Dossier Mendelssohn (I) : le Mozart du romantisme ?

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Curieux destin que celui de Mendelssohn. Adulé par les uns comme Schumann qui en disait : Mendelssohn est le premier musicien qui ait fait une place aux grâces dans la maison de Dieu ; dénigré par les autres comme le féroce Monsieur Croche, alias Claude Debussy, qui l'appelait ce notaire élégant et facile. Dans son ouvrage sur La génération romantique, Charles Rosen intitule le chapitre qu'il lui consacre Mendelssohn ou l'invention du kitch religieux. On le voit : Mendelssohn ne partage pas la même place que ses augustes prédécesseurs Bach, Mozart, Beethoven ou Haydn ni que ses contemporains Chopin, Liszt, Schumann ou son jeune cadet Wagner au Panthéon des musiciens. Car, Mendelssohn est bien le contemporain de Chopin, de Liszt, de Schumann et de Wagner qui, comme lui, vont accorder leur langage musical au romantisme allemand en pleine expansion. Comme Chopin et Schumann, il ne connaîtra pas la vieillesse. Il meurt prématurément en 1847, à 38 ans ; Chopin le suivra en 1849 à 39 ans et Schumann en 1856 à 46 ans. Peut-être était-il prédestiné par son prénom Felix ? En effet, cette existence trop courte aura été remplie, efficace et surtout heureuse, une qualité que le romantisme naissant n'aime guère, lui préférant le tragique de la vie. Enfant prodige comme Mozart, il a comme lui une sœur plus âgée, Fanny, douée pour la musique. Ce n'est pas sans raison qu'on l'appellera parfois le Mozart du romantisme. Car c'est vrai que, comme Mozart ou Haydn, il a le goût de la forme musicale nette et bien organisée dans la grande tradition classique.

Issu d'une lignée juive, petit-fils de Moses Mendelssohn, le philosophe juif des Lumières allemandes, le jeune Felix naît à Hambourg le 3 février et grandit dans une Allemagne qui cherche son équilibre entre les réformes luthériennes ou calvinistes et la plus que millénaire Eglise catholique. Son père Abraham est fort soucieux de la germanisation de sa famille dans la nouvelle Allemagne toujours marquée par l'ancienne Guerre de Trente Ans et plongée dans les désastreuses guerres napoléoniennes ; forcé de quitter Hambourg en 1811 suite à l'occupation française et à l'approche russe, il devient banquier à Berlin où il fera baptiser dès 1816 ses quatre enfants, Fanny Caecilie, Jakob Ludwig Felix, Rebecca et Paul Hermann avant de se convertir lui-même en 1822. N'est-il pas indicatif à ce propos que les deux seuls oratorios que Mendelssohn ait écrits le soient, le premier, Paulus, sur les paroles du disciple le plus présent dans le Nouveau Testament chrétien, et le second, Elias, sur des thèmes pris dans l'Ancien Testament si cher aux écritures juives. C'est également par cette volonté d'intégration dans l'Allemagne chrétienne qu'Abraham Mendelssohn, devenu banquier berlinois, adjoindra à son nom de forte consonance traditionnelle judaïque -il est le petit-fils de Menahem Mendel- le patronyme de Bartholdy, son beau-frère ; une tradition à laquelle Felix rechignera beaucoup mais se pliera néanmoins comme l'attestent ses nombreuses signatures officielles.

 

C'est donc dans un milieu économiquement privilégié que Felix Mendelssohn grandit. Très vite, il montre les qualités qu'on ne lui niera jamais : le raffinement, l'intelligence et de prodigieuses facilités musicales. Il apprend le piano et le violon, les langues étrangères et les disciplines artistiques ; jusqu'à ses derniers jours, il aimera se livrer à esquisses, dessins, aquarelles et peintures plus élaborées où, comme en musique, il excelle. Il obéit aux préceptes de la bourgeoisie économique aisée berlinoise et voyagera sans cesse pendant ses deux premières décennies. Elève de la célèbre Académie de chant de Berlin, son professeur, le directeur Carl Friedrich Zelter, lui fera connaître Goethe qui les invite plus de deux semaines chez lui à Weimar. Goethe aussi voyait en Mendelssohn l'enfant prodige Mozart qu'il avait connu au même âge. 

