Eric Sleichim, BL!NDMAN et les ICONS
L’ensemble belge BL!NDMAN fait paraître un coffret titré ICONS et qui rend hommage aux grandes figures de la musique minimaliste : Steve Reich, Philip Glass, Terry Riley. Chacun de ces compositeurs est à l’honneur dans l’un des trois albums de ce coffret événement. En prélude à des concerts de lancement d’ICONS, Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec le formidable Eric Sleichim, fondateur et animateur de BL!NDMAN.
La présentation de cette nouvelle parution énonce “La musique minimale est une source d'inspiration pour Eric Sleichim depuis les années 1980.“ En quoi la musique minimaliste est-elle une source d’inspiration pour vous ? Quel a été votre premier contact avec cette musique ?
J’ai découvert Steve Reich et la musique minimaliste en 1983, lorsque avec Thierry De Mey, Peter Vermeersch et Walter Hus nous avons travaillé sur la musique de "Rosas danse Rosas" d'Anne Teresa De Keersmaeker. Dans ses deux chorégraphies précédentes, la démarche structurelle de Anne Teresa s’était déjà nourrie de la musique de Steve Reich.
Pour la musique de Rosas, nous avons combiné les mécanismes de composition des minimalistes avec une recherche de textures sonores originales à partir d’un effectif instrumental ‘Arte Povere’ -c’est à dire l’utilisation de cadres de pianos démantelés, ressorts de suspension de voitures et autres objets ’trouvés’ amplifiés si nécessaire. De cette collaboration est né Maximalist! appelé par la presse d'alors ‘Le groupe de rock post-moderne à ne pas manquer'.
A cette époque, j'étudiais aux conservatoires de Bruxelles et de Liège et j’étais à la recherche d’une musique (in)pertinente et surtout d'un répertoire pour mon instrument, le saxophone. Mécontent du répertoire existant pour l’instrument en ce temps, une vision maximaliste de la musique ainsi qu’une démarche rebelle (le punk était encore bien présent) formaient la clef de voûte pour le projet que je fonderai quelques années plus tard : BL!NDMAN. La musique minimaliste était et représente encore toujours un pont entre une attitude ‘rock-alternative’ et une musique classique contemporaine.
Des courants musicaux nés dans la seconde moitié du XXe siècle, la musique minimale reste l’un des plus populaires et l’un des rares mouvements issus de la musique savante à avoir franchi les barrières très étroites entre les styles. Qu’est-ce qui, selon vous, continue de séduire le public dans la musique minimale ?
De prime abord, le fait que cette musique est principalement consonante -même plus d’un siècle après les premières œuvres atonales de Schoenberg, le public qui se complait de l'atonalité et de l’esthétique weberniène reste fort réduit.
Et la manipulation de phrases mélodiques plus ou moins simples qui, de par leur répétition, deviennent très reconnaissables et élaborées dans une structure longue avec une pulsation souvent monolithique, en font une musique dans laquelle un large public se sent réconforté de par sa prévisibilité.
De plus c’est une musique qui se prête à des effectifs très variables utilisant des instrumentations ‘modernes’ et/ou empruntées aux musiques du monde. On se trouve souvent loin du son traditionnel de l’orchestre symphonique ou de diverses formations de musique de chambre classique.

Comment avez-vous choisi les œuvres qui composent ce coffret ?
A partir de la structure et de l’instrumentation de l’ensemble BL!NDMAN -c’est à dire quatre quatuors (à cordes, de saxophones, de percussion et hybride)- bon nombre d'œuvres de nos trois compositeurs s'imposaient.
De Reich, à part Nagoya Marimba toutes enregistrées en re-recording : Triple Quartet (3 quatuors à cordes), New York Counterpoint (12 saxophones), Nagoya Marimbas (2 Marimbas), Cello Counterpoint (8 violoncelles) et Electric counterpoint (13 Guitares électriques et 2 Basses). De Riley, The Tuning Path (quatuor de saxophones), Poppy No-good (5 saxes soprano), ainsi que In C à instrumentation libre.
