Dossier Mendelssohn (V) : la musique pour piano

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Il est habituel de considérer Mendelssohn avec un léger mépris et de lui reprocher de n’être ni Chopin ni Schumann. C’est oublier que bon nombre de grands compositeurs (Schumann justement ou Busoni, pour ne citer qu’eux) lui ont voué une admiration sans borne et que sa musique est, en définitive, très personnelle. Musicien de la dualité, il est constructeur mais passionné, rêveur parfois ; féru de contrepoint, il est aussi mélodiste. Homme, enfin, de méditation, il est l’auteur de certains des scherzi les plus réussis, les plus légers de la musique. 

Parallèlement à la sonate pour piano et aux oeuvres virtuoses s’est développé, à l’époque de Beethoven et de Schubert, un troisième type d’écriture pour piano : la pièce lyrique. Sans aucun doute, le professeur du jeune compositeur, Ludwig Berger, ou son ami Ignaz Moscheles, le brillant virtuose, ont-ils eu sur Mendelssohn une influence déterminante. Ils l’ont en effet amené à considérer la possibilité de composer des pièces pour piano qui sonnent comme des lieder sans voix, comme des lieder "instrumentalisés". Certes d’autres compositeurs comme John Field l’avaient précédé sur cette voie, mais l’originalité du jeune Félix fut de parvenir à concilier dans une même formule instrumentale le lyrisme romantique avec la technique de clavier de Mozart alliée à une virtuosité héritée de Hummel, parfois pimentée de trouvailles empruntées à Weber.

C’est dans ce contexte qu’est née une majeure partie de l’œuvre pour piano de Mendelssohn dont les autres caractéristiques sont la clarté de la structure -reprenant souvent la forme lied en trois parties- et l’expression mélodique. En l’absence de signification poétique du texte, comme dans un lied, c’est l’atmosphère de la pièce pour piano qui sera "poétisée" et mobilisera toutes les ressources instrumentales du clavier.

La sensibilité de Mendelssohn est donc celle d’un poète, et la réussite du compositeur est d’avoir trouvé des formes instrumentales adéquates où couler son inspiration. Ainsi la mélodie chez lui a une allure, un ton très reconnaissable ; elle est soutenue par une harmonie utilisée avec une maîtrise supérieure et une habilité extrême. Sous ses apparences simples, parfois même superficielles, la musique de Mendelssohn joue avec l’auditeur une espèce de jeu de cache-cache : l’accord attendu ne vient pas, ou la modulation désirée se produit dans un autre ton... Il faut enfin signaler l’usage très brillant et très personnel qu’il fait du staccato et son goût pour les mouvements rapides en notes répétées ou en octaves. C’est là un élément du style de Mendelssohn que l’on retrouvera aussi bien dans les oeuvres instrumentales que dans les pièces pour orchestre (signalons ne serait-ce que l’Ouverture de la Grotte de Fingal ou la musique pour Le Songe d’une nuit d’été) si bien que, entendant Mendelssohn jouer un de ses Caprices, Rossini déclara : Cela sent le Scarlatti. Le presto menselssohnien témoigne du goût de la vitesse alliée à la plus extrême légèreté -qui fera l’admiration de Berlioz. Le but est de créer une sorte de vertige musical par l’alternance rapide des opposés ; c’est, ainsi que l’écrit Jankelevitch, la tentative de changer le successif en simultané.

On peut distinguer trois grands types dans le corpus des oeuvres pour piano de Mendelssohn : les oeuvres lyriques, les oeuvres sévères et enfin les variations.

