Elisabeth Leonskaja signe une intégrale sensible des sonates de Mozart

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour piano, intégrale. Elisabeth Leonskaja, piano. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 396.30. Un coffret de s6 CD Warner 0190296457821.

Le palmarès de la session piano du Concours Reine Elisabeth 1968, remporté par la très jeune Russe Ekaterina Novitskaja, laisse rêveur, tellement le plateau de la finale était relevé. On trouvait, parmi les lauréats, quelques noms qui deviendront familiers : Jeffrey Siegel, André De Groote, François-Joël Thiollier, Mitsuko Uchida ou François-René Duchâble. Mais encore trois autres Russes, dont Elisabeth Leonskaja. Née en 1945 à Tbilissi, cette dernière a étudié au Conservatoire de Moscou avant d’entamer un parcours qu’une note admirative de la pianiste française Shani Diluka éclaire : Personnalité unique et généreuse, son humilité n’a d’égale qu’une carrière exceptionnelle nourrie des plus grandes rencontres, commençant par l’héritage du grand Neuhaus en passant par ses collaborations avec son mentor et ami Sviatoslav Richter ou le légendaire Philippe Hirschhorn, ainsi qu’une vaste discographie qui fait référence. On ne peut que souscrire à ce mini-portrait d’Elisabeth Leonskaja, établie à Vienne depuis 1978 : ses interprétations ont enrichi le répertoire pianistique, tout particulièrement celui des grandes figures du XIXe siècle. Cette fois, c’est une intégrale des sonates de Mozart qu’elle propose, gravées en la Sendesaal de Brême en deux sessions, en janvier, puis en avril 2021.

La présentation de ce coffret a été confiée au musicologue canadien Cliff Eisen (°1952), un spécialiste de Mozart auquel il a consacré une série de travaux. On lira avec intérêt le résumé qu’il fait en quatre pages de la composition des sonates, depuis la première, fin 1774/début 1775, donc assez tardivement pour la précocité de notre génie, jusqu’aux ultimes K. 570 et 576, composées à Vienne en 1789. Un premier groupe réunit les six premières, composées à Salzbourg et Munich, la dernière étant la K. 284, qui déploie une technique sophistiquée et des sonorités presque orchestrales. Suivent trois sonates, deux de Mannheim, K. 309 et 311, la K. 310 étant écrite à Paris, peut-être suite au décès de sa mère, au cours des années 1777/78, plus avancées en termes de technique et de suggestivité.  Il y a hésitation sur la datation des suivantes K.330 à 333, publiées à Vienne en 1784, mais composées sans doute auparavant en divers lieux, les avis divergent : Paris, Munich, Linz, Vienne… Le dernier groupe couvre les années viennoises 1784 à 1789, avec des sonates de plus grandes dimensions et un éventail expressif de plus en plus large. Au fil du temps, Mozart, qui utilise toujours le même schéma en trois mouvements, va évoluer dans la beauté de son inspiration, l’amélioration de certains instruments, comme le piano Stein qu’il découvre à Mannheim et qu’il décrit dans une lettre à son père comme « fabuleux », nourrissant son écriture.

C’est cette évolution de l’inspiration et du style qu’Elisabeth Leonskaja met en évidence tout au long d’une intégrale qui apparaît comme une évidence, rendue avec une pudeur sensible, une souplesse de chaque instant et un choix de tempi qui permettent aux partitions de respirer, sans excès de précipitation ni de ralentissement. Il y a un équilibre clair et souverain qui s’établit au fil des propositions ; il ne néglige cependant ni les aspects émotionnels (désarroi, mélancolie, douleur, tendresse, charme, raffinement…), ni une réflexion sur la lumière ou les zones d’ombre qui apparaissent au détour des pages. Avec une élégance qui se pare aussi bien de simplicité que de partage avec le vécu du compositeur, la pianiste offre une continuité du discours qui englobe quinze années d’une existence dont on mesure ainsi la plénitude. Leonskaja n’injecte aucune donnée qui pourrait être considérée comme pédagogique, elle instaure une lecture de connivence qui séduit l’oreille tout autant que le cœur. En sont témoins, pour ne citer que ces exemples-là, la fameuse K.331 au sein de laquelle le rondo Alla turca si rabâché prend de la hauteur, la K. 457 dont l’Adagio distille un irrésistible parfum de nuit, la K. 545, surnommée « facile », à laquelle notre virtuose apporte un poids d’inventivité, ou les deux dernières, K. 570 et 576, dont la finesse de texture, selon les mots utilisés par Cliff Eisen, relève, sous les doigts de Leonskaja, d’une esthétique soignée.

Voilà une intégrale qui comblera les mélomanes les plus friands de l’univers mozartien, et qui va rejoindre, pour ne citer que ceux-là, les univers déjà anciens, mais toujours riches de sens, de Paul Badura-Skoda, Daniel Barenboim, Maria João Pires ou Mitsuko Uchida. Les couvertures de chacune des six pochettes intérieures montrent une photographie différente de la grande dame du piano qu’est Elisabeth Leonskaja, passant de la profondeur du regard à celle de la méditation, mais aussi du sourire presque malicieux à la joie la plus intense. Le message mozartien est aussi offert dans ces instantanés bienvenus.

Son : 10    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation. : 10

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.