De Scriabine à Scriabine en passant par Pasternak !

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Alexandre SCRIABINE (1872-1915) : Dix préludes, op.11 - poème, op.32 n°1 - Trois pièces, op.45 - Sonate n°9, op.68 - Poème vers la flamme, op.72.  Boris PASTERNAK (1890-1960) : Deux préludes.  Julian SCRIABINE (1908-1919) : Quatre préludes. Ludmila Berlinskaya, piano.  2017 - ADD - 57'19 - Textes de présentation en anglais, français et russe - Melodiya MEL CD 10 02398.

A première vue, la jaquette de cet enregistrement nous invite à un récital Scriabine par Ludmila Berlinskaya, la pianiste russe installée à Paris depuis une trentaine d'années. C'est partiellement vrai mais quelques interludes nous réservent de réelles surprises.

Assez anecdotiques, deux préludes composés à 16 ans par Boris Pasternak, le futur auteur du Docteur Jivago, Prix Nobel de littérature en 1958. On ignore souvent que Pasternak, influencé par Alexandre Scriabine, s'est d'abord orienté pendant six ans vers une carrière musicale, avant de se tourner vers les études de droit sous le prétexte qu'il n'avait pas l'oreille absolue.

Totalement surprenants, par contre, les quatre préludes de Julian Scriabine, le dernier fils de Scriabine qui s'est noyé dans le Dniepr à onze ans. Ce sont de petits chefs d'oeuvre d'une maturité hors du commun, écrits par un enfant de dix ans, plongé dans les dernières audaces harmoniques de son père qui mourra quatre ans après lui.

De ce Scriabine père, Ludmila Berlinskaya a conçu un florilège de ses nombreuses compositions pour le piano. Le récital est organisé chronologiquement. Les deux pièces de Pasternak viennent après une sélection de dix des vingt-quatre préludes de l'opus 11, hommage indirect à Chopin et la quatrième Sonate, sorte de quête d'un idéal lointain, d'après son auteur ; Je te bois, ô, la mer de lumière ! je t'engloutis, la lumière, en dit-il. Après Pasternak et avant Julian, suivent quelques pièces dont le poème op. 32, n°1, un nouveau genre musical de Scriabine qui culminera dans le célèbre Poème de l'extase pour orchestre et, surtout, la 9e Sonate, la célèbre Messe noire. Scriabine en aurait dit : elle est terrible cette sonat; il y a en elle tant de forces du Mal. J'y ai touché de près le satanique. Il y a dedans le véritable Mal. Le récital se termine après les superbes préludes de Julian, par le poème op. 72, vers la flamme, une flamme à peine visible au début qui devient de plus en plus intense pour culminer dans l'extase finale.

Ludmila Berlinskaya est la fille de Valentin Berlinsky, le violoncelliste du quatuor Borodine de 1945 à 2007 ; la formation qu'elle a reçue à Moscou et l'environnement culturel dans lequel elle a grandi lui permettent évidemment d'aborder spontanément ces pièces de difficulté transcendante. On se rappelle qu'elle a, par exemple, enregistré les Bilder aus Osten de Schumann à quatre mains avec Sviatoslav Richter. Sur ce beau Yamaha CFX de concert, elle offre cette sonorité claire et savoureuse, un jeu subtil de pédales et cette respiration parfaite, des qualités indispensables dans ce répertoire harmoniquement audacieux, richement coloré, déjà tourné vers les douze tons que Schoenberg rationalisera bientôt.

Avec le choix d'un enregistrement analogique, d'une prise de son de qualité au studio Melodiya de Moscou et d'un livret bien documenté, voilà donc un enregistrement diablement intéressant à découvrir, comme l'aurait probablement commenté Scriabine.

Son 9 – Livret 8 Répertoire 9 – Interprétation 9

 

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