Brillant chef d’orchestre, Antal Doráti était aussi un compositeur fécond

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Antal Doráti (1906-1988) : Concerto pour piano et orchestre. Mátyás Seiber (1905-1960) : Suite orchestrale tirée de « L’invitation » ; Suite de danses de la Renaissance. Oliver Triendl, piano ; Staatskapelle Weimar, direction Domonkos Héja. 2024. Notice en allemand et en anglais. 66’ 20’’. Hänssler Classic HC24035.

Né à Budapest et décédé à Gerzensee en Suisse, le chef d’orchestre et compositeur hongrois naturalisé américain Antal Doráti, dont le répertoire était immense, a laissé en legs une impressionnante discographie qui contient de multiples gravures de référence, que l’on admire encore aujourd’hui, nombre d’entre elles ayant été enregistrées pour le label Mercury. Issu d’une famille de musiciens, il avait été l’élève de Bartók et de Kodály, dont il fut proche. Avant la Seconde Guerre mondiale, il dirigea à Budapest et à Dresde et fut associé aux Ballets russes de Monte-Carlo. Installé aux Etats-Unis dès 1941, il devint directeur musical à Dallas, à Minneapolis, à Washington et à Detroit, non sans un détour par le Symphonique de la BBC et la Philharmonie de Stockholm. Une carrière de premier plan, à laquelle il ajouta un fécond catalogue de créations personnelles. Il se considérait d’ailleurs comme un « conducting composer ». Il a laissé un témoignage de ses deux symphonies, à la tête de la Philharmonie de Stockholm (BIS, 1990), son écriture s’étendant aussi à des pages concertantes, destinées, par exemple, à Heinz Holliger ou à János Starker, au mélodrame, au ballet ou à la musique de chambre.

Antal Doráti avait épousé en 1971 la pianiste autrichienne Ilse von Appenheim (°1927), réputée pour la sensibilité de son jeu. Elle se produisait en soliste (elle a laissé de belles intégrales des sonates de Haydn et des Romances sans paroles de Mendelssohn), et en musique de chambre (elle eut notamment pour partenaires Henryk Szeryng et le Quatuor Amadeus). Les époux donnèrent de fréquents concerts et enregistrèrent des disques, dont des concertos de Haydn ; c’est pour sa femme que Doráti composa son Concerto pour piano et orchestre en 1974, dont il existe un enregistrement par le couple, avec le National Symphony Orchestra de Washington (Turnabout, 1977), que l’on aimerait voir réédité.

En trois mouvements d’une durée globale d’un peu plus de trente-six minutes, le Concerto pour piano révèle une triple influence, définie dans la notice par l’interprète d’aujourd’hui, Oliver Triendl (°1970) : le romantisme, une inspiration qui vient de la fréquentation de Bartók et Kodály, et un cachet hollywoodien. Voilà une partition qui mériterait d’être inscrite à l’affiche de programmes en recherche d’œuvres méconnues et de qualité. Le pianiste allemand, qui s’est fait une spécialité de pages peu fréquentées (nous avons présenté ses albums consacrés à Josef Labor et Philipp Scharwenka), signe une prestation de haut vol, soulignant les divers courants ici rencontrés. Au sein d’une riche orchestration, très colorée, le piano a un rôle prédominant, entre cascades de notes échevelées et épanchements, traversés de questionnements. Le second mouvement, Lento, rubato s’épanche dans un lyrisme lancinant, tourmenté et mystérieux, alors que le Presto final se décline dans un dynamisme effréné et très rythmé, au sein duquel le piano virevolte, tout en laissant de la place pour une méditation, qui va s’effacer pour ouvrir la porte à une conclusion virtuose. 

Pour le couplage, deux partitions du méconnu Mátyás Seiber, lui aussi né à Budapest et devenu citoyen britannique, ont été choisies, justifiées par l’amitié entre les deux créateurs ici réunis. Cet autre élève de Kodály enseigna à Francfort, avant d’être séduit par le jazz lors d’un voyage en Amérique du Sud. De retour à Francfort, il y créa une classe de piano-jazz, interdite par les Nazis dès 1933. Seiber quitta l’Allemagne et, après un détour par l’URSS, se fixa en Angleterre où il enseigna tout en composant, notamment de la musique pour le cinéma (A Town like Alice/Ma vie commence en Malaisie, avec Virginia MacKenna et Peter Finch, 1956). Il mourut accidentellement au Cap, lors d’un séjour en Afrique du Sud. Györgi Ligeti lui dédiera in memoriam ses Atmosphères.

Le ballet L’Invitation (1960) est l’ultime composition de Seiber, à destination du chorégraphe Kenneth Mac Millan (1929-1992) ; inspirée par le film argentin La casa del ángel de Leopoldo Nilsson (1957), elle évoque les tourments de l’attraction sexuelle. Créé à la Scala de Milan en 1960, le ballet a connu un vif succès à Covent Garden jusque dans les années 2010. Des extraits (une dizaine de numéros) sous forme de pastorale, burlesque, polka, galop, valse ou scène de carnaval en montrent toute l’irrésistible vitalité et la séduction, dans une atmosphère de néo-classicisme qui se souvient quelque peu de Strawinsky. Le programme est complété par la Suite de danses de la Renaissance (1959), trois brèves pages (gaillarde, branle/allemande, volte) inspirées à Seiber par le XVIe siècle. De la musique pour le plaisir ! 

Sous la baguette du chef hongrois Domonkos Héja (°1974), formé à l’Académie Liszt de Budapest, la Staatskapelle Weimar traduit avec aisance les tensions du concerto, comme les pages dansées de Seiber. Un album très intéressant, pour amateurs de raretés.  

Son : 8,5  Notice : 7  Répertoire : 9 (Doráti) /8 (Seiber)  Interprétation : 9
Jean Lacroix    

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