Ernest Bloch en des interprétations de référence
Ernest Bloch (1880-1959) : Trois Poèmes Juifs ; Schelomo (Salomon), rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre ; Symphonie Israël. Zara Nelsova, violoncelle. New Zealand Symphony Orchestra, direction : James Sedares ; Utah Symphony Orchestra, direction : Maurice Abravanel. Édition 2023. Livret en anglais. 1 CD-R Alto ALC1477.
S’agissant du compositeur suisse Ernest Bloch (1880-1959), le mélomane discophile doit toute sa reconnaissance aux deux labels discographiques pionniers Decca Records et Vanguard Records, totalement dévoués à son œuvre dès l’apparition du microsillon au tournant des années 40-50 : Decca le fait connaître non seulement comme compositeur, mais aussi comme chef d’orchestre (Avodath Hakodesh, Service sacré ; Schelomo) et pianiste chambriste avec - déjà ! - l’incomparable violoncelliste Zara Nelsova (1918-2002), sans oublier la musique de chambre avec le Griller String Quartet (Quatuors à cordes n°1 à 4) et le Quintetto Chigiano (Quintette avec piano n°1).
Quant à Vanguard, label new-yorkais fondé par les frères Seymour et Maynard Solomon (nom vraiment prédisposé à la musique de Bloch !…), il nous gratifie de la Symphonie Israël dès 1952, version superbe et inspirée de Franz Litschauer (1903-1972) à Vienne, puis de la Rhapsodie épique America dirigée par Leopold Stokowski en 1960, suivie des Trois Poèmes juifs par Fritz Mahler (1901-1973), du Concerto Symphonique pour piano par Marjorie Mitchell (1921-2017) au piano, du Concerto pour violon par Roman Totenberg (1911-2012) en soliste, ces deux dernières œuvres gravées en 1961 sous la baguette expérimentée du légendaire Vladimir Golschmann (1893-1972).
En 1967, fort du succès de la stéréophonie devenue la référence indiscutable dans la prise de son, Vanguard décide de l’appliquer à la Symphonie Israël (1916) pour une nouvelle version, cette fois avec la collaboration de Maurice Abravanel et de l’Orchestre Symphonique de l’Utah qu’il dirige de 1947 à 1979. Et pour faire bonne mesure, contrairement à la version Litschauer, le label complète le disque avec Schelomo (1916), ne pouvant choisir plus judicieusement pour soliste que Zara Nelsova, cette admirable musicienne appelée affectueusement par certains mélomanes « Madame