Dossier Faust (IV) : Faust par Schumann, le triomphe de l'Amour

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Poète autant que musicien, Robert Schumann fut le premier compositeur à s'attacher au Faust II qui occupe les trois quarts de la partition de son grand Faust dont il garda mot pour mot le texte, le mot qui, chez ce génie du lied, prend toute sa résonance. A Franz Brendel, il écrit à propos de la scène finale qu'il composa en premier lieu : "Qu'apporterait la musique à une œuvre lyrique aussi achevée ? Mais depuis que je connaissais cette scène, je sentais que la musique précisément pourrait en amplifier l'effet". Aussi Schumann s'écartera-t-il des formes musicales conventionnelles et préférera mouler la musique au poème pour mieux éclairer la magie kaléidoscopique du mot dont il a retenu les scènes de l'Amour et la Rédemption par l'Amour : "Le Jardin de Marthe", "Une bastille", "Cathédrale" pour le Faust I, "Paysage agréable" (acte I, scène 1), "Minuit" (acte V scène 4), "Grand péristyle du Palais" (acte V scène 5), "Ravins dans la montagne" (acte V scène 7) pour le Faust II.  

Le Faust a occupé la vie de Schumann pendant dix ans, depuis le voyage en Russie de 1844 où il accompagnait Clara en tournée, jusqu'en 1853 où il terminait son œuvre  dernier cadeau à Clara- par l'Ouverture et "La mort de Faust". Il rêvait de créer un opéra national, dans la lignée de Beethoven et Weber, qui serait de l'"anti-Meyerbeer", de l'"anti-italisanisme", et le Faust de Goethe, dont le sujet n'est pas sans rappeler la Péri, l'inspire. En juin et juillet 1844, il travaille sur la troisième partie de l'oratorio mais les troubles nerveux l'empêchent de poursuivre. "Trop travaillé sur Faust ; l'esprit et le corps ont fini par me refuser le service" écrira-t-il un an plus tard à son ami le docteur Krüger. En décembre, il renonce à l'idée d'écrire un opéra. Au même Krüger, il écrit : "Que pensez-vous de mon idée ? Traiter le tout comme un oratorio ? Ne serait-ce pas audacieux et beau ?". Mais comme à chaque fois qu'il perd la maîtrise de la pensée, Schumann se tourne vers Jean-Sébastien Bach ; l'année 1845 sera celle des fugues. 

Face à la maladie qui le mine lentement, Schumann se détourne des noms qui avaient peuplé sa jeunesse et l'attiraient par leur mystère, leur subjectivité débordante, voire leur morbidité, pour se tourner vers des esprits dont la complexité s'avère plus objective et mieux dominée, Bach et son ordre sublime, Goethe, "ce grand esprit vaste et sain". Schumann voulait commencer son Faust par une fugue ; dans sa rigueur, elle est remède contre l'angoisse, un défi lancé aux démons, une exigence de lucidité, celle-là même que Schumann sollicite comme pour neutraliser le pouvoir maléfique des Lémures creusant la tombe où il craint de se perdre. Ce ne sera qu'en 1850, six ans après avoir commencé son Faust, qu'il affrontera les scènes les plus tragiques et en 1853 seulement, pressé par l'imminence de la fin, qu'il en compose "La mort de Faust" et l'Ouverture, présentation grandiose et tragique du destin de Faust. 