Mais Zelter fait aussi découvrir Bach au jeune Mendelssohn. Le Clavier bien tempéré est la pierre de touche de son enseignement. Et si c'est Felix qui dirigera en mars 1829 la Passion selon Saint Matthieu, c'est bien son maître Zelter qui officiera comme chef des chœurs, même s'il trouvait l'œuvre injouable. Mendelssohn n'oubliera jamais Zelter mais l'antisémitisme latent l'empêchera de briguer sa succession à sa mort en 1832.

Société berlinoise oblige : les concerts privés du dimanche sont une tradition. Ainsi en va-t-il chez les Mendelssohn. Pour le salon familial, le jeune Felix se frotte à la composition et de quelle manière ! Il s'illustre dans la forme concertante. Il écrit pour ces concerts dominicaux : un Concerto pour violon en ré mineur (1822) pour son ami Eduard Rietz de sept ans son aîné, un Concerto pour piano en la mineur, clairement inspiré de celui de Hummel dans la même tonalité (1822), un Concerto pour piano et violon en ré mineur où la technique du violon montre un Mendelssohn déjà bien à l'aise dans cet instrument (1823), deux Concertos pour deux pianos l'un en mi où il partagera les claviers avec Fanny à l'occasion du 19e anniversaire de celle-ci (1823), l'autre en la bémol où c'est son aîné de 15 ans, Ignaz Moscheles, qui tiendra la seconde partie (1824). Moscheles sera à nouveau le disciple de Mendelssohn lors la première publique du Concerto en mi à Londres en 1829. La majorité de ces manuscrits de jeunesse ne seront retrouvés qu'en 1950 à la Staatsbibliothek de Berlin, l'ancienne Königliche Bibliothek à laquelle ils avaient été donnés par les héritiers de Mendelssohn. Ces partitions pleines de charme et de spontanéité n'ont pas encore trouvé complet droit de cité dans nos concerts ; heureusement, on les entend de plus en plus fréquemment et avec le plus grand plaisir.

On a également redécouvert, au milieu du XXe siècle, l'imposant corpus des Douze symphonies de jeunesse pour orchestre à cordes écrites entre 1821 et 1823. Si les 6 premières symphonies sont assez rudimentaires comme on est en droit de s'y attendre de la part d'un enfant de 12 ans, les suivantes sont de merveilleux exercices préparatoires aux cinq "grandes" symphonies, en particulier à la Première symphonie en do mineur de 1824 qui se verra attribuer le numéro d'opus 11. Car la série des œuvres reconnues dans le catalogue officiel a débuté. Mendelssohn compose sans répit entre 1822 et 1827 et aborde tous les genres ! Les trois premiers opus sont les pétillants Quatuors à clavier en do mineur op. 1 (1822), en fa mineur op. 2 (1823), en si mineur op. 3 (1824-1825), la Sonate en fa mineur pour piano et violon op. 4 (1825) ; les trois opus de 5 à 7 s'égrènent un par année sur 1825, 1826 et 1827 et concernent le piano, nous y reviendrons. Les op. 8 et 9 sont deux cycles de Lieder composés principalement entre 1828 et 1830 et où, sans scrupule, sont parfois publiées des compositions de la sœur Fanny sous le nom de Felix. On constate déjà les écueils de la numérotation en opus chez Mendelssohn qui ne respecte guère la chronologie. Limitons-nous donc pour le moment aux œuvres de la fin de l'adolescence, de l'écolage, pourrions-nous dire, que nous fixons à 1826.

