Création belge des 20 études de Philip Glass par Maki Namekawa à Bozar

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Certains concerts ont le don d’ouvrir les yeux sur les qualités d’un interprète et de révéler, du même coup, une œuvre qu’un disque n’avait pas permis d’apprécier à leur juste valeur.

Il y a quelques jours, Crescendo se faisait l’écho d’une interprétation fort convaincante de Mantra de Stockhausen, le 16 novembre 2018 à Bozar, dans le cadre du festival Ars Musica.

Même salle, même festival, mais mantras d’un tout autre genre, ce 21 novembre 2018. Le public lui-même semblait bien différent de celui composé des adeptes de l’École de Darmstadt. Composé de mélomanes manifestement issus d’horizons très divers, il était surtout très touffu ! On le sait, Philip Glass, sans faire l’unanimité dans le cénacle musical professionnel (mais quel compositeur vivant peut se targuer de le faire ?), déplace les foules.

Au programme de cette soirée, le cycle complet des Études pour piano. Fruit de diverses commandes, ces vingt pages furent écrites entre 1991 et 2012, dans un double but : alimenter les programmes de concerts solo du compositeur-interprète qu’est Philip Glass et lui permettre d’améliorer sa technique pianistique. L’objectif didactique explique les tempi variés et les contrastes dynamiques qui émaillent le cycle. Le caractère répétitif de la musique de Glass n’aura jamais trouvé meilleure justification que dans ces « mises en doigts ». Outre l’esthétique minimaliste, on y retrouve ces séries d’arpèges ou d’accords brisés, ces mélodies évoluant « par paliers », en forme de gammes, et surtout ces pulsations rythmiques qui confèrent à la plupart des œuvres de Glass les traits de mouvements perpétuels. Malgré son ancrage tonal très marqué, la musique de Glass surprend régulièrement l’auditeur en plaçant sur le parcours harmonique conventionnel des accords inattendus, accidentés, sur lesquels trébuchent les habitudes auditives. Ces ellipses aussi abruptes que passagères, qui amorcent une modulation pour la déminer aussitôt, endiguent autant que faire se peut la monotonie qui n’aurait pas manqué autrement de s’installer.

Maki Namewaka, que les fans de Glass connaissent bien, exécuta le cycle complet des Etudes en première mondiale, avec la collaboration du compositeur, en 2013 lors du Perth International Arts Festival -commanditaire des 3 dernières études à l’occasion des 75 ans du compositeur. Dès l’année suivante, elle assura également le premier enregistrement intégral officiel. Cet album (Orange Mountain Music OMM 0098) se hissa rapidement au sommet des ventes i-Tunes Classique, où il se maintint durant plusieurs semaines. Depuis lors, de très nombreux pianistes jouent et enregistrent ces pièces.

Pour une raison que je ne m’explique plus aujourd’hui, cet enregistrement des Études m’avait laissé relativement indifférent il y a quelques années. Plusieurs pièces m’avaient pourtant semblé intrinsèquement intéressantes. Je brûlais donc d’envie d’assister à la création belge de ce cycle afin de mettre à l’épreuve ma première impression. Grand bien m’en prit !

Glass voit en Namekawa « l’une des meilleures interprètes qui soient ». Peu importe que ce compliment paraisse un brin excessif, le compositeur a assurément raison sur un point : Namekawa a une affinité particulière pour sa musique et s’y voue tout entière. Glass a fort bien cerné ses atouts : capable de jouer vite tout en conservant de la clarté et de la puissance, la pianiste japonaise a livré des deux Livres d’Études une interprétation vivace, dans tous les sens du terme, où la rondeur, l’épaisseur et la couleur du son le disputaient à la régularité et au panache des tempi. Fougueuse et expressive, l’ancienne élève de Pierre-Laurent Aimard a pris son pied dans ce programme d’un peu plus de deux heures, qui requiert autant d’endurance que de précision. Bravant les chœurs de toux émanant de la salle, elle s’est lancée à corps perdu dans la danse. Il fallait la voir, dans son kimono fleuri et son pantalon fushia, safraner le clavier et faire piaffer les pédales, le sourire aux lèvres et le bonheur au cœur. Rare moment de détente teinté de mélancolie, l’Étude n°5 manquait d’un tantinet de relief, mais l’âme n’a plus cessé de s’épancher ensuite, depuis la sixième page (l’une des plus intéressantes du cycle) jusqu’au terme du premier Livre, faisant briller avec un éclat particulier les Études n°7 à 9. Après la pause, changement de Livre… et de kimono. Ce second volet, dans lequel Glass s’est employé à travailler davantage le rythme et l’harmonie, fut dans la même veine que le premier ; notre vaine à nous fut donc, elle aussi, inaltérée.

Notre plaisir fut d’autant plus grand que la pianiste avait eu l’excellente idée d’associer au mouvement enivrant de la musique les images du plasticien Cori O’lan, plaçant décidément la soirée sous un signe hautement cinétique ! Depuis la sortie du CD des Études par Maki Namekawa, O’lan collabore assidument avec cette dernière et son mari, le chef d’orchestre Dennis Russell Davies, autour de l’œuvre de Glass. Ses impressions visuelles reposent sur des algorithmes élaborés avec le concours de l’Ars Electronica Futurelab, une plateforme autrichienne de recherche en art et technologie. Elles ont notamment rehaussé une production du Concerto pour orgue de Poulenc par le Los Angeles Philharmonic sous la direction d’Esa-Pekka Salonen. Créées en live par ordinateur et projetées durant l’interprétation, les créations d’O’lan ont « traduit » en images, en temps réel, la musique de Glass avec ingéniosité, mettant encore davantage en évidence les jeux de mouvement et de résonance qui la caractérisent.

Depuis ce 21 novembre, je réécoute sous un jour nouveau, et avec un plaisir accru, l’enregistrement des Études signé Maki Namekawa. Et j’attends son retour pour qu’elle me convainque, peut-être, de l’intérêt de « sa » version de Mishima

Olivier Vrins

Bozar, 21 novembre 2018

Crédits photographiques : Maki Namekawa / Ars Electronica

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