Le 24 septembre, il écrit à Mendelssohn : "La scène de Faust repose sur mon bureau. J'ai très peur de la regarder. La poésie sublime de cette conclusion m'a saisi d'une telle émotion qu'elle m'a donné l'audace de tenter ce travail. Je ne sais si je le publierai jamais". En 1846, les Schumann voyagent à Vienne et Berlin où Le Paradis et la Péri est mal accueillie. Robert se tourne vers les jeunes musiciens pour qui il compose et écrit. Au printemps de l'année suivante, "en pleine possession de ses moyens", il entreprend Genoveva qui sera son seul opéra achevé. Après en avoir achevé l'Ouverture, il se tourne à nouveau vers Faust dont il remanie le Chorus Mysticus final (III, 7) pour en faire finalement une deuxième version et, dès le 3e acte de Genoveva terminé, il se donne au "Gerettet ist das edle Glied" (III, 4). La troisième partie est terminée (la seule que le compositeur entendra jamais) et, à la tête de la société chorale qu'il dirigeait et l'orchestre de la Cour, il la donne à Dresde le 25 juin 1848 alors qu'il vient de terminer Genoveva. "Cela m'a causé une très grande joie". Alors que le Faust attend sa suite, il se lance dans le projet d'un opéra inspiré du poème tragique de Byron, Manfred, projet dont ne subsistera que l'Ouverture. Le choix de Manfred n'est certes pas anodin chez Schumann en proie au monde des ténèbres, dévoré par l'angoisse et cherchant dans la création la lumière. Toutefois, il ne voudra pas la fin tragique, refusant tout secours, que Byron réservait à son héros ; comme Faust, le Manfred de Schumann trouve l'apaisement, et laisse espérer l'absolution du héros. 

1849 est une année féconde. En juin, il écrit : "Jamais je n'ai été plus actif et plus heureux dans mon art. Il s'adonne au piano, à la musique de chambre, à des pièces pour choeur, et, en juillet, se remet à Faust : dans l'ordre, première partie scènes 3, 1, 2 ; deuxième partie scène 4. En septembre, l'Allemagne fête le centenaire de la naissance de Goethe. Le 28, la partie achevée de Faust (3e partie) est donnée simultanément à Dresde (direction Schumann dans la 2e version du Chorus Mysticus), Leipzig (direction Rietz, 1ère version du Chorus) et Weimar (direction Liszt, 1ère version du Chorus).  

En avril 1850, Schumann aborde la "Scène de minuit" tandis que Genoveva qu'il dirige à Leipzig n'obtient qu'un succès d'estime ; Faust, il l'abandonne à nouveau ; il projette l'idée d'écrire des Ouvertures pour les plus belles tragédies d'Eschyle et de Shakespeare dont il met en chantier Jules César et est poursuivi par l'idée de composer des oratorios. Le Pèlerinage de la Rose voit le jour et il songe à un oratorio sur Luther, faire "quelque chose de populaire, d'intelligible pour tous, citadins et paysans, qui corresponde au caractère de héros qui était un grand homme du peuple". Mais l'oratorio ne verra pas le jour. C'est en août 1853 que Schumann achève enfin son Faust par l'Ouverture et "La mort de Faust", composés en trois jours, parmi les 3 Sonates pour la jeunesse op.118, l'Allegro pour piano op.134, le Concerto pour violon, la Fantaisie op.131, les Chants de l'Aube,... les tables tournantes et l'occultisme, avant de sombrer dans les profondeurs nocturnes et se jeter dans le Rhin le 17 février 1854. 

 Ouverture (août 1853) 

Langsam, feierlich - ré mineur 4/4 

Les Scenes from Goethe's Faust pour soli, choeurs et orchestre, de près d'une heure cinquante, débute sur des trilles aux timbales portant la tierce diminuée descendante qui parcourra toute l'œuvre, tandis que l'envol de Faust vers les infinis est suggéré, dès le deuxième temps, par les fusées de triples croches aux violons. Le ton est donnéEtwas bewegter et Schumann retrouve les rythmes pointés qui donnent vie à ses dernières oeuvres. Arrive ensuite le thème porteur de l'Amour (a) qui parcourra lui aussi l'entièreté de l'œuvre, un thème qui lui est cher puisqu'il n'est pas sans évoquer les premières mesures du Paradis et la Péri (b), l'Ouverture de Genoveva (c), un thème descendant souplement par niveaux, souple assez pour choisir l'ampleur de sa tessiture. La tragique destinée entre l'élan et la damnation ne cesseront d'être évoqués tout au long de l'Ouverture par les cuivres en fortissimo, les rythmes pointés, les grands tutti de l'orchestre, les sforzandi, les lourds avertissements des cuivres -on est ici chez le Commandeur-, une dissonance sforzando,... avant l'accord final sur une sixte majeure bien ouverte -elle aussi sera significative dans l'œuvre- aux tutti, fortissimo suivie d'un point d'orgue... L'Amour sera triomphant ! 

