En toute lisibilité

par
Werther

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« Werther » à Opéra de Nancy-Lorraine
Ainsi donc, une fois de plus, le jeune Werther a parcouru le tragique cheminement qui le mène au suicide : la fascination, l’amour éperdu pour une Charlotte promise à un autre, l’effacement, la pensée obsessionnelle, le retour, la certitude d’un amour partagé, mais absolument impossible, le suicide. Quelles « souffrances », pour reprendre le titre du livre de Goethe qui a inspiré l’opéra de Jules Massenet !A l’Opéra de Nancy-Lorraine, c’est en toute lisibilité que nous pouvons le découvrir, grâce à une mise en scène et à une scénographie absolument au service des intentions et des climats de l’œuvre. Rien ne nous distrait d’un texte magnifiquement ramené à l’essentiel par les librettistes. Nous sommes en phase avec les sentiments intenses des héros, en phase avec le romantisme exacerbé du propos : sentiment de la nature, amour fou, affections électives, âmes embrassées, sens du devoir, douleurs, exaltation, refuge dans une mort qui promet peut-être des retrouvailles. Comme elle est bienvenue aussi la présence de ces petits enfants qui, en juillet, répètent les chants de Noël qui, en décembre, serviront de contrepoint tragiquement ironique à la scène ultime du suicide.
Bruno Ravella, le metteur en scène, Leslie Travers, le scénographe et costumier, et Linus Fellbom, le responsable des lumières, donnent vie à l’œuvre dans les environnements les plus adéquats, très beaux. Un élément important de la réussite réside en effet dans un jeu de parois mobiles qui, dans les moments essentiels, se font huis clos pour les rencontres décisives des personnages. Le plafond parfois se soulève pour laisser apparaître des paysages naturels, pour être envahi de milliers d’étoiles ou pour mettre en évidence des personnages « en dehors », de joyeux drilles étrangers au drame, préoccupés des prochains pots qu’ils vont boire. Elles s’effacent pour donner à voir – superbe surgissement – l’arbre sous lequel Werther veut être enterré. Ces parois sont peintes et renvoient en toute splendeur à des paysages de genre ou à une peinture de Poussin.
Les lumières sont essentielles. Les ombres projetées sur les parois annoncent les arrivées : l’être aimé ou le mari ? Elles suscitent nos réactions en parallèle avec celles des personnages. Quant aux accessoires - il y a bien un clavecin à l’acte III, didascalistiquement nécessaire - ils se résument à une banquette avec accoudoir, axe de notre regard. Bruno Ravella a l’art de la mise en place significative de ses chanteurs.
Et c’est ainsi que, écoutant et regardant, nous sommes subjugués. Le dispositif scénographique amplificateur (le plafond projette les sons) et la puissance vocale des interprètes surprennent d’abord : ne s’agit-il pas de pauvres êtres emportés dans le tourbillon de la passion amoureuse ! Mais bien vite, c’est la conviction de ce chant qui nous émeut : ils sont ébranlés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes et leurs élans à la fois irrésistibles et contraints les bouleversent, les ravagent. Cette puissance qui émane d’eux est bien celle de leurs sentiments : Edgaras Montvidas et Stéphanie d’Oustrac (quelle superbe prise de rôle, comme elle nuance son tempérament affirmé) excellent à ce « jeu ». Bien entourés par Philippe-Nicolas Martin (Albert, le mari), Diwa Bawab (Sophie, la petite sœur) et Marc Barrard (le père). Sans oublier Eric Vignau et Erick Freulon (les joyeux Schmidt et Johann).
Mais tout cela ne serait rien sans la baguette attentive et précise de Jean-Marie Zeitouni, maître du jeu, qui nous donne, avec l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, une lecture de la partition elle aussi de remarquable lisibilité.
Stéphane Gilbart
Nancy, Opéra, le 15 mai 2018

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