Intemporels

Les dossiers.
Les graines de curieux : les découvertes un peu piquantes de la musique.
Musiques en pistes : pour une écoute active de la musique. Analyse et exemples sur partitions et écoutes d’extraits.
Focus : un événement particulier dans la vie musicale

Pierre-Yves Pruvot, baryton et éditeur

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Le baryton Pierre-Yves Pruvot est bien connu du public belge. Finaliste du Concours Musical Reine-Elisabeth, il est un invité régulier de l’Opéra de Liège et d’autres scènes belges. On le retrouve en Golaud dans Impressions de Pelléas de Marius Constant (Fuga Libera), sujet de départ de cet entretien. Mais Pierre-Yves Pruvot est également le co-fondateur des éditions Symétrie de Lyon, l’une des plus belles réussites éditoriales dans le milieu de la musique.    

Vous avez participé à l’enregistrement  d’Impressions de Pelléas (rôle de Golaud), réinterprétation du Pelléas et Mélisande de Debussy  par le compositeur et chef d’orchestre français Marius Constant. Comment avez-vous découvert cette “version” si particulière ?

Constant a réussi le tour de force de « concentrer » le chef d’œuvre de Debussy en le réduisant environ d’un tiers de sa longueur. Non pas que l’opéra soit trop long, mais il s’agit plutôt ici de présenter l’ouvrage dans une forme plus intime : les personnages secondaires et le chœur disparaissent ainsi que certaines scènes, d’autres passages sont raccourcis, et la version de Constant débute avec la lecture de la lettre par Geneviève, comme une sorte de flashback. D’autre part, Constant utilise ici deux pianos seulement, qui ne cherchent bien sûr pas à se substituer à la richesse de l’orchestre debussyste, mais qui contribuent cependant à donner une dimension à la fois intime et riche de la partition de Debussy. Je connaissais l’existence de cette version réduite mais je n’avais pas eu l’occasion de m’y plonger avant la proposition que m’ont faite Inge Spinette et Jan Michiels, les deux merveilleux pianistes belges instigateurs de ce projet.

Le droit d'auteur européen nouveau est (presque) arrivé !

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La veille de la Saint-Valentin, une délégation de la Commission, du Conseil et du Parlement européens est enfin parvenue à un accord sur la révision du droit d’auteur de l’Union européenne. Les accents triomphalistes du communiqué de presse portant le nouveau texte sur les fonts baptismaux parviennent difficilement à faire oublier les âpres discussions auxquelles la réforme a donné lieu. Le 14 février 2019, c’est par un « Je t’aime, moi non plus » que la plupart des parties intéressées ont accueilli le nouveau régime juridique, fruit d’un fragile compromis.

Il faut dire que les intérêts en présence étaient particulièrement difficiles (pour ne pas dire impossibles) à concilier. Une véritable quadrature du cercle qui aura coûté au triumvirat européen deux ans et demi d’efforts. Manœuvrant dans les eaux tumultueuses d’un triangle des Bermudes dessiné par trois lobbies aux positions antagonistes et parfois virulentes – représentants des auteurs, interprètes et exécutants et de leurs ayants-droit; plateformes en ligne; et utilisateurs –, le législateur a lui-même dû composer avec ses diverses composantes: une Commission soucieuse d’harmoniser le droit des Etats membres de l’Union, jusqu’ici relativement fragmenté dans le domaine du droit d’auteur; un Conseil donnant de la voix aux intérêts des Etats; et un Parlement attentif aux opinions de la société civile, divisée sur la question.

Berlioz, le coffret Warner événement

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Tout comme cela fut fait pour Debussy, Warner publie un gros coffret avec les oeuvres d’Hector Berlioz, magnifique entrée en matière pour les célébrations des 150 ans de la mort du génial compositeur. A cette occasion, Crescendo Magazine vous propose une rencontre avec Philippe Pauly, la cheville ouvrière de ce coffret et l’un des plus grands connaisseurs de la discographie de la musique classique.  