 PREMIERE PARTIE 

  1. Scene im GartenNicht Schnell - Fa majeur 12/8(juillet 1849) 

"J'ai richement instrumenté la scène car l'atmosphère y est particulièrement dense". Ici encore l'amour est magnifié. Sur un rythme de valse douce, en piano dolce entre le violoncelle sur une arpège montante, les syncopes laissent toutefois l'imagination ouverte aux aléas de la suite. Mais l'atmosphère est douce jusqu'au moment où Mephisto, annoncé par le thème (a) que nous appellerons cyclique quasi recitativo annonce la fin de la rencontre (d). "En espérant bien vite vous revoir" dit Gretchen. La musique répond en pianissimo par des frottements de secondes tandis qu'aux cordes basses est évoqué en pianissimo le lourd destin (deux croches-noire). La douce entrée du violoncelle n'est déjà plus que nostalgie. 

  1. Gretchen vor dem Bild der Mater dolorosaIm Anfang nicht scnell, später bewegter - la mineur - 4/4 (juillet 1849) 

Cette petite scène de quatre minutes est une pure merveille du génie de Schumann, maître du lied, à épouser chaque courbe du texte poétique, celui du kaléidoscope du cœur. Cinq parties pour rejoindre au plus près l'âme de Gretchen. Les secondes mineures reviennent, menaçantes, aux altos. Le feu et l'eau se pénètrent. "Une souffrance ardente me tenaille"... "Quel feu me tenaille". Les questions trouvent pour réponse les triolets des hautbois et clarinettes en gammes descendantes. Et puis, avant que ne viennent les larmes de Gretchen, une manière propre à Schumann, une signature qui traverse ses oeuvres nourries de la même eau (e), ce moment énigmatique que l'on retrouve dans sa 2e sonate pour piano (1836) et le Concerto pour violoncelle d'octobre 1850, une simple phrase descendante. Et puis, Etwas langsamer, "sauve-moi de la honte", le cri strident en fortissimo préparé par les secondes mineures, signes du destin, tragique. 

  1. Scene im DomLangsam - ré mineur 4/4 (juillet 1849) 

Tout est là pour nous signifier ce que Gretchen va vivre de terrifiant. L'orchestre au grand complet auquel s'ajoutent la flûte piccolo, trombone alto et tuba basse. Le thème cyclique amplifie sa descente. L'Esprit malin s'annonce, retors. Les appels des cuivres sont implacables, les sauts d'octaves des cordes et des trombones ne laissent aucune chance à Gretchen. Mais Schumann sait déjà que la paix lui sera donnée dans le ciel par le petit motif de hautbois qui jette sur elle son regard bienveillant (f). Le sort s'acharne cependant : un choeur homophone, implacable lui aussi, clame le Dies Irae, et puis le Judex ergo cum sedebit. Le Commandeur réapparaît. Gretchen est confiante, son choix est l'Amour, tandis que les vents au grand complet plongent dans une descente sur deux octaves en triple forte. La terreur au risque de la foi.  

SECONDE PARTIE 

  1. Ariel - Sonnenaufgang - Ruhig - Si bémol majeur 3/4(juillet 1849) 

Faust (étendu sur un gazon fleuri, fatigué, agité, cherchant le sommeil. C'est le crépuscule). Une ronde d'esprits, petites créatures gracieuses, vole dans les airs. 