Une surprise arrive déjà avec l'opus 10 qui nous révèle un Mendelssohn inattendu, compositeur d'opéra. Les Noces de Camacho sont écrites en 1824 et 1825 d'après le « Don Quichotte » de Cervantès. C'est le premier opéra de Mendelssohn qui est créé publiquement. Mais sa représentation au Schauspielhaus de Berlin en avril 1827 est un échec qui laisse son auteur dépité. Il ne reviendra plus à l'opéra mais forgera sa revanche dans ses musiques de scène. Pourtant, comme pour les symphonies, comme pour les concertos, le jeune Felix s'était fait la main avec pas moins de quatre Singspiele en un acte : Ich, J. Mendelssohn (Moi, J. Mendelssohn), Die Soldatenliebschaft (les amours de soldats), Die beide pädagogen (les deux précepteurs), Die wandernden Komödianten (les comédiens itinérants), Die beiden Neffen oder Der Onkel aus Boston (les deux neveux ou l'oncle de Boston). Le Singspiel Heimkehr aus der fremde (En revenant de l'étranger) est écrit pour les noces d'argent des parents Mendelssohn en 1829. Il aura un peu plus de succès et sera représenté à Leipzig et à Londres en 1851 après la mort de Mendelssohn. En 1865, à Paris, il sera donné en français sous le titre de Lisbeth ou la cinquantaine.

Avons-nous déjà ici un début de clé de jugement sur l'œuvre de Mendelssohn ? Les œuvres de Mendelssohn ont la grâce et l'élégance mozartienne mais sans l'impact dramatique de Mozart. Elles ont le lyrisme et la sensibilité schubertienne mais sans l'intensité de Schubert. Et Schubert lui aussi a connu l'échec dans le domaine de l'opéra !

Revenons aux compositions pour piano de cette période. Il s'agit du Capriccio en fa dièse mineur op. 5 (1825), de la Sonate en mi op. 6 (1826), des 7 Pièces caractéristiques op. 7 (1827). Il y a aussi le Rondo capriccioso en mi majeur de 1824 qui, précédé d'un andante de 1830, deviendra l'opus 14, la Fantaisie en mi majeur sur le Lied irlandais The Last Rose op.15 (1827) et la première œuvre cataloguée pour piano et orchestre, le Capriccio brillant en si mineur op. 22 (1825-1826). Il aimera cette formule de courtes œuvres concertantes pour piano et orchestre : suivront en 1834, le Rondo brillant en mi bémol op. 29 et en 1838, la Sérénade et allegro giocoso en si mineur op. 43.

L'esprit de Bach est déjà bien assimilé. On le ressent à l'audition de l'Andante, la première des 7 Pièces caractéristiques op. 7 ou au début du Capriccio op. 5 dans lequel il innove en donnant la perception d'une fugue sans l'écrire formellement : les entrées sont là mais il n'y a presque pas de contrepoint. Mais c'est Beethoven qui sera son modèle, le Beethoven qui est son contemporain : celui des derniers quatuors et des dernières sonates. L'influence est flagrante dans la Sonate op.6 dont le modèle d'inspiration est la 28e Sonate op.101 de Beethoven :

Le graphisme ne trompe pas, les thèmes ont la même allure et débutent tous deux par les mêmes notes -sol dièse et la- entonnées dans le même registre ; mais à regarder de plus près, on identifie vite ce qui sépare le modèle de sa réalisation par un jeune compositeur de 17 ans : la sonate de Beethoven est dans la tonalité de la majeur, celle de Mendelssohn en mi majeur. Beethoven débute à la dominante, mi, et non à la tonique, la. Il semble vouloir tromper l'auditeur en n'affirmant jamais cette tonalité de la. La tension reste maximale au point d'orgue en fa dièse mineur de la sixième mesure. Mendelssohn, au contraire, s'affirme d'emblée dans le mi majeur et impose sereinement cette tonalité. Les accords parfaits de mi foisonnent dans ces premières mesures. Non, Mendelssohn n'a pas le sens du tragique qui étreignait Beethoven ; il est un romantique heureux, il veut apaiser les tensions.

