karg, Pamina ; Franz-Josef Selig, Sarastro ; Albina Shagimuratova, la Reine de la Nuit ; Rolando Villazón, Papageno ; Regula Mühlemann, Papagena. RIAS Kammerchor Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nezet-Seguin. 2018-2 CD DGG 0289 483 6400 8
« La Flûte enchantée est une saga poétique, un rêve. » disait le grand Ingmar Bergman qui mieux que personne avait compris toute la complexité du dernier opéra de Mozart. Est-il encore possible de rêver en 2019 à l’écoute d’une énième version du chef-d’œuvre du génie salzbourgeois ?
Ce nouvel enregistrement s’inscrit dans la suite logique de l’épopée mozartienne de Yannick Nézet-Séguin entamée en 2011 avec Don Giovanni et qui connait, disons-le, des hauts (Enlèvement au sérail en 2015) et des bas (Cosi Fan Tutte en 2012). Jusqu’à la publication de cette Zauberflöte, l’exercice risquait de tomber aux oubliettes de la très longue discographie mozartienne.
Sur le papier, à l’est rien de nouveau ! Même lieu de captation (le superbe Festspielhaus de Baden-Baden) toujours en public, même phalange avec le Chamber Orchestra of Europe, on retrouve également une partie de la distribution vocale des précédents opus. Alors circulez, il n’y a rien à voir ? Bien au contraire ! Notre curiosité a été plus que récompensée.
Le mérite en revient en grande partie au chef Yannick Nézet-Séguin. Cet homme doit sacrément aimer Mozart et ses solistes pour manifester une telle humilité, une telle humanité face à la partition. L’orchestre et son chef sont totalement au service du drame et des émotions qui sont l’apanage du livret d’Emanuel Schikaneder. Avec la Flûte, Mozart démontre qu’il est le maître du Singspiel, Nézet-Séguin lui rend son caractère populaire avec une langue intelligible par tous sur la forme et sur le fond (quelle diction remarquable !). La Flûte devait s’adresser à toutes les classes sociales, ici elle est éloquente grâce à des chanteurs de tout premier ordre.
On pense connaitre l’œuvre… c’est une erreur. Nézet-Séguin la réenchante pour notre plus grand plaisir. Tout au long des deux CD de ce coffret nous allons de surprise en surprise. C’est comme si le Canadien avait réussi la synthèse parfaite des enregistrements de ces trente dernières années. Tout est à sa juste place, le théâtre, le drame, la drôlerie, le rythme, la contemplation et bien évidemment l’amour ! La grande valeur de l’opéra allemand selon Mozart.
Cette réussite repose également sur la magnifique et surprenante distribution. Commençons par l’autorité tutélaire, Sarastro. Quelle noblesse de la part de Franz-Josef Selig. Son personnage incarne l’ordre et la morale mais il n’en demeure pas moins un père qui sait fendre l’armure (« In diesen heil'gen hallen » déchirant).
Papageno, incarné par Rolando Villazon… après certaines performances contrastées dans ce répertoire de la part du ténor franco-mexicain, il fallait avoir la foi pour lui confier ce rôle si particulier ! Et pourtant cela fonctionne à merveille ! Son allemand est impeccable et ses talents d’acteurs font le reste. Même constat pour Albina Shagirumatova en Reine de la nuit, Christiane Karg en Pamina ainsi que pour le très wagnérien Klaus Florian Vogt plus habitué au costume de Parsifal qu’à celui du beau Tamino. La magie opère et c’est le fruit de l’habilité du chef qui sait tirer le meilleur de ses troupes.
Beaucoup se poseront la question de savoir si cette version est-elle la nouvelle référence moderne ? En art, il n’y a pas de vérité absolue ; nous nous abstiendrons donc de faire un classement entre Abbado, Harnoncourt, Jacobs et consorts. Par contre, nous pouvons conclure en invoquant nos sentiments à l’égard de cet enregistrement. Près de deux heures et quart d’intensité et de pur bonheur musical. Un vrai choc discographique doublé d’une redécouverte et pourtant nous parlons d’un opéra vedette ! Laissons le temps et les mélomanes lui donner ou pas ses lettres de noblesse. Pour nous c’est tout vu ! Diese cd ist bezaubernd schön !
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10
Bertrand Balmitgère