Brusque changement d'atmosphère : on est dans le Second Faust. Quelques vers nous l'éclairent : "Pour guérir prends confiance dans le jour ressuscité" chante le choeur. "Un sang plus frais vient battre aux veines de la vie"... "Ce reflet coloré n'est autre que la vie" dit Faust. Le chant d'Ariel, évoquant les trois niveaux de spiritualité est accompagné de la harpe, comme le stipule le poème de Goethe. Les accents sont déplacés, créant la confusion dans une mesure bien terrestre. Les hautbois entonnent un petit motif évocateur du lied schumannien. Et lorsque Ariel chante : "Ecoutez des heures la tempête [...] la naissance s'apprête" resurgit la seconde mineure descendante des violoncelles à laquelle répondent les trompettes et le signe du destin. Mais un doux destin, sans ce qu'il a d'implacable. "Plus bas, plus loin, plus loin toujours" dit Ariel. La musique de Schumann rejoint l'au revoir de Gretchen dans le jardin. S'ensuit le long monologue de Faust (8 minutes) célébrant les forces de la nature, ébloui ensuite par l'éclat de la lumière sidérale ; les forces de vie jaillissent, Faust clame ses octaves ascendantes tandis que l'accompagnent les arpèges prométhéennes ascendantes, lignes directes vers la lumière. "Ce reflet coloré n'est autre que la vie"... et le temps reste suspendu comme seul Schumann peut le suggérer. Le monologue de Faust se termine par "La cascade... je la contemple avec une allégresse entière". La musique évoque sa mort mais l'accord final restera la sixte ouverte et éclatante de l'Ouverture.  

  1. Mitternacht Schnell - si mineur 6/8(1850) 

Entrent quatre femmes vêtues de gris

Elles sont le Besoin, la Faute, la Misère, le Souci. Les esprits maléfiques sont ceux de la Nuit de Walpurgis et du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. Le thème cyclique (a) est repris aux violons en pizzicato, aux flûtes et hautbois, repris aux cordes et puis aux violoncelles à nouveau dédoublés. La mort est évoquée en un intervalle de septième descendante. Et puis, comme souvent chez Schumann, l'indication un rien énigmatique "etwas zurückhaltend" qu'il a si bien fait parler dans les Davidsbundlertänze de sa jeunesse. Faust chante la vanité de sa vie terrestre et le rejet de la magie. A nouveau, Schumann suspend le temps par des sauts de sixtes et de quintes en ppp ("Ist jemand hier ?). Il est rejoint par le Souci, vexé. "Partout je vous accompagne" et le hautbois y mêle son envoûtante saveur. Secondes mineures des flûtes, hautbois, clarinettes et bassons, autant d'annonces maléfiques, et puis, le Souci jette le sort : cécité de Faust. Mais "au dedans, mon cœur rayonne la clarté et ce que j'ai conçu doit être exécuté"..."Que faut-il pour que le grand œuvre s'accomplisse ?". Faust se relève, Roi. Il est accompagné des cuivres graves, des altos en marcato, en si majeur, mit freudiger Kraft. En coda, une marche triomphale à grand renfort de fanfares. 

  1. Faust's Tod Ziemlich rasch - ré mineur 4/4 (1853) 

Sur des batteries de triolets de croches aux bois et aux cordes, des pizzicati de contrebasses, violoncelles et violons se lance le chant semi-triomphal de Faust aux "Ventiltrompeten", trompettes allemandes aux clés semblables à celles du cor qui autorisent une plus grande virtuosité et, avec son pavillon étroit, donne cette sonorité très particulière et convaincante. La machine infernale est en route : les Lémures creusent la tombe de Faust. En ostinato, des staccatos de croches suivies de petits motifs ironiques des bassons auxquels succèdent les batteries de cors. Les flûtes, pour leur part, exécutent des pirouettes dans l'aigu pour mieux suggérer le grotesque de la situation. Le ton s'anoblit à l'arrivée de Faust sur les marches du Palais. Le cor est triomphant. C'est ici qu'il chantera : "J'aimerais contempler ce peuple qui se presse/Libre sur un sol libre, en son sein me plonger !/Alors je pourrais dire à cet instant qui passe :/Arrête-toi, tu es si beau !". Plénitude des bois et des cordes. Do majeur. Simple. Faust tombe. Gammes descendantes en triolets sur pédale de tonique. L'heure s'arrête, le temps est immobile. Les timbales poursuivent le rythme du destin. Mais "Tout est accompli". Les dernières paroles du Christ en croix. Le Stürmer n'a cessé d'accompagner Schumann. 

