Découverte des deux premiers quatuors de Van Bree
Johannes Bernardus Van Bree (1801-1857) : Quatuor à cordes no 1 en la mineur. Quatuor à cordes no 2 en mi bémol majeur. Utrecht String Quartet. Eeva Koskinen, Katherine Routley, violon. Mikhail Zemtsov, alto. Sebastian Koloski, violoncelle. 2023. Livret en anglais, français, allemand. 53’40''. MDG 603 2302-2
Habitué des répertoires mésestimés, peu représentés dans la discographie (dans le giron russe, on citera les quintettes de Sergueï Taneïev, l’intégrale des quatuors d’Alexandre Glazounov), l’Utrecht String Quartet nous propose ici deux œuvres chambristes d’un compositeur dont la notoriété survit principalement grâce à un Allegro écrit pour la nomenclature très inhabituelle de quatre quatuors à cordes. Et pourtant ce natif d’Amsterdam marqua en son temps la vie musicale des Pays-Bas dans la première partie du XIXe siècle.
Aguerri comme pianiste et surtout violoniste, on le retrouve à la tête d’un chœur qu’il constitua en 1828, d’un solide ensemble instrumental associé par Felix Meritis qu’il dirigea pendant plus de deux décennies, puis d’une « Maatschappij Cecilia » qu’il avait instituée et qui s’avéra le premier orchestre professionnel du pays. Autre gage de son ambition de bâtisseur, Van Bree se distingua aussi au sein du « Amsterdamsche Quartet-Vereeniging » qu’il avait fondé en 1838 et qui passe pour le premier quatuor à cordes d’envergure nationale, offrant au public le répertoire classico-romantique (Joseph Haydn, George Onslow, Ludwig Spohr, Ludwig van Beethoven, Felix Mendelssohn, Robert Schumann…) et quelques auteurs locaux.
Même si le talent essentiellement autodidacte de Van Bree le préserva des modèles inculqués, son langage n’est pas exempt d’influence. Ainsi le langage post-haydnien du premier quatuor édité à Bonn par Simrock (1833), et dédié à son confrère Berthold Tours de Rotterdam, se voit troussé de tournures passagèrement chantournées, dont les cascades de trilles valorisent le violon soliste, quand les trois comparses font tapisserie. La veine ornementaliste des allegros fait parfois penser au style concertant d’un Giovanni Battista Viotti (1755-1824).
Attention, les tonalités affichées dans la notice du CD sont inversées, puisque cette œuvre répond au la mineur, tandis que le quatuor suivant (1840) cultive le mi bémol majeur, dans un canevas plus polyphonique qui rappelle les créations médianes de Schubert et surtout Beethoven. La concertation entre les archets s’y fait plus équilibrée, la mélodie plus nourricière, intériorisée et moins décorative. On observera aussi que le Minuetto du premier quatuor laisse ici place à un Scherzo, d’un goût modernisé. On s’étonnera néanmoins de la scansion pré-brucknérienne de ce menuet, son rythme carré et affirmatif, son puissant ostinato à l’unisson.
Voilà vingt-cinq ans, chez le label néerlandais NM, le Nomos Quartet enregistrait le troisième des quatre quatuors à cordes de Van Bree –le quatrième, jamais publié, est égaré. Le présent disque complète donc la série de ce qui reste accessible. Toutefois, sans démériter, la prestation finement colorée et articulée, très harmonieuse à l’oreille, manque pourtant de charisme pour que la découverte suscite l’enthousiasme d’une révélation. Le lyrisme des deux Adagios semble un peu creux sous les archets. Le vif tuilage anapestique du Scherzo (deux croches – blanche) apparait trop savonné pour réussir l’effet d’accroche. Et dans le précédent opus, les contributions du primus, malgré leur souplesse, semblent un peu blasées et n’assument pas totalement les péripéties tape-à-l’œil de ce genre de « quatuor brillant ». Après un album consacré à Johannes Verhulst (1816-1891) par la même équipe, on pouvait espérer que le regard jeté sur son compatriote se montre plus convaincant qu’un avocat commis d’office.
Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 7
Christophe Steyne