A 17 ans, le métier est donc bien acquis. Naissent alors deux chefs d'œuvre indiscutables : en 1825, l'Octuor pour cordes en mi bémol majeur pour cordes (4 violons, 2 altos, et 2 violoncelles) op. 20 et, l'année suivante, Ein Sommernachtstraum, l'ouverture de concert op.21 pour le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare.

Coup de maître que cet Octuor ! Son premier mouvement ne rompt pas avec le principe bithématique de la forme sonate classique mais il débute par un thème large qui va en s'amplifiant comme un flot tranquille. Wagner n'aura pas oublié ce début avec le prélude de son Or du Rhin. Le troisième mouvement, le scherzo, amène du sang nouveau dans la musique. C'est un miracle de grâce, d'élégance et de légèreté. Et la manière dont, dans le finale, Mendelssohn combine les thèmes du premier mouvement et du troisième, le scherzo, relève du génie. La forme cyclique qui sera si chère à César Franck a trouvé une première concrétisation sans faute. 

Coup de maître aussi que cette ouverture du Songe d'une nuit d'été. Le recours au fantastique de la légende d'Obéron qui venait de fasciner Weber ne pouvait que tenter le jeune Mendelssohn de 17 ans, féru de l'œuvre de Shakespeare, et qui va en livrer un résumé musical dans la meilleure veine romantique ; toute la magie de la légende d'Obéron et Titania est condensée dans les quatre accords des vents qui ouvrent cette évocation, sorte de "il était une fois" qui plonge l'auditeur dans l'atmosphère idyllique des contes de fées. Les trilles des violons qui suivent immédiatement nous montrent les palpitations des ailes des libellules et des elfes dans les forêts enchantées d'Athènes. On se laisse séduire par le chant d'amour et l'extase du second thème. Comment aussi ne pas être surpris par le hi-han de Bottom, l'homme à la tête d'âne.

Les années 1827-1829 verront aussi le jeune artiste se lancer à la conquête de la forme musicale qui est réputée être une des plus difficiles : le quatuor à cordes. Les deux premiers des six qu'il écrira datent de cette période : en 1827, le Quatuor en la mineur op. 13, celui en mi bémol op. 12 de 1829. Là aussi, l'influence de Beethoven est évidente ; Mendelssohn ne cache pas son inspiration des quatuors op. 95 et op. 132 de Beethoven dans le quatuor en la mineur et du quatuor op.74 dans celui en mi bémol. Les trois quatuors de l'op. 44, respectivement en ré, en mi mineur et en mi bémol suivront en 1837-1838 et, en 1847, le sixième quatuor en fa mineur, le requiem pour sa sœur bien aimée, publié sous l'opus posthume 80. La musique de chambre n'effrayera plus Mendelssohn. Deux Sonates pour piano et violoncelle op. 45 et 58, deux Trios op. 49 et 66, verront le jour. Le concert historique qui a été donné à la Maison Blanche en 1961 par Pablo Casals, Alexander Schneider et Miecyslaw Horzowski, à l'invitation du Président Kennedy, a fait du Trio en ré mineur une oeuvre majeure du répertoire de musique de chambre. 

1829 amène aussi l'innovation qui restera à jamais associée au nom de Mendelssohn : les Lieder ohne Wörte, improprement traduits comme les Romances sans paroles. Chants sans paroles aurait été plus proche mais pas complètement car on a ici de courts feuillets d'album sans programme d'une simple beauté séduisante. Le premier livre, l'op. 19b, est publié cette année 1829 ; suivront en 1834, l'op. 30, en 1837, l'op. 38, en 1841, l'op. 53, en 1844, l'op.62, en 1845, l'op. 67, ainsi que deux opus posthumes op. 85 et 102, tous recueils de six pièces. 

