BIS boucle l’intégrale des symphonies de Pettersson avec, en prime, son deuxième Concerto pour violon

par

Allan PETTERSSON (1911-1980): Symphonie n°17 (fragment) – Concerto n°2 pour violon et orchestreNorrköping Symphony Orchestra, Ulf Wallin (violon), dir. Christian Lindberg. 2019-61’06"-Textes de présentation en français, anglais, allemand et suédois-BIS-2290 SACD

Compositeur suédois au destin tragique, Pettersson passa sa jeunesse dans un quartier délabré sur l’île de Söder. Il grandit dans le besoin et le désamour les plus complets, entre un père alcoolique et violent qui, brisé par sa condition de forgeron, ne lui adressa la parole qu’à quelques reprises pour l’invectiver, et une mère bigote et effacée. Dans le taudis vétuste et crasseux qui leur servait de logement, il faisait humide et glacial. Rats et punaises se partageaient le logis. L’odeur qui y régnait était pestilentielle. La lumière du jour peinait à se frayer un passage au travers de fenêtres minuscules et d’un soupirail. Très tôt attiré par la musique, Pettersson parvint, envers et contre tout, à en faire son métier. Son premier violon, il se l’offrit en vendant des cartes de Noël dans les rues. A l’issue de ses études, au cours desquelles il fréquenta notamment les classes d’Honegger, Milhaud et Leibowitz, Pettersson gagna les rangs de l’Orchestre de la Société des Concerts (futur Orchestre Philharmonique) de Stockholm en tant qu’altiste. Solitaire et bourru, il peina à y trouver sa place et finit par le quitter. Enfin libre de composer sans relâche, conformément à sa vocation, il fut aussitôt rattrapé par la maladie, une polyarthrite rhumatoïde qui provoqua, dès l’âge de 39 ans, une lente dégradation de sa condition physique. Les trente années qui lui restaient à vivre furent parsemées de douleurs de plus en plus intenses, qui le clouèrent plus d’une fois dans un lit d’hôpital pendant plusieurs mois. Alors que sa Septième Symphonie triomphe à Stockholm, il est incapable de prendre part à ce succès tant attendu; il n’a que 57 ans et n’est déjà plus en mesure de se rendre aux concerts. Il meurt à 69 ans, au terme d’une longue agonie. 

Pettersson affirmait composer pour les démunis, les pestiférés, les rejetés de la société. Il se disait solidaire de leur souffrance et de leur désespoir. Au cours de son éducation musicale, il fut pourtant autant brimé par les milieux du quart-monde dont il était issu, qui voyaient dans son attrait pour l’art des sons un penchant bourgeois, que par ses condisciples du conservatoire, qui ne partageaient pas sa condition et se montraient volontiers dénigrants -l’un de ses professeurs passera à la postérité pour lui avoir crié: « Si l’on n’a pas les moyens d’acheter un piano, on n’a rien à faire à l’Académie » !

Commande de la Radio suédoise, le Concerto pour violon n°2 fut composé en 1977-1978. Il fut créé à Stockholm et retransmis en direct à la Télévision suédoise le 25 janvier 1980, six mois avant la mort de son auteur, par la violoniste polono-canadienne Ida Haendel et l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise, sous la baguette d’Herbert Blomstedt. L’événement fut immortalisé par le label Caprice (CAP 21 359 (CD/1988). Haendel l’interpréta ensuite à plusieurs occasions, dont une fois avec l’Orchestre de la Radio bavaroise à Munich, en 1990. Suite au concert dirigé par Blomstedt, Pettersson apporta quelques modifications à l’œuvre qui fut enregistrée pour la première fois dans sa version révisée, également en public, en 1999 par Isabelle van Keulen et l’Orchestre Symphonique de la Radio suédoise, sous la férule de Thomas Dausgaard, pour le label CPO (CPO 777 199-2 ; CD/2007)). Le présent enregistrement reprend, lui aussi, la seconde mouture de la pièce.

L’œuvre repose, en substance, sur l’une des mélodies issues du cycle des Barfotasånger (Mélodies des va-nus-pieds), « Le Seigneur marche dans la prairie ». Celle-ci n’apparaît sous sa forme originale, diatonique, campée dans le ton paisible de mi majeur, qu’au centre du concerto et elle est reprise dans six variations vers la fin de l’œuvre. Tout au long du concerto, la chanson n’intervient que sous forme fragmentaire, décomposée, réduite à quelques intervalles et cellules rythmiques. 

