Duo Gautier Capuçon et Yuja Wang

par

César FRANCK (1822-1890) : Sonate pour violoncelle et piano (transcription de Jules Delsart de la Sonate pour violon et piano) ; Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Introduction et Polonaise brillante opus 3 et Sonate pour violoncelle et piano op. 65 ; ASTOR PIAZZOLLA (1921-1992) : Le Grand Tango. Gautier Capuçon et Yuja Wang. 2019. Livret en anglais, en français et en allemand. 79.09. Erato 0190295392260. 

La réunion de deux stars peut réserver des moments de léger amusement. Dans le cas présent, il suffit de regarder les six photographies qui ornent le livret. Sur la couverture, qui est aussi celle du CD, on voit Yuja Wang, droite comme un I, tenue relax, sourire retenu, et Gautier Capuçon, en costume et nœud papillon, visage renfrogné. Quelques pages plus loin, on retrouve le duo. Cette fois, Capuçon a opté pour les manches de chemise avec cravate, Yuja Wang pose nonchalamment en robe, épaules découvertes, un bras sur l’épaule de son partenaire. Le sourire de Yuja est un tantinet plus décontracté, Gautier est toujours sombre. Juste après, on la découvre seule, en position de prière, les mains croisées. Est-ce pour inciter Capuçon, page suivante, à se relâcher ? Cette fois, en polo noir, il semble moins tendu. Et puis, le miracle s’accomplit : on est heureux de voir les deux artistes tout sourire sur les deux dernières photographies. Complicité trouvée ou enfin assumée ? L’image peut être le reflet de certains états d’âme, que nous nous garderons bien d’analyser dans ce cas précis. Mais elle peut apparaître comme un indice interprétatif. Ces deux solistes dont la réputation n’est plus à faire sont acclamés partout. Ils se produisent ensemble sur scène. Cela signifie-t-il qu’ils forment un vrai duo de chambre, partenaires jusque dans l’effacement de leur propre personnalité au service de la musique ? 

Sauf erreur, c’est la première fois, dans leur chef, qu’un enregistrement nous donne la possibilité d’estimer leur complémentarité. L’événement s’est produit au Koerner Hall du Conservatoire Royal de Toronto, du 11 au 13 avril 2019, dans un programme romantique, auquel a été adjoint, curieusement, le Grand Tango de Piazzolla dont, il faut le préciser, le livret ne dit pas un traître mot. Est-il là pour faire du remplissage et arriver presque jusqu’à la barre mythique des 80 minutes de durée ? Le CD s’ouvre par la Sonate pour violon et piano de Franck, dans la transcription pour violoncelle qu’en a réalisé Jules Delsart l’année qui a suivi ce cadeau de mariage destiné par le compositeur au couple Ysaÿe, uni en septembre 1886. La partition fut créée à Bruxelles au Cercle artistique trois mois plus tard par le dédicataire et Marie-Léontine Bordes-Pène. On ne reviendra pas sur la genèse de ce chef-d’œuvre sinon pour rappeler son importance capitale dans l’évolution de la musique française en termes d’intensité, de profondeur méditative et de chaleur communicative. Capuçon et Wang nous en donnent une version qui ne convainc pas tout à fait : au-delà de l’irréprochable prestation technique et de la virtuosité déployée, le panache démonstratif de la pianiste, qu’elle arrive pourtant à brider, et les notes graves du violoncelle de Capuçon, livrées avec retenue et pudeur, ne créent pas l’intimité poignante que l’on espère et que l’on attend dans ces pages si prenantes. On a souvent l’impression que chacun joue sa partie en accompagnement de l’autre, sans échange émotionnel et complice.

Chopin semble un peu mieux convenir au duo. L’Introduction et Polonaise brillante opus 3 de 1829 laisse le champ libre au piano, chatoyant et même fiévreux, le violoncelle chantant à travers des phrases ornées. Capuçon et Wang en donnent une version éloquente, même si la pianiste n’échappe pas tout à fait à son tempérament. Même remarque pour la Sonate pour violoncelle et piano opus 65, achevée en 1846, dernière partition publiée du vivant de Chopin, que l’on peut considérer comme un sommet d’élégance. On apprécie ici le rythme du clavier, la fougue du violoncelle, mais l’échange n’emporte pas l’adhésion complète ; le duo ne peut rivaliser, par exemple, avec l’incroyable fusion qui unissait Martha Argerich et Mischa Maïsky dans une version live de 2010, captée à Varsovie lors du bicentenaire de Chopin.

C’est en fin de compte en insatisfaction relative que l’on sort de cet enregistrement, malgré le brio déployé dans un Piazzolla enlevé mais dont la programmation dans ce contexte est des plus étonnantes, pour ne pas dire hors sujet. Yuja Wang et Gautier Capuçon nous doivent une revanche dans le domaine de la complicité chambriste.

Son : 9  Livret : 7   Répertoire : 8   Interprétation : 7

Jean Lacroix  

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