Dans le cadre de cette intégrale, vous avez dû planifier des enregistrements pour compléter le coffret par des œuvres inédites. N’est-il pas surprenant, en 2018, d’avoir encore des inédits de Berlioz comme cette Nonne Sanglante ?

Je dirais oui et non : plusieurs raisons peuvent expliquer de tels phénomènes. Parfois, une partition que l’on croyait perdue est miraculeusement retrouvée : ce fut le cas de la Messe solennelle de Berlioz. D’autres fois, le manuscrit est connu mais appartient à des collections privées et reste longtemps inaccessible : c’est encore le cas de certaines pages de Debussy. La résurrection de fragments plus ou moins achevés nécessite souvent un long travail d’édition et de reconstruction afin de rendre ces œuvres exécutables. Concernant Berlioz, son œuvre ne fit l’objet de recherches approfondies que relativement récemment : dois-je rappeler qu’il fallut attendre 1969 pour que la partition complète des Troyens soit enfin éditée ?

Rencontre avec Annette Vande Gorne

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Dans le prolongement du concert du 30 janvier 2019 au Senghor ayant pour thème "Les Voies de la Voix Acousmatique", dont nous nous sommes fait l'écho par ailleurs, nous avons pu nous entretenir brièvement avec la compositrice Annette Vande Gorne, qui porte haut l'étendard de la musique acousmatique en Belgique.

Considérés comme des courants d'avant-garde au XXème siècle, les musiques concrète, électroacoustique et acousmatique ont-elles aujourd'hui dépassé le stade de l'expérimentation? Quelle est leur place dans le paysage musical actuel? Ne s'agit-il pas aujourd'hui de combats d'arrière-garde, alors que de nombreux compositeurs prônent un retour aux formations "classiques" ou à une nouvelle simplicité?

La question est posée de façon négative, qui oblige à justifier l’existence même de la musique acousmatique, concrète et électroacoustique aujourd’hui… Son existence est au contraire pleinement active et, il est vrai, différente des « retours à » d’arrière-garde à la mode actuellement (tentative de récupération de public à bon compte?). Rien de plus ouvert et accessible que le concert et la musique acousmatiques !

Julien Libeer, un pianiste dans son temps

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Le jeune pianiste belge Julien Libeer est un talent qu’on s’arrache. Repéré dès 2010 par l’Union de la Presse musicale belge, ce musicien complet passe avec aisance du récital au concerto en passant par la musique de chambre. Crescendo Magazine vous propose de rencontrer un artiste engagé sans son époque, alors que sort un album assez disruptif consacré à Mozart et Lipatti.

Vous proposez sur cet album le concerto de Dinu Lipatti ? Une oeuvre fort rare, comment l’avez-vous découverte ?

J’ai eu un grand coup de foudre pour Lipatti pianiste quand j’étais étudiant au conservatoire. Du coup, avec l’enthousiasme propre aux jeunes amoureux, je me suis plongé dans sa discographie, sa biographie, j’ai donc inévitablement découvert qu’il avait également été compositeur. Quand j’ai fait mon premier disque, j’avais déjà décidé de le ‘remercier’, pour le dire ainsi, en y incluant quelques pièces solo, aux côtés de Ravel -autre compositeur à la pensée limpide.

Jodie Devos, colorature, Offenbach

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En marge de la sortie du CD Colorature, nous avons pu nous entretenir avec Jodie Devos, la soprano belge qui met le monde de la musique à ses pieds. 

Jodie Devos, avant de parler de votre actualité et du CD consacré à Offenbach, quels sont les trois événements marquants pour l’année 2018 ?

Cette année a été particulièrement riche mais je citerais tout d’abord l’enregistrement du CD Colorature qui est un grand souvenir. Cette session d’enregistrement fut intense et passionnante.