Tout comme In C, les œuvres de Glass sont à instrumentation variable et sont donc interprétées par l’ensemble au grand complet : Music in Similar motion, Music in Contrary motion, Music in Fifths et Music with Changing Parts.
Outre le paramètre de l’instrumentation, c’est la nature des partitions choisies qui sied parfaitement à l’esthétique de BL!NDMAN unissant virtuosité instrumentale au drive propre à l’ensemble.
Est-ce que vous avez pu travailler directement avec les compositeurs au sujet de l’interprétation ? Enregistrer ces pièces, c’est parfois se confronter à des interprétations des compositeurs eux-mêmes, est-ce que c’est un défi particulier ?
Ce n’est que pour Poppy Nogood and the Phantomband que j’ai pu collaborer avec Terry Riley. C’est une pièce qu'il a enregistrée lui-même au sax soprano dans les années soixante en utilisant la technique du re-recording alors toute neuve. En tant que telle, la pièce n’a jamais été jouée live. Ce n’est qu'après y avoir travaillé avec lui que depuis lors, grâce à un dispositif électronique que j’ai développé, je la joue en concert. C’est cette version live qui se retrouve dans cet enregistrement.
Pour les pièces de Steve Reich, c’est parfois un peu compliqué puisque dans différentes éditions les partitions mentionnent maintes fois des indications contraires. Là, c’est un choix judicieux qu’il faut faire en se basant sur le bon sens ou encore sur des préférences esthétiques.
En ce qui concerne les pièces de Philip Glass, c'est bien plus simple puisqu'il les à créées lui-même au clavier solo, en laissant finalement aux interprètes le choix de l’instrumentation et de tous les paramètres de l’interprétation.
BL!NDMAN s’est fait connaître, entre autres, par son travail sur la musique ancienne. Est-ce qu’il y a des liens entre les univers de la musique ancienne et du minimalisme musical ?
Comme les trois compositeurs de ICONS se sont inspirés aussi bien des musiques du monde que de la musique polyphonique -et plus particulièrement les polyphonies franco-flamandes-, le pas à faire entre notre travail de réinterprétation de la musique ancienne à la musique minimaliste est fort aisé. La conscience de l’autonomie des voix dans le contrepoint de la musique polyphonique se retrouve peut-être encore le plus dans In C de Terry Riley. Ici chacun réagit librement à l’espace musical qui l’entoure et crée ainsi un contre-chant unique qui, à son tour, suscitera d’autres initiatives musicales engendrant rythmes et textures sonores exclusifs.
Est-ce que vous avez déjà un nouveau projet en perspective ?
Pour n’en citer que quelques uns, beaucoup de projets BL!NDMAN sont déjà entamés ; comme la création de Apokalyps -nouvelle grande oeuvre de James Wood par le quatuor de saxophones avec le Collegium Vocale de Philippe Herreweghe, de nouvelles oeuvres créées par le quatuor de percussion au sein de l’IRCAM à Paris ainsi qu’un tout nouveau programme de musique électronique (avec, entre autres, des oeuvres de Kaija Saariaho) par le quatuor à cordes.
Comme dans BL!NDMAN toutes les générations sont représentées, les envies et les sources d’inspirations se cumulent et se chevauchent. Grâce à leur autonomie, les quatuors font un travail considérable au niveau technique et garantissent ainsi la qualité du grand ensemble. BL!NDMAN est un instrument qui fait rêver plus d’un compositeur et, espérons-le, le public d’aujourd’hui et de demain.
Le site de BL!NDMAN avec les dates des concerts : www.blindman.be/en
A écouter :
The American Minimalists - Steve Reich, Philip Glass, Terry Riley. by BL!NDMAN – Eric Sleichim. 1 coffret WARNER