C’est parmi les oeuvres lyriques qu’il faut ranger, sans aucun doute, la série des Lieder ohne Worte, les Romances sans paroles, parue entre 1834 et 1845 avec un énorme succès. Ce sont, au total, 48 morceaux de musique écrits à différents moments de la vie du compositeur et qui ont puissamment contribué à sa popularité. Il est de bon ton, de nos jours, de jeter un œil un peu dédaigneux sur ces pièces dont certaines sont de merveilleuses réussites. Certes, comparées aux pièces contemporaines de Schumann et de Chopin, elles témoignent d’un autre monde où les passions et les fureurs semblent remplacées par l’ordre et la placidité, mais leurs qualités sont d’une tout autre nature. Le matériau musical est toujours parfaitement adapté à la forme, jamais l’idée musicale ne semble à l’étroit, et elle est présentée, de pièces en pièces, avec un admirable sens du renouvellement. Les Romances sans paroles présentent un ensemble d’idées, de mélodies, d’atmosphères et de formules d’accompagnement constamment renouvelé. C’est sans doute le premier recueil, l’opus 19, qui est l’un des meilleurs et il donne une idée assez complète de l’ensemble des Lieder ohne Worte. Les deux premiers morceaux sont d’une grande beauté, le premier serein, l’autre plaintif et inquiet et sont suivis d’une des Romances sans paroles les plus connues : La gondole, en sol majeur. Nous pourrions encore citer le deuxième morceau de l’opus 30, un mouvement rapide typique du presto mendelssohnien, le premier de l’opus 53, une splendide barcarolle aux allures schumanniennes.

Les oeuvres sévères sont, bien sûr, constituées par l’ensemble des Six préludes et fugues, opus 35 dont la composition a occupé Mendelssohn pendant plusieurs années. Nous ne reviendrons pas sur la fascination de Mendelssohn pour Bach ni sur l’influence de celui-ci, sauf pour signaler que les Préludes et fugues de Mendelssohn témoignent d’une parfaite compréhension de leur modèle. Nous sommes loin des plates copies d’écoles car certaines de ces oeuvres sont de véritables réussites. Prenons l’exemple du Prélude et fugue en mi mineur dont le prélude adopte la texture et le plan d’une Romance sans paroles alors que la fugue témoigne d’une conception très originale et utilise toutes les ressources dramatiques du contrepoint. Le Prélude en fa mineur est lent et mélancolique, fondé sur une harmonie poignante et une mélodie d’une grande beauté, suivi d’une Fugue qui est, elle, débordante d’énergie et de vigueur. Si, en règle générale, on peut dire que les préludes ont une nature essentiellement harmonique, nous ne pouvons qu’admirer l’art avec lequel Mendelssohn utilise la fugue et la liberté de son écriture, pourtant toujours rigoureusement fidèle à l’esprit contrapuntique.

Terminons par le dernier aspect des oeuvres pianistiques : les variations. Si Mendelssohn en a écrit trois cycles, c’est, sans nul doute, le premier, les Variations sérieuses en ré mineur, opus 54, qui sont les plus célèbres et les plus réussies. Le thème, à l’harmonie chromatique, d’une grave beauté, est très expressif. Les variations qui le suivent l’animent progressivement sans jamais en changer véritablement le visage, ce en quoi elles s’opposent à la conception beethovenienne. Mendelssohn alterne les variations de divers caractères : elles sont tantôt sévères, tantôt rêveuses, expressives ou agitées, et toutes, sauf une, sont en mode mineur. L’écriture pianistique est brillante et utilise l’ensemble des ressources instrumentales parmi lesquelles le staccato, cher, comme nous l’avons dit, à Mendelssohn. Sans égaler les grands cycles de variations romantiques (les Variations en ut mineur ou les Variations Diabelli de Beethoven, les Etudes symphoniques de Schumann ou les Variations sur un thème de Händel de Brahms), les Variations sérieuses restent un des ensembles pianistiques les plus réussis du compositeur et leur succès, tant auprès du public que des pianistes, ne s’est jamais démenti.

Article rédigé par Christophe Looten dans le cadre d'un dossier de Crescendo Magazine publié dans ses éditions papiers. Dossier publié sous la coordination de Bernadette Beyne. 

Crédits photographiques : James Warren Childe

 

 

 

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