On retrouve dans ce concerto quelques-uns des traits compositionnels typiques de Pettersson, dont le jeu des cordes dans les registres extrêmes, la densité compacte du tissu orchestral et un climat pathétique. Par contre, la percussion, habituellement très présente dans l’œuvre du compositeur suédois (en particulier la caisse claire), est ici utilisée avec parcimonie. Le compositeur voyait dans cette œuvre le combat de l’individu – le soliste – contre la collectivité qui veut faire de lui un modèle « robotisé » au service d’une idéologie. Ambivalente, l’œuvre se situe, à vrai dire, à mi-chemin entre le concerto et la symphonie : le violoniste tantôt se débat avec force virtuosité face à une masse orchestrale oppressante, tantôt se fond dans l’ensemble instrumental pour y occuper le rôle des premiers violons, absents de la partition. On retrouvera un schéma similaire dans la Seizième Symphonie où c’est le saxophone qui s’interroge sans cesse sur sa raison d’être. 

Composé après les Symphonies n°10 à 13, d’une pesanteur et d’une noirceur qui font passer les sixièmes symphonies de Tchaïkovski et de Mahler pour des valses-musettes, le second concerto pour violon de Pettersson, à l’instar de son Concerto pour alto et ses Symphonies n°14 à 16, apparaît plus détendu -encore que, dans l’œuvre de Pettersson, cet adjectif doive être pris avec des pincettes. En effet, comme dans les œuvres les plus accessibles de Pettersson (ses Symphonies n°6 à 8), il recèle en son centre un « îlot lyrique » offrant quelque répit au soliste ainsi qu’aux auditeurs : enserré entre trois mouvements chaotiques d’une brutalité dévastatrice, le troisième volet de l’œuvre (A tempo) voit s’établir une forme d’entente sereine; les bois et les vents prennent des allures quasi-pastorales et s’épanchent, en harmonie avec le violon solo, dans le mode majeur. La luminosité perdure jusque dans le finale, un Cantando qu’on croirait presque optimiste.

Pettersson s’attela à sa Symphonie n°17 en 1979. Il y travailla encore lors de son dernier séjour à l’hôpital en mars 1980, mais n’eut pas le temps de l’achever. Il n’en reste qu’une trentaine de pages, représentant moins de dix minutes. Le label CPO, auquel on doit une autre intégrale de l’œuvre symphonique de Pettersson, avait fait le choix de ne pas graver cette symphonie inachevée, préférant lui substituer une œuvre instrumentale de Peter Ruzicka inspirée des compositions tardives de Pettersson, et notamment des esquisses de la Symphonie n°17 : des Gesegnete, das Verfluchte. Le titre de l’œuvre de Ruzicka fait allusion aux propos demeurés célèbres de son modèle: « L’œuvre à laquelle je travaille est ma propre vie, celle qui est bénite, celle qui est maudite: je m’y adonne afin de retrouver le chant que l’âme a chanté autrefois ».

Compatriote de Pettersson, Ulf Wallin, à qui l’on doit une pléiade d’enregistrements très remarqués chez BIS (dont une très belle intégrale Schumann), s’investit sans compter dans le concerto pour violon, d’une redoutable exigence. De l’avis général, l’œuvre passe assez mal au concert, où le soliste est pratiquement toujours noyé dans la masse. L’enregistrement a, heureusement, l’avantage de permettre d’équilibrer les forces antagonistes en présence. De fait, le violon de Wallin sonne ici avec une expressivité, une énergie et un relief étonnants, à tel point d’ailleurs que l’orchestre paraît quelquefois exagérément en retrait. Combinés à une endurance hors norme, lorsqu’on sait que le soliste est mis à contribution sans relâche tout au long des 53 minutes que dure ce concerto, ce panache et cette détermination infaillible à traduire les intentions du compositeur confirment la stature imposante du violoniste. Quant à l’Orchestre Symphonique de Norrköping, il fait de son mieux, depuis plusieurs décennies, pour tenter de nous convaincre de l’intérêt de la production du compositeur suédois. En l’occurrence, il n’est pas loin d’y parvenir, même si son chef actuel, Christian Lindberg (par ailleurs brillant dans un répertoire plus optimiste et très bon compositeur lui-même) n’est pas toujours en phase avec le discours profondément dramatique de Pettersson. Dans ce registre, Leif Segerstam -qui a notamment livré il y a vingt ans, à la tête de la même formation, une version mémorable de la Huitième symphonie de Pettersson- était sans doute inégalable. 

Son 8 – Livret 8 – Répertoire 7 – Interprétation 9

 

 

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