Ces trop rares quatuors à cordes de Reinhold Glière
Reinhold Glière (1875-1956) : Quatuors à cordes n° 1 en la majeur op. 2 et n° 2 en sol mineur op. 20. Quatuor Glière. 2020/21. Notice en polonais et en anglais. 55.49. Dux 1706.
Reinhold Glière, dont la longue existence aura connu l’évolution de la société russe depuis la période des derniers tsars jusqu’à la disparition de Staline auquel il a survécu trois ans, n’aura, à titre personnel, subi aucun dommage. Sans idéologie personnelle, il s’est révélé capable de s’adapter à tous les changements et à toutes les circonstances, sa carrière étant récompensée par de nombreux prix. Originaire de Kiev, il étudie dans sa cité natale avant de se perfectionner au Conservatoire de Moscou auprès de Taneïev, Ippolitov-Ivanov et Arensky. A Berlin, il est formé à la direction d’orchestre par Oskar Fried de 1905 à 1908. Il se consacre ensuite à l’enseignement à Kiev, où il est directeur du Conservatoire, puis à Moscou à partir de 1920. Parmi ses élèves, on peut citer Khatchatourian, Miaskowski, Mossolov, Lyatoshynsky et Prokofiev, ce dernier en cours privés. Glière laisse une abondante production dans les domaines les plus variés, dont trois symphonies, bien servies notamment par le BBC Symphony Orchestra dirigé par Edward Downes (Chandos). La très longue troisième de 1912, sous-titrée « Ilya Murometz » bénéficie d’une magistrale et grandiose orchestration. Le style de Glière est résolument postromantique et s’inscrit dans la filiation de Borodine et de Glazounov.
La musique de chambre de Glière (quatre quatuors, des sextuors, un octuor…) est moins documentée. On salue donc avec intérêt le présent album Dux qui propose les deux premiers quatuors, témoignages des débuts de carrière du compositeur. L’opus 2 date de 1900. A vingt-cinq ans, Glière maîtrise la fraîcheur d’un lyrisme qui se souvient de Tchaïkovsky et d’Anton Rubinstein. Les mélodies sont tendres, simples et d’une belle transparence, baignées d’émotion et de réminiscences de thèmes folkloriques. Le compositeur ne verse pas dans le sentimentalisme : le troisième mouvement, avec sa série de variations, mélange adroitement le rythme et la verve dansante, tout en les entourant d’une mélancolie sans excès. Le Quatuor n° 2 de 1905, dédié à Rimsky-Korsakov, apparaît comme plus tendu, avec une maturité plus affirmée qui annonce les développements symphoniques qui apparaîtront bientôt. Les couleurs sont franches, les épisodes font écho à des mélodies russes et à des éléments folkloriques. On y trouve aussi un final à l’orientale, vigoureux et ardent.
Le Quatuor Glière, fondé en 2017 à Vienne, se devait de se mettre au service du compositeur dont il porte le nom. Le premier violon, l’Austro-ukrainien Wladislaw Winokurow a fondé un ensemble qui s’est spécialisé dans la musique russe et ukrainienne se situant au tournant des XIXe et XXe siècles. Ses partenaires sont la violoniste austro-polonaise Dominika Falger et l’altiste allemand Martin Edelmann, tous deux membres des Wiener Symphoniker ; le violoncelliste hongrois Endre F. Stankowsky, soliste de l’Opéra de Budapest, complète l’équipe qui déploie une véritable joie de jouer ensemble. Dynamisme, cohésion, lyrisme affirmé servent avec bonheur ces pages méconnues et rejoignent en termes de qualité la version du Quatuor Pulzus (Hungaroton, 2006). On ne peut qu’espérer que les interprètes d’aujourd’hui enregistrent les deux autres quatuors de Glière.
Le présent album, gravé en deux sessions, en août 2020 et en avril 2021, est joliment enrichi par la reproduction de six peintures à l’eau du Polonais Bartlomiej Michalowski (°1964). Il s’agit de scènes de nature très colorées qui ajoutent des lumières bienvenues au livret d’accompagnement.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 8,5 Interprétation : 10
Jean Lacroix