Beethoven par Beethoven !

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Beethoven par lui-même. Présentation et choix des textes par Nathalie Krafft. Traduction de Sofiane Boussahel. Paris, Buchet-Chastel, ISBN 978-2-283-03195-7. 2019. 167 pages. 21 euros.

En cette année de commémoration des 250 ans de la naissance de Beethoven, va-t-on assister, comme c’est déjà le cas pour son œuvre musicale, à une avalanche de biographies, d’essais et de publications le concernant ? L’avenir nous le dira. Comme par l’effet d’une sorte de clin d’œil prémonitoire, un florilège d’écrits du compositeur est rassemblé dans un ouvrage « depuis la première lettre connue de Ludwig enfant disant son amour de la musique, jusqu’aux dernières, rédigées juste avant sa mort, dans lesquelles il implore des subsides pour se nourrir », comme le précise la quatrième de couverture. L’auteur de ce florilège est Nathalie Krafft, qui a été rédactrice en chef du Monde de la musique pendant quinze ans et a publié, déjà chez Buchet-Chastel, une nouvelle édition des Cahiers de conversation de Beethoven en 2015. Son Beethoven par lui-même ne consiste pas en une biographie, ni encore moins en un essai. Il s’agit plutôt de cerner des traits de la personnalité, des moments de l’existence, des allusions à l’œuvre, des aspects familiaux, des relations avec les contemporains…, chaque chapitre étant précédé d’une introduction, plus ou moins longue selon le sujet abordé, mais qui ne dépasse jamais les quatre pages. Après chaque introduction, on découvre un choix d’extraits de la correspondance et des cahiers de conversation. Le terme d’anthologie est donc celui qui convient le mieux pour cet ouvrage découpé en onze chapitres aux titres évocateurs : Lignage – Humeurs – Amours – Au quotidien – Mon ouïe – Goethe et moi – Les autres. De Bach à Liszt - Mes œuvres – Etre un artiste – Le neveu – La fin. 

Deux constats peuvent se dégager après lecture de ce florilège. Le premier est le sentiment de partager une approche intelligente qui semble embrasser les caractéristiques principales d’un être complexe, de (re)découvrir une personnalité qui n’a pas été épargnée par le destin, la perte de son ouïe étant l’objet d’une indicible souffrance morale qui poussera Beethoven aux portes du suicide, et de mieux comprendre les contextes des déceptions amoureuses répétées, des difficultés familiales (les relations conflictuelles) avec le neveu, de la vie de tous les jours, de la santé ou des humeurs dont on sait qu’elles étaient loin d’être conviviales, même si elles pouvaient aussi se révéler chaleureuses, voire parfois amusantes. Mais aussi d’entrer plus avant dans l’élaboration d’un corpus génial, avec les hauts et les bas du processus créateur, dans les affinités intellectuelles, littéraires ou poétiques, dans les relations avec Goethe, dans l’appréciation de ses pairs, passés ou présents. 

Les extraits choisis d’une centaine de lettres bénéficient d’une nouvelle traduction, de Sofiane Boussahel, les principaux précédents en langue française remontant, pour les plus récents, aux années 1960. On lira avec intérêt en fin de volume les détails qui concernent la ponctuation de Beethoven qui est « à l’image de la spontanéité de ses humeurs. » Boussahel, musicologue et titulaire d’un master en études germaniques, a été formé au Centre européen de la traduction littéraire de Bruxelles. Il précise que « l’acte créateur chez Beethoven implique abîmes, aspérités, heurts et hésitations » et qu’il a tenté de s’en approcher le plus possible « tout en observant les contraintes qui sont celles de l’édition française contemporaine ». Il faut saluer ce remarquable travail de traduction.

On n’en oubliera pas pour autant la concrétisation du projet de Nathalie Krafft, ce qui nous amène au second constat à dégager après lecture. La présentation de chaque thème abordé est faite avec un grand souci de synthèse, qui couvre en fin de compte toutes les facettes de l’homme et de l’artiste. Le choix du florilège est judicieux et il est attractif. Il n’a qu’un défaut, celui d’être allusif, même si l’on est heureux d’y retrouver in extenso le Testament d’Heiligenstadt ou la toujours mystérieuse lettre à « l’immortelle bien-aimée ». Défaut ô combien léger et relatif, mais qui met le lecteur face à des choix, lui aussi. Ou bien il possède une connaissance approfondie de la biographie du natif de Bonn, et dès lors ce livre sera un plaisir de lecture sans pareil en raison de son approche ; ou bien, il est peu connaisseur des circonstances de la vie de Beethoven et il sera contraint d’aller plus loin afin de satisfaire son envie d’en savoir plus. Mais dans le fond, n’est-ce pas le but de cette « correspondance d’une vie », celle de rechercher « l’homme derrière le génie » ? Le rez-de-chaussée de la couverture ne ment pas ! 

Jean Lacroix 

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