TROISIEME PARTIE 

  1. Faust's Verklärung 

Ravins dans la montagne. Forêts, rochers, solitude. 

Saints anachorètes répartis au flanc de la montagne, installés entre les crevasses. 

  1. Chor - Ziemlich langsam - Fa majeur 9/8 (esquisses 1844) 

Les motifs se superposent des cordes basses vers les sphères célestes dont le choeur chante la beauté. "... Le lieu consacré/Du saint amour siège secret. On passe au La majeur pour évoquer les paysages de lumière. 

  1. Pater Extaticus - Etwas bewegter - ré mineur 4/4(esquisses 1844) 

Le thème cyclique (a) en arabesques qui se moulent l'une à l'autre comme le Pater Extaticus "s'élevant ou descendant dans les airs" qui paisiblement chante "Que ce néant finisse/.../Et que rayonne seule au ciel/Ton étoile fixe, amour éternel !".  

  1. Pater Profundus, Pater Seraphicus - Langsam - si bémol majeur - 4/4(esquisses 1844) 

Pater Profundus (basse, région profonde). Sur une longue tenue des cuivres et cordes basses à laquelle le trombone, proche de l'orgue, confère un caractère solennel. Lebhaft. Le ton s'anime et le désir de s'élever s'accompagne du hautbois, inévitable complice de l'Amour chez Schumann, relayé ensuite par les clarinettes et les flûtes, pour chanter "O Dieu, fais ma raison plus pure/Illumine mon pauvre cœur !". Les cordes s'animent. 

S'ensuit la rencontre entre le Pater Seraphicus (régions moyennes) et les Enfants bienheureux réunis en choeur (sol mineur - 4/4). On est près d'évoquer ici Mozart et la Flûte Enchantée par la pureté du chant des enfants : "Dis-nous où nous allons, ô Père/ Qui sommes-nous, Toute-Bonté ?". Le Père Seraphicus : "Venez donc sans mystère". Et puis, les enfants s'inquiètent : "Mais cet endroit est bien trop sombre/Il nous emplit d'effroi, d'horreur/Bon Père, rends-nous à notre ombre". Et le Père Seraphicus : "Gagnez une plus haute sphère".   

  1. Choeur "Gerettet ist das edle Glied" - Ziemlich langsam - La bémol majeur3/4 (1847-48) 

"Gerettet ist das edle Glied", "Du Démon il est préservé". Tout l'orchestre en rythmes pointés ; la marche triomphale des anges "planant dans l'atmosphère supérieure et portant la part immobile de Faust" du Démon préservée, ce vieux Satan criblé de douleur cruelle. "Nous triomphons ! Joie éternelle. Les Jeunes Anges interviennent dans la glorification de Faust, soprano et choeur, un chant d'une infantile et magnifique pureté accompagné par les violoncelles en staccato auxquels se joignent en syncopes les violons et alti, tandis que les bois chantent à l'unisson du soprano. Les "Anges déjà plus accomplis" sont a priori plus sombres pour transporter ce "reste de la terre", tandis que seul l'Amour éternel pourra séparer l'âme de ses biens terrestres. Les jeunes anges reprennent leur chant et la pureté aboutira avec une brusque modulation -de la bémol vers do dièse- sur un thème rappelant une fugue -la mineur 2e cahier du Clavier bien tempéré- de Bach (f) traité en imitation pour chanter la jubilation qui s'apaise pour laisser place aux Enfants bienheureux de la Flûte -Etwas langsam- accompagné des flûtes et clarinettes dans un thème de lied des plus belles années de Schumann. Une fin sur la lumière de l'innocence avec le petit trait ascendant des clarinettes, des hautbois et des flûtes sur lequel s'enchaîne, sur un accompagnement fiévreux des cordes, la fugue grandiose "Gerettet ist das edle Glied". Toute en motifs ascendants victorieux et rythmes pointés, l'âme de Faust est sauvée. 

