Bruno Helstroffer consacre une anthologie de guitare à un rare musicien du Grand Siècle

par

L’Âme-son. Henry Grenerin (c1630-c1700) : Suites en la mineur, ré majeur, sol mineur, ré mineur. Passacaille en C sol ut fa [Livre de guitare]. Anthoyne Boesset (1587-1643) : Je meurs sans mourir [Air de cour avec la tablature de luth]. Jean de Cambefort, attrib. (1605-1661) : Récit de la lune [Ballet royal de la Nuit]. Bruno Helstroffer, guitare baroque. Chantal Santon Jeffery, dessus. Avril 2023. Livret en français, anglais, allemand. TT 59’37. Alpha 1007

La discographie a de ces mystères… Quelques pièces enregistrées par Olav Chris Henriksen, puis une Suite par Gordon Ferries, voilà une vingtaine d’années. Outre-Manche et outre-Atlantique, d’ailleurs : nul n’est prophète en son pays. Quoi d’autre ? De mémoire, on ne se souvient d’aucun album entièrement consacré à Henry Grenerin, pourtant un important musicien sous les règnes de Louis XIII et du Roi Soleil, qui de son théorbe participait aux ballets et tragédies lyriques de la cour. On connaît peu de choses de sa vie. L’on sait donc gré à la notice de brosser quelques repères biographiques, et surtout de donner chair au personnage, en l’enveloppant dans une perspective, ingénieusement romancée peut-être, qui se plait à accuser les dualités, les polarités qui entourent ce musicien du Grand Siècle.

Horizontalité et verticalité, à l’instar de la tour de Nesle (reproduite page 25 sur une eau-forte de Jacques Callot) qui sur la rive se dressait face au palais du Louvre, et où la famille Grenerin trouva logis. Le fixe et le mouvant, la scène et la Seine, la terre (le père d’Henry était maçon) et l’onde (il était petit-fils d’un pêcheur). Un habitat « entre bourg et faubourg », à l’instar des deux vecteurs à corde pincée (« le luth aristocratique et la guitare populaire »), reflétant aussi l’esthétique plurielle du Livre de 1680, entre danse et introversion. Extériorité et introspection, que résume le titre (fictionnel bien sûr, et bien trouvé) de cet album : l’âme-son, évident clin d’œil aux cannes du grand-père, à ses lignes où pend le ver…

Musique ancienne et contemporaine, baroque progressif, respect de l’écrit et pratique vivante : Bruno Helstroffer est de ces médiateurs qui abolissent les frontières temporelles, spatiales et stylistiques. Un avocat de la perméabilité, tout désigné pour exhumer et défendre ce recueil dédié au Prince de Conty, contemporain des propres Livres de Robert de Visée. De ses seize Suites pour guitare, en voilà quatre, et une Passacaille. Suivant la nomenclature typique de l’époque, voici un cortège attendu de Préludes, Allemandes, Courantes, Sarabandes (deux dans la Suite en ré mineur), Gigues, Menuets et Bourrées. Bruno Helstroffer les aborde sur un instrument monté en boyau (cordes Aquila), flambant neuf, fait par Philippe Motet-Rio d’après un modèle parisien de 1676.

Dans l’essor chorégraphique comme dans les espaces poétiques, le jarret et l’imaginaire de ces pages sont servis par une interprétation qui s’équilibre entre modelé et projection. Sobre et sans fard, et même sans filet puisque enregistrée avec le moins de montages possibles, nous dit-on, pour préserver la spontanéité de ces instants au château du Boschet. Captés de près et un peu durement, doit-on avouer ; le haut niveau de gravure (modérez l’amplificateur) accuse une perspective intrusive, au point qu’on aurait aimé davantage de recul et d’acoustique ambiante. Chantal Santon Jeffery prête sa voix à deux airs, non de Grenerin mais l’un de Boesset et l’autre tiré du Ballet royal de la Nuit. Grenerin en écrivit pourtant, renseignant dans ses tablatures comment exécuter la basse chiffrée. Accompagnés par la friction mate et sèche de la guitare, ces chants dressent une flamme froide, et complètent la découverte de cet intéressant catalogue, hors des sentiers battus. Bruno Helstroffer entend-il nous révéler les trois autres quarts de ce Livre ? En attendant, cette « âme-son » présente bien des appâts…

Christophe Steyne

Son : 7 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7,5 – Interprétation : 9

Tags : Bruno Helstroffer – Chantal Santon Jeffery

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