Celestial Blue, une véritable rareté discographique au celesta
Claude Debussy (1862-1918) Suite Bergamasque III : Clair de lune, Première Arabesque, Préludes, I : Des pas sur la neige, Rêverie, Préludes, I : La fille aux cheveux de lin. ; Erik Satie (1866-1925) : Gnossiennes I : Lent, Gnossiennes III : Lent ; Alexandre Glazounov (1865-1936) : Raymonda : Variation IV. Camille Saint-Saëns (1835-1931) : Le carnaval des animaux VII : Aquarium ; Piotr Ilich Tchaïkovski (1840-1893) : Le Casse-noisette : Danse de la Fée Dragée ; Enrique Granados (1867-1916), Danza española nº 2 : Oriental. Jesús Guridi (1886-1961), Tres piezas breves, II: Nostalgia. Johannes Brahms (1833-1897), Berceuse Op.49. Celia García-García, célesta. 2021. Livret en anglais. TRPTK. TTK 0087 .
De nous jours, le marché de l’enregistrement est devenu tellement vaste que l’on y trouve en principe tout et, parfois, n’importe quoi… Cependant, lors de mes nombreuses déambulations chez les marchands de disques jadis et sur internet aujourd’hui, je n’ai jamais trouvé un enregistrement consacré entièrement au célesta. Alors que cette sonorité nous est familière car nous avons tous dans l’oreille la résonance enchanteresse de la « Danse de la Fée Dragée » du Casse-noisette de Tchaïkovski ou certains échos de Ravel (Ma Mère l’Oye ou son orchestration des Tableaux de Moussorgski). C’est Bartók qui écrira pour cet instrument une pièce majeure du XXe siècle, sa Musique pour cordes, percussion et célesta. Et même dans la magie d’Harry Potter retentit cette sonorité enchanteresse… L’anecdote de Tchaïkovski écoutant l’instrument à l’Exposition Universelle de Paris en 1889 et emportant un exemplaire en secret pour l’inclure à Sant Petersburg dans son ballet est aussi savoureuse que vraisemblable, même si tant de musicologues ont trop souvent fait appel à leur imaginaire plutôt qu’aux faits historiques.
Dans ce désert discographique, l’initiative de Celia García-García comble une surprenante lacune. Elle joue ici à peu près tout ce qui a été écrit pour ou qui est facilement transposable au célesta. Elle l’a souvent légèrement arrangé pour s’adapter à la tessiture relativement réduite de son clavier dans le registre grave. Mais l’intérêt de ce CD va bien au-delà, car le fait de mettre en exergue un instrument incompréhensiblement marginalisé est une bonne chose, mais le faire avec cet art, en est une autre. Ce n’est pas par hasard qu’elle tient le pupitre de claviers dans plusieurs grands orchestres hollandais, dont celle du Concertgebouw. Car subtilité des nuances et cantabile convaincant sont des concepts peu fréquents dans le jeu de célesta : on est habitués à son caractère percussif et portés ou tomber sous le charme du fait de sa sonorité chatoyante. Sa mécanique, cependant, par la position des marteaux et la frappe du haut en bas, rend habituellement la pulsation incertaine et la nuance très difficile à contrôler. Pourtant, García-García se joue d’une telle entrave pour nous régaler d’un sens du cantabile, d’un foisonnement de nuances et d’une conduite du son qu’on apprécierait au piano mais qui étaient pour moi pratiquement inconnus au célesta, nous menant tout droit dans une délicieuse rêverie. Son Clair de lune de Debussy est tout simplement magistral, tout comme La fille aux cheveux de lin. Je dois avouer ma préférence lorsqu’elle joue les compositeurs français ou russes ; c’est d’un à propos stylistique irréprochable et son art s’y déploie avec plus de conviction que lorsqu’elle nous offre ses compatriotes Guridi ou Granados : c’est extrêmement bien joué, mais on se demande si le célesta n’apporte une certaine distance contradictoire avec le lyrisme des pièces. Elle utilise un instrument merveilleusement résonnant construit par la manufacture allemande Schiedmayer, le seul facteur, avec le géant asiatique Yamaha, à produire encore des célestas. Des instruments à clavier de la famille Schiedmayer existaient déjà en 1711… Le clavicorde fait par Johann David en 1796, troisième membre de la dynastie et conservé à Boston, est encore copié par des facteurs d’instruments anciens. Leur division consacrée à la fabrication d’excellents pianos a été active jusqu’en 1980. Vers 1840, deux frères Schiedmayer, Johann et Paul étudiaient à Paris auprès du créateur du célesta, Victor Mustel, et obtinrent la licence pour fabriquer ces instruments dans leur usine familiale à Stuttgart. Jusqu’aujourd’hui !
Son : 10 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10
Xavier Ribera