Les autres pièces pour piano seront relativement rares : Trois Caprices op. 16 (1829), la Fantaisie en fa dièse mineur parfois dénommée Sonate écossaise op.28, publiée en 1833. Entre 1832 et 1837, on trouve encore les Trois nouveaux Caprices op. 33 et les six impressionnants Préludes et fugues op. 35 et surtout, en 1841, les 17 Variations sérieuses op. 54. Ces variations sont publiées dans un recueil collectif destiné à financer le monument que Liszt veut construire pour Beethoven et qui sera inauguré à Bonn en 1845. Par leur invention, leurs contrepoints, leur expressivité et leur technique, ces variations sur un choral en ré mineur scellent définitivement le mariage du classicisme et du romantisme chez Mendelssohn. Les Variations en mi bémol et en si bémol de 1841 seront éditées de façon posthume (op.83 et 83b) de même que deux Sonates de jeunesse en sol mineur op. 105 (1821) et en si bémol op. 106 (1827). 

Ses pièces pour piano à quatre mains n'auront jamais le succès de celles de Schubert ou même de Schumann et restent injustement oubliées. Il est curieux de noter que Mendelssohn n'aura donc attaqué que timidement le répertoire de la sonate pour piano. Sans doute le corpus des 32 sonates de Beethoven était-il trop impressionnant. Ou peut-être cherchait-il des moyens plus amples pour le faire. Sa première Sonate pour piano et violoncelle en si bémol op.45 (1838) apparaît comme le prolongement des cinq de Beethoven et la synthèse de toute son expérience, il la met en 1844-1845 dans les 6 Sonates pour orgue op. 65, mélanges de Bach, de Beethoven et de ses propres innovations. Ici, il est le précurseur des grands monuments symphoniques pour orgue de la fin du XIXe siècle de Jozef Rheinberger ou de Charles-Marie Widor.

On est frappé par l'ampleur et la force des compositions du jeune Mendelssohn. Et c'est vrai que, ayant appris son métier par un travail intense, il y montre une audace inhabituelle qu'il bridera quelque peu par la suite lorsqu'il sera confronté aux devoirs de la reconnaissance et aux obligations de ses responsabilités. Car, si l'exécution de la Passion selon Saint Matthieu a projeté un nouvel éclairage sur le compositeur bien oublié qu'était Bach à ce moment, elle va surtout révéler les qualités de chef d'orchestre et d'organisateur du jeune Mendelssohn de vingt ans et enrichir sa réputation de compositeur. Le Mendelssohn officiel est né !

1829 marque donc le début de la reconnaissance ; c'est aussi le premier de ses dix voyages en Angleterre où il se produit tant comme pianiste que comme chef. Il y dirige avec succès sa première symphonie qu'il avait créée deux ans auparavant avec un succès mitigé à Leipzig et ira même jusqu'à donner des leçons de piano à la Reine Victoria. Plus tard, les Anglais choisiront souvent sa marche nuptiale du songe d'une nuit d'été comme hymne habituel de leurs réunions de prestige. Mendelssohn met à profit cet été anglais de 1829 pour découvrir le Pays de Galles et l'Ecosse. Il y rencontre les grands hommes de lettres comme Walter Scott, le romancier de l'Ecosse, l'inoubliable auteur de Waverley, Rob Roy et de Ivanhoé. Il est donc normal que les premières compositions écossaises de Felix naissent pendant ce voyage : l'Ouverture des Hébrides ou la Grotte de Fingal comme on l'appelle parfois et les premières esquisses de ce qui deviendra la Symphonie écossaise mais ne prendra sa forme définitive qu'en 1842. Curieusement, ce sera la dernière symphonie achevée par Mendelssohn même si elle porte le n°3, op. 56. La quatrième symphonie, la Symphonie italienne, op. 90 et la cinquième dite Réformation op. 107 ne seront publiées qu'après la mort du compositeur. La Réformation date du retour à Berlin, pendant cet hiver 1829. C'est un hommage luthérien pour le tricentenaire de la conférence d'Augsbourg qui établit les doctrines de l'Eglise protestante en 1530. Créée en 1832, elle ne sera interprétée que quelques fois avant de tomber dans l'oubli. Mendelssohn ne la publiera jamais. 

