Les frères Capuçon et Frank Braley, une Dream Team pour deux trios à clavier de Beethoven

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Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Trios à clavier n° 5 op. 70 ° 1 « Les Esprits » et n° 7 op. 97 « Archiduc ». Renaud Capuçon, violon ; Gautier Capuçon, violoncelle ; Frank Braley, piano. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. 69.47. Erato 01902953919997.

Les deux frères Capuçon ont déjà gravé pour Erato avec Frank Braley, chacun de leur côté, une intégrale des sonates pour violon et piano en ce qui concerne Renaud (2011), et une intégrale des sonates pour violoncelle et piano dans le cas de Gautier (2016). Cette fois, la fratrie est réunie avec le même pianiste dans un enregistrement de mars 2019, effectué dans un studio de la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt. Amorce d’une nouvelle intégrale, des trios à clavier cette fois ? Espérons-en l’augure à l’audition de ces versions, qui nous comblent, de deux des plus célèbres d’entre eux. 

L’option globale des interprètes, complices depuis de longues années, se situe dans l’homogénéité et l’équilibre de l’approche, le partenariat et l’écoute mutuelle étant ici le leitmotiv permanent. Le Trio n° 5 de 1808, dédié à la comtesse Marie Erdödy, dans la maison de laquelle le compositeur habita pendant quelques mois, a été conçu à l’époque où Beethoven achevait l’écriture de la Pastorale. On constate que le créateur a soigné la mélodie et l’harmonie, mais s’est aussi soucié de proposer un univers sonore varié qui permet aux instruments de s’épanouir dans des paysages nouveaux, dont le plus caractéristique est le Largo dans une atmosphère que l’on peut qualifier d’irréelle, voire de fantomatique, ce qui a donné son nom à la partition. Ce mouvement aux thèmes intimes et mystérieux est traduit par le trio Capuçon/Braley avec une infinie délicatesse, dans un tempo frémissant qui entraîne l’auditeur dans un rêve éveillé. Cette réussite est précédée de l’alerte Allegro de forme sonate qui ouvre des perspectives d’écriture contrapuntique contrastée, au sein de laquelle la dynamique interne trouve toute son expressivité. Dynamique qui se retrouvera dans le Presto final, lui aussi de forme sonate, laissant libre cours à la souplesse bondissante, mais aussi à un chant clair et limpide, teinté d’un irrésistible parfum de liberté. 

Superbe travail d’équipe, qui va se prolonger dans le Trio n° 7 qui date de 1811. Beethoven est au sommet de l’inspiration et de l’inventivité dans cette partition en quatre parties, le mouvement lent étant situé après le Scherzo, ce qui renforce l’impression de tissu musical associant un climat placé sous le signe de l’expression, avec des moments de bonheur calme mais aussi d’allant rythmique qui ne néglige pas la danse. Si l’Allegro moderato relève du bonheur et le Scherzo de la poésie simple, les couleurs de l’Andante, placé comme indiqué en troisième mouvement, se meuvent dans ce que Beethoven lui-même précisait dans une lettre à Schindler « comme l’idéal le plus élevé de la sainteté et de la dignité », ce que ne manque pas de rappeler la belle notice signée Adélaïde de Place. L’intimité, nimbée d’intériorité lyrique, atteint une hauteur de vues que les interprètes manient ici avec le juste message spirituel que l’on peut attribuer à ce sublime Andante. Concentrés dans leur échange de partage et d’échanges attentifs, dans un esprit chambriste compris au plus haut degré, les frères Capuçon et Frank Braley donnent à l’Allegro moderato conclusif sa part d’accents stimulants. Jusqu’au bout, ils respectent le sens de l’écoute mutuelle.

On ne jouera pas ici au jeu des comparaisons discographiques. Elles seraient un rappel de quelques seigneurs du passé (Cortot/Thibaud/Casals, inégalés pour L’Archiduc, Kempff/Szeryng/Fournier, Istomin/Stern/Rose ou Barenboim/Zukerman/ du Pré pour les deux trios - comment s’empêcher de les citer ?), mais aussi la confirmation que les complices d’aujourd’hui sont à placer au tout premier rang des versions du XXIe siècle, aux côtés notamment du Trio Wanderer (Harmonia Mundi, 2012).

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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