  1. Docteur Marianus - "Hier ist die Aussicht frei" - Langsam - Sol majeur 4/4 (1844) 

"La vue est libre ici, l'esprit sublime". Le Docteur Marianus (ténor ou baryton), alias Faust, "dans la cellule la plus haute et la plus soignée", détaille un arioso, sublime hymne à la Vierge sur un accompagnement de harpe et répond au hautbois qui reprend un motif cher au lied schumannien. "Reine suprême du monde". Le dialogue, magnifique, est ponctué par la couleur mordorée des cors. Et puis la coda ; le temps est en suspens, la musique module tandis qu'après un point d'orgue, Marianus, alias Faust, implore la grâce sur un sol aigu en pianissimo. 

  1. Docteur Marianus, Mater Gloriosa - Les Pécheresses, la Pénitente - Choeur - "Dir, der Unberührbaren" - Tempo wie vorher - Si bémol majeur 4/4 (1844) 

Le Docteur Marianus poursuit son imploration à la Vierge pour les âmes "difficiles à sauver" sur un choral des bassons et alti. Annoncées par une batterie des trompettes entrent, portées dans les airs, Mater Gloriosa et trois pécheresses : Maria Peccatrix reprenant un texte de l'Evangile de Luc (VII, 36), Mulier Samaritana un texte de Jean (IV) et Marie l'Egyptienne (Acta Sanctorum) chantant en mouvements parallèles (des noires) sur une montée chromatique des cordes. La musique passe du la mineur au La majeur. Annoncée par le cor, se glisse auprès des autres une pénitente, Gretchen, sur un accompagnement des violons et des flûtes. Un cri implorant, un rien hiératique, elle chante : "Lui qui naguère fut mon amour/l'âme à présent plus claire/est de retour). Par un jeu de syncopes sur valeurs longues, le temps se suspend. Les enfants bienheureux reprennent leur chant à la Vierge. Et puis, Gretchen : "Vois ! Aux liens de la terre il s'arrache/et, le vieil homme à présent rejeté, du vêtement éthéré qui le cache/sortent vigueur et jeunesse et beauté". Montée chromatique du chant. Mater Gloriosa, sur un bruissement des cordes en tremolo : "Vers les sphères d'en haut laisse-moi te conduire/s'il t'y pressent, il t'y suivra bientôt". Appel des cors et des trompettes ; Docteur Marianus prie la face contre terre soutenu par les cordes et les tenues des bois et des cuivres.  

  1. Chorus mysticus "Alles Vergängliche ist nur ein Gleichniss" - Die Halben etwas langsamer als vorher ré mineur - 4/2 (1844/printemps 1847 - 2e version juillet 1847) 

"Toute chose périssable/est un symbole seulement". Le double choeur, solennel, s'avance sur le thème de Bach (f) que chantait le choeur des jeunes anges libérés du poids de la terre sur une montée chromatique des cordes graves. Une progression lente, puissante et solennelle poco a poco crescendo du double choeur auquel s'ajoute le quatuor de solistes pour clamer la phrase sur laquelle se clôt, jubilatoire, la somme de Goethe : "L'Eternel féminin toujours plus haut nous attire" qui introduit la deuxième partie du Chorus Mysticus pour laquelle Schumann écrira, en juillet 1847, une seconde version, très travaillée, contrapuntique mais moins jubilatoire. Le Chorus mysticus, en une grande fresque contrapuntique, jubilatoire, s'achève tel un lied, ppp et point d'orgue après une descende en secondes des cordes en ppp sur pédale de tonique aux violoncelles. A nouveau, le temps reste suspendu, vision apaisée de l'Eternel. 

Article rédigé par Bernadette Beyne dans le cadre d'un dossier de Crescendo Magazine publié dans ses éditions papiers. Dossier publié sous la coordination de Bernadette Beyne.

Le mythe de Faust, de la littérature à la musique

 

 

 

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