1830 mène notre musicien itinérant pour deux ans en Italie. Venise lui inspire son fameux Chant du gondolier vénitien sans parole op.19b,6 ; Rome lui permet de rencontrer Berlioz au moment de la mort du bref pape Pie VIII et de l'élection de Grégoire XVI, Naples et Pompéi lui laissent le temps de composer sa Symphonie italienne. Sous le soleil de la péninsule, il écrit en 1831 à ses parents qu'elle (sa Symphonie italienne) sera la pièce la plus joyeuse qu'il ait écrite. Pourtant, elle ne sera créée à Londres qu'en 1834 et subira le même sort que son aînée la Réformation. Scrupuleux à l'extrême et restant insatisfait de certains détails, le compositeur n'envisagera pas sa publication. Au retour, il repasse par Paris qu'il ne visitera plus jamais par la suite. Liszt, Thalberg et Paganini ont familiarisé les salons avec leurs compositions virtuoses que ce soit pour le piano ou pour le violon. Felix en retient les leçons ; par exemple, dans le plus connu de ses Préludes et Fugues op. 35, le premier en mi mineur, où il reprend à son compte aussi bien la technique de la "troisième main" de Thalberg où la mélodie s'alterne dans les arpèges des deux mains que les terribles contrepoints en octaves de la main gauche chers à Liszt dans l'apothéose du choral final.

Grâce à ses prestations au Festival du Rhin, Mendelssohn est nommé dès 1833 directeur musical à Düsseldorf et il se voit proposer, à moins de 27 ans, le poste de directeur du prestigieux Gewandhaus de Leipzig qu'il accepte. Mendelssohn entre dans la patrie des Wieck et autre Schumann. Après la sœur Fanny, Clara Wieck sera la seconde femme qui marquera la vie de Felix. Dès 1835, elle sera une soliste privilégiée des concerts où Mendelssohn innove par l'utilisation de la baguette et où il révèlera tant de chefs d'œuvre oubliés, comme la grande Symphonie en ut de Schubert. Si Felix dirige la création du Concerto en la mineur de Clara, elle mettra aussi à son programme les concertos de son aîné de 10 ans. En effet, si bien familiarisé avec la structure concertante par ses compositions de jeunesse, Mendelssohn a écrit le premier concerto de son catalogue officiel, l'op. 25 en sol mineur en 1831. Le second en ré mineur, l'op. 40, suivra en 1837 et il laissera inachevé un troisième en mi mineur.

La mort du père en novembre 1835, ce père qui avait coutume de dire "Autrefois, j'étais le fils de mon père, maintenant je suis le père de mon fils" force Felix à respecter la promesse qu'il lui avait faite de composer sur le thème de la conversion de Saint Paul. L'oratorio chrétien Paulus sera achevé et créé sous sa direction au festival du Rhin en 1836. 

La vie professionnelle est comblée, l'amour conjugal manque encore. Six mois après la mort du père, ce sera chose faite avec la rencontre de Cécile Jeanrenaud, fille d'un pasteur huguenot d'origine française. Il l'épouse en mars 1837 après avoir longuement mûri sa décision pendant une retraite à Scheveningen. Les 3 Préludes et Fugues pour orgue op. 37, le second Concerto pour piano en ré mineur op.40, le beau Psaume 42 qui prend judicieusement la place d'op. 42 et le quatrième Quatuor en mi mineur op.44,2 éclosent pendant le voyage de noces. Cinq enfants naîtront de cette union ; les quatre vivants, deux garçons, deux filles, porteront les noms de Carl, Marie, Paul et Lili. La fibre paternelle leur offrira le dernier opus publié de son vivant : les 7 Pièces pour enfants op.72.