Ensuite je pense tout particulièrement au rôle de Susanna dans les Noces de Figaro mis en scène à Liège par Émilio Sagi et sous la direction de Christophe Rousset que j’apprécie tout particulièrement. Le rôle de Susanna ne présente pas les caractéristiques d’une voix colorature mais ce rôle me convient bien et je crois que j’aimerai le chanter tout au long de ma carrière. Enfin, je citerais mon rôle d’Arthur dans La Nonne Sanglante de Charles Gounod que j’ai eu l’occasion de chanter à l’Opéra Comique à Paris. C’était une résurrection pour cette œuvre qui n’avait plus été mise en scène en France depuis près d’un siècle. C’était très émouvant !

Editorial : Huawei égale Schubert ?

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Tombé en milieu de la semaine dernière, le communiqué de presse de la firme technologique chinoise Huawei a interpellé : l’intelligence artificielle d’un de ses nouveaux smartphones va “terminer” la symphonie n°8 “Inachevée” de Franz Schubert, laissée à l’état de deux mouvements par le compositeur ! Qu’un téléphone qui loge dans la poche “termine” cette partition mythique, c’est certes une performance technologique ! Qu’elle soit réalisable par un smartphone chinois, voilà qui affirme l’Empire du milieu comme un leader incontournable de la technologie et du Soft Power ! Si la nouvelle a fait le tour des grands médias et des sites technophiles, elle est restée peu commentée chez les professionnels de la musique et les mélomanes.

En effet, le combat homme/machine n’est pas neuf et on se souvient des “unes” hébétées quand l’ordinateur Deep Blue d’IBM battit le champion du monde d’échecs Garry Kasparov, en 1997. De plus, “terminer” la symphonie inachevée n’est pas une première. Depuis le début du XXe siècle, plusieurs tentatives ont été menées par des compositeurs, des musicologues ou des chefs d’orchestre. Parmi celles-ci, on relève le concours organisé en 1928 par la Columbia Gramophone Company et gagné par le très oublié Franck Merrick, ou le récent essai du brillant chef suisse Mario Venzago qui livre sa complétion au pupitre de son orchestre de chambre bâlois (Sony). D’autres musicologues ou compositeurs se sont penchés sur la partition, mais au final aucune de ces tentatives émérites ne s’est universellement imposée…!

Hommage à Jean Guillou (deuxième partie) : « Souvenirs d'ivresse et de vie »

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Le légendaire organiste Jean Guillou était un professeur hautement respecté et recherché des jeunes talents. Notre compatriote Etienne Walhain, organiste-titulaire des grandes Orgues Ducroquet et Merklin de la Cathédrale Notre-Dame de Tournai, a pu travailler  pendant 10 ans aux côtés du grand musicien. Il a accepté de livrer son témoignage à Crescendo-Magazine.

Une figure qui respire l'intelligence et l'amitié ; un âge mûr qui a la grâce de la jeunesse ; le visage d'un oval plein et fort ; les joues longues, bien assises sur un large menton qui finit en rondeur indulgente ; une grande bouche, aux coins un peu relevés par l'habitude et le goût du sourire, bouche aimable et faite pour aimer ; la lèvre inférieure ardente, généreuse et sensuelle ; de beaux yeux, attentifs et doux, calmes et pénétrants, plein d'esprit et de caresse (...). Rien d'affecté, pas ombre de prétention, et l'air naturellement au-dessus de toute petitesse.

Dans cet hommage précis et docte rendu à Saint-Evremond, André Suarès nous dessine le visage d'un être hors du temps, d'un esprit qui n'a eu de cesse de combattre la déraison. Ce croquis physique et psychologique me fait penser à mon cher Maître Jean Guillou, qui s'y serait très certainement retrouvé si j'avais eu encore le temps de partager un moment avec lui...

