Clare Hammond, musiques en variations

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Dans le flot ininterrompu des parutions que Crescendo reçoit chaque semaine, certains albums se distinguent d’emblée par leur concept éditorial. C’est ainsi que l’album Variations de la pianiste Clare Hammond captive d’emblée par le panel de compositeurs mis à l’honneur : Szymanowski, Lachenmann, Birtwistle, Adams, Copland, Hindemith, Gubaidulina. 

Votre nouvel album se nomme Variations. Le précédent, Études, proposait des œuvres de multiples compositeurs. Est-ce que cette approche par thème est importante pour vous ? 

Je n’ai pas "voulu" réaliser un deuxième album structuré de la même façon que Études, mais le format est né naturellement du matériau. Je ne crois pas qu’un thème strict soit essentiel pour élaborer un programme d’enregistrement mais, dans ce cas-ci, c’était la solution la plus simple et la plus logique.

Le programme de l'album sort complètement des sentiers battus et s’affranchit des frontières géographiques. Vous proposez des œuvres de Szymanowski, Lachenmann, Birtwistle, Adams, Copland, Hindemith, Gubaidulina. Comment avez-vous choisi ces compositeurs et cette compositrice ?

Les deux premières œuvres que j’ai découvertes étaient les Variations de Szymanowski et la Chaconne de Gubaidulina. J’étais frappée par les deux approches tout à fait différentes que ces deux compositeurs ont eu d’une même forme. Les Variations de Szymanowski sont romantiques, pleines de passion ; elles coulent comme une série de tableaux, un peu comme les Tableaux d’une Exposition de Moussorgski. Dans la Chaconne, Gubaidulina utilise le même principe -la répétition d’un thème court- dans un sens dramatique. Une sensation profonde d’accumulation et de stratifications émerge dans l'œuvre, même pendant les passages plus méditatifs. La pièce ne dure que neuf minutes, mais la montée en puissance est monolithique.

Après ces deux pièces, j’ai décidé d’explorer d’autres variations de compositeurs des XXe et XXIe siècles. J’ai découvert une palette étonnante d’approches : la douleur tendre d’Hindemith, les textures extraordinairement imaginatives de Birtwistle ou la conviction intransigeante de Copland. Ce programme est le plus exigeant que j'aie jamais enregistré, à cause de cette diversité. J’ai appris énormément sur l’instrument et sur l’expression.

 Les variations ont été pratiquées par de nombreux compositeurs à travers les siècles. Les compositeurs que vous mettez à l'honneur sont du XXe et du XXIe siècles, période que l’on n’associe pas foncièrement aux variations, avec une musique souvent intellectuelle. Comment ces compositeurs se sont-ils approprié cette forme musicale ?

J’ai déjà décrit les différences entre les approches de Szymanowski et Gubaidulina.Les Variations d’Adams et d' Hindemith sont structurées selon des lignes plus traditionnelles. On entend le thème, puis ils présentent des tableaux variés, avec une mélodie que l’on reconnaît, mais dans un cadre inattendu.

La pièce de Lachenmann commence d’une manière parfaitement stéréotypée, avec une danse de Schubert, mais, dès la première variation, il quitte le modèle. Il prend les outils, dirais-je, des variations classiques, mais dans un style tout à fait moderne, imprégné d’un esprit sardonique et irrévérencieux.

Dans les Variations de Copland, on ne rencontre pas un thème au sens habituel, mais une collection de notes qu’il déploie de manière presque sérielle. La musique est à la fois émaciée et résolue ; elle avance avec une force indomptable.

Quant à Birtwistle, je ne peux pas vraiment décrire comment il approche la forme, parce que je ne la comprends pas moi-même ! Mais je suis frappée par l’imagination avec laquelle il crée des sonorités et des couleurs. Je crois que c’est la pièce la plus originale que j’aie jamais jouée !

Les styles de ces compositeurs sont très différents ! Comment définir le fil conducteur commun à toutes ces œuvres ? 

À mes yeux, c'est simplement la forme qu’ils partagent. C'est le point commun à chacune de ces pièces et ce qui construit la logique du programme.

J’ai lu que vous avez rédigé une thèse sur les concertos pour piano pour la main gauche du XXe siècle commandés par le pianiste Paul Wittgenstein, ce qui est à nouveau un sujet peu commun. Qu’est-ce qui vous avait attirée vers ces œuvres ? 

J’ai joué le Prélude et le Nocturne de Scriabine quand j’étais jeune, qui sont écrits pour la main gauche ; c’est ainsi que j’ai appris que ce genre existait. Mais j'ai été surprise de découvrir l'existence des concertos pour la main gauche : je ne pouvais pas imaginer comment lutter avec un orchestre en utilisant un seul bras. J’étais fascinée par les choix que l’on doit faire, comme compositeur, pour assurer une force suffisante au pianiste, et pour que la limite des moyens devienne une ressource expressive.

Votre carrière se développe en Grande-Bretagne. Est-ce que le public des pays francophones aura la chance de vous entendre en concert ? Vous parlez d’ailleurs très bien le français : vous l’avez appris en Grande-Bretagne ? 

Je prépare actuellement un disque des Etudes de la compositrice française Hélène de Montgeroult, et je suis en train d’organiser un récital dans son ancien château, à Montgeroult, en juillet 2021. Le disque sortira en septembre 2022 et j’espère avoir des concerts pour jouer sa musique dans les pays francophones pendant la saison 2022-23. Quant à mon français, je l’ai appris en Grande-Bretagne avec des professeurs exceptionnels et des amis luxembourgeois à l’Université, et grâce à la pianiste Anne Queffélec avec qui j’ai travaillé pendant deux ans. J’adore la culture francophone et j’ai hâte de voyager à nouveau en Belgique et en France après la pandémie !

Le site de Clare Hammond : http://clarehammond.com

  • A écouter  : 

Variations - Oeuvres de Szymanowski, Lachenmann, Birtwistle, Adams, Copland, Hindemith, Gubaidulina. Clare Hammond, piano. 1 SACD Bis 2493.

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

Crédits photographiques : Julie Kim

 

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