L'ancien Berlinois devient une figure marquante de la ville de Leipzig dont, avec ses associés, il va fonder en 1843 le conservatoire où il engagera des professeurs prestigieux comme Robert Schumann pour la composition, Ignaz Moscheles pour le piano ou Ferdinand David pour le violon. C'est pour ce dernier qu'il écrit ce chef d'œuvre qu'est son Concerto pour violon en mi mineur op. 64. Le concerto est créé en 1845 par son dédicataire sous la direction de Niels Gade, chef invité de cette année. Mendelssohn lui-même reprendra aussi l'œuvre avec son dédicataire la saison suivante avant que Joseph Joachim ne l'impose définitivement au répertoire des grands concertos romantiques. Quel grand virtuose ne l'a pas à son programme aujourd'hui ?

1843 est ainsi une nouvelle année marquante. Elle voit la création d'un autre chef d'œuvre : la Première nuit de Walpurgis op. 60 ; un vieux projet s'il en est. Basé sur l'ambigu poème de Goethe qui oppose les premiers chrétiens aux druides germaniques, le Scherzo de l'Octuor de 1825 était déjà, aux dires de Mendelssohn lui-même, une illustration des sortilèges de la nuit de Walpurgis goethéenne. Une première version scénique est exécutée en 1833 mais reste abandonnée jusqu'en 1843. Par le Faust de l'un et la Nuit de Sabbat de la Symphonie fantastique de l'autre, les rencontres avec Spohr et Berlioz portent leurs fruits : le chrétien converti réussit sa description des légendes païennes du Harz ; la Première nuit de Walpurgis est triomphalement créée à Leipzig en février 1843. Elle deviendra une des œuvres préférées de Fanny. 

La vie de Mendelssohn est dorénavant partagée entre Leipzig et d'autres centres musicaux, que ce soient Francfort, Londres ou même Berlin où sa gloire le rappelle à la Cour du Roi Friedrich Wilhelm IV. Il y écrit plusieurs musiques de scène pour la Cour du Roi de Prusse : Antigone op.55 créé à Postdam en 1841, à Berlin en 1842, le Songe d'une Nuit d'été, en 1843, 13 morceaux qui sont toujours précédés de l'ouverture de 1826. Suivent encore Athalia op. 74 et Œdipe à Colone op. 93.

La muse qui sera la quatrième femme de sa vie après la sœur, Fanny, l'interprète, Clara, et l'épouse légitime, Cécile, c'est la soprano Jenny Lind, le rossignol suédois comme elle était surnommée. Mendelssohn qui la rencontre en 1844 n'aura de cesse de la promouvoir et la dirigera parfois dans ses concerts. Pourtant, elle n'interprétera que peu d'œuvres de son admirateur avant la mort de celui-ci. Muse oblige, Felix aurait voulu écrire pour elle. Mais Christus, le troisième oratorio après Paulus et Elias, devait laisser la parole principale au Christ. Il sera esquissé mais restera inachevé. La cantatrice admirée aurait-elle pu l'aider à surmonter son échec sur la scène lyrique ? Clairement taraudé par cette obsession dans ses derniers mois, Mendelssohn a voulu tenter la gageure. Subsistent quelques numéros de Die Lorelei op. 98. Le sujet de l'opéra était bien adapté à Jenny Lind et le caractère fantastique du sujet convenait à merveille à Felix mais la personnalité de l'héroïne, femme trop fatale pour un juif converti à la sobriété du protestantisme, ne pouvait qu'inhiber une personnalité vite culpabilisée.