Hommage à Jean Guillou (première partie) : un musicien visionnaire

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L’organiste Jean Guillou était une figure incontournable de l'orgue et de la vie musicale internationale. Crescendo Magazine a demandé à l’organiste Yoann Tardivel, bien connu des auditeurs de Musiq3,  de répondre à quelques questions sur cet immense musicien, véritable star de son instrument.  

Quelle est la place de Jean Guillou dans l’art de l’orgue ?

Elle est immense évidemment. Il faisait partie d’un carré magique avec Pierre Cochereau, Marie-Claire Alain et Michel Chapuis. Ce golden quartet a réellement attiré sur l’instrument les projecteurs du monde entier, chacun explorant des chemins bien spécifiques. Le chemin de Jean Guillou est sans contestation le plus original, au sens où il est le plus en rupture avec la tradition très forte dans laquelle il a été formé mais aussi dans le sens où sa vie d’artiste a été résolument tournée vers la création. Il était compositeur, improvisateur, concepteur d’instrument, essayiste et même poète. Il était en dialogue constant avec les créateurs de son temps ainsi qu’avec les jeunes générations auxquelles il donnait son temps et son savoir sans compter. Il était un artiste sans frontières qui a joué et a été joué au quatre coins de la planète. Si l’orgue peut parfois souffrir d’un certain dogmatisme en raison de sa longue histoire et de son aspect patrimonial, Jean Guillou, libre penseur, a su en révéler toute la part poétique, loin de toute forme de dogme justement.

JoAnn Falletta, cheffe d’orchestre à la curiosité sans frontières

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La Maestra JoAnn Falletta est une exploratrice musicale, aimant découvrir et enregistrer des partitions tombées dans l’oubli. Avec ses fidèles musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Buffallo, elle a gravé pour la firme Naxos l’un des plus épatants panoramas de la musique orchestrale. L’ensemble compose l’un des legs les plus indispensables de notre époque et se doit d’être un modèle d’intelligence et d’inspiration pour les jeunes générations de musiciens. Alors qu’elle dirige au Concertgebouw d’Amsterdam un exigeant programme qui associe littérature et musique contemporaine, elle répond aux questions de Crescendo Magazine.  

Quand on regarde votre discographie, on est impressionné devant son amplitude. Vous avez enregistré un incroyable panorama de la musique orchestrale avec des oeuvres de Respighi, Novák, Glière, Schmitt, Holst, Schreker .... Comment avez-vous découvert ces partitions, car certaines sont des raretés absolues?

Le répertoire "moins connu" m'a toujours intéressée. J’ai cet attrait depuis ma jeunesse mais cette attirance s’est renforcée au moment où suis devenue directrice musicale du Womens Philharmonic. Notre mission au Womens Philharmonic était de jouer des musiques inconnues composées par des femmes (que ce soient des oeuvres du passé ou des oeuvres de notre temps). J'ai dû faire beaucoup de recherches sur le répertoire -de Hildegard von Bingen aux premières mondiales des femmes contemporaines. J'aimais découvrir de nouvelles partitions ou des trésors injustement tombés dans l’oubli. Cet appétit de trouver des œuvres inhabituelles a été ravivé lorsque Klaus Hermann, le fondateur du label Naxos, a invité l’Orchestre Philharmonique de Buffalo à devenir l'un de ses orchestres réguliers pour des d'enregistrements. Bien sûr, Klaus ne voulait pas ré-enregistrer les piliers du répertoire. Il m'a mise au défi de trouver des partitions qui seraient des joyaux à découvrir. J'ai décidé de me concentrer sur la musique européenne post-romantique tardive. Je me suis mise à regarder partout, je lisais d'innombrables livres et articles et j’écoutais tout ce que je pouvais trouver ! La recherche des musiques injustement négligées est devenue pour moi une force directrice dans ma vie musicale. L'orchestre et moi-même nous sommes sentis très privilégiés de pouvoir enregistrer ces raretés et de les présenter aux mélomanes du monde entier.