Le sommet de sa gloire, Mendelssohn l'atteint à Birmingham en 1846 avec le succès de la création de son oratorio Elias qui restera une œuvre phare du XIXe siècle. Mais le travail excessif, la lourdeur des longs voyages viennent à bout de ce créateur spontané et sans repos. En mai 1847, il s'effondre à l'annonce de la mort inattendue de sa sœur Fanny, frappée d'une hémorragie cérébrale lors d'une répétition de la Première Nuit de Walpurgis. Une série d'attaques le mineront jusqu'à sa mort six mois plus tard, le 4 novembre 1847. Il est à l'apogée de sa réputation. Le monde musical entier sera affligé par sa disparition. Schumann, le fidèle ami, lui composera l'hommage 4.XI.1847 de son Album pour la Jeunesse. Les souverains d'Europe, la reine Victoria, les Rois de Prusse et de Saxe qui l'ont connu font parvenir leurs condoléances. Chopin et Schumann ne resteront guère plus longtemps que lui sur cette terre.

Comme Schubert, il meurt avec nombre d'œuvres non publiées et parfois inachevées. Son catalogue officiel, le seul qu'il reconnaissait, s'arrête à l'opus 72. On a dépassé aujourd'hui l'opus 120 et même, pour certains analystes, l'opus 130 (les concertos pour deux pianos portent parfois les numéros d'opus 133 et 135). Mais cet inachèvement n'est pas comme chez son illustre prédécesseur lié à une certaine désinvolture ou à la vie de Bohême qui amenait Schubert à ne pas compléter ses géniales esquisses. Chez Mendelssohn, c'est congénital à sa minutie, à son anxiété et à sa volonté de satisfaire toutes les exigences formelles et instrumentales que requérait sa propre perception de l'évolution musicale. Musicien inachevé donc ! Comme le prouvent tous ses opus depuis le numéro 73 : ce sont des publications posthumes ! On y trouve pourtant des partitions aussi importantes que les Symphonies Réformation op. 107 et italienne op. 90, que les Variations pour piano op. 82 et 83 ou le sublime Quatuor en fa mineur, op. 80, adieu à sa sœur Fanny. Et le premier de ces opus posthumes est un de ces sublimes motets, un genre "Haendelssohnien" comme le dit ironiquement Wagner, qui méritent toute notre attention. Lauda Sion op.73 est créé à Liège en 1846 dans cette jeune Belgique de 15 ans, pour célébrer dans l'Eglise catholique de Saint Martin le 600e anniversaire de l'instauration de la fête du Corpus Christi par l'évêque Robert de Liège. 

Mendelssohn occupe une place spécifique au XXe siècle. Comme il a été dit, il aura été un romantique heureux avant de finir épuisé par le travail. Il laisse à la musique de grands chefs d'œuvre. Le scherzo mendelssohnien reste reconnaissable entre tous par sa légèreté "sylphique". Il en usera et abusera. De même, l'utilisation du choral est fréquente chez lui et confère à ses œuvres une aura de piété particulière ; c'est le kitch religieux que Rosen évoque avec malice. On trouve ces moments dans la Symphonie Réformation où il est cependant normal d'entendre un choral luthérien, dans la marche des pèlerins de la Symphonie italienne qui ne choque pas, mais aussi -c'est plus étrange- comme coda du premier Prélude et Fugue, dans le final du second Trio pour piano et cordes. Plus tard, cette tradition ne sera pas étrangère non plus à des compositeurs comme César Franck ou Camille Saint-Saëns.

Laissons la conclusion à deux critiques ; au XIXe siècle, pour Robert Schumann, le fondateur de la Neue Zeitschrift für Muzik de Leipzig, Mendelssohn était le Mozart du XIXe siècle, le musicien le plus averti qui comprit clairement les contradictions de l'époque et fut le premier à les concilier. Au XXe siècle, Harold C. Schonberg, Prix Pulitzer et critique musical reconnu du New York Times n'hésite pas à écrire : maintenant que la musique sérielle et post-sérielle a joué son rôle et que le néo-romantisme revient quelque peu, la musique de Mendelssohn, comme celle de Liszt, est mieux reconsidérée, et Mendelssohn est à nouveau reconnu comme le maître harmonieux, pur et parfaitement équilibré qu'il était.

Jean-Marie André

Crédits photographiques : James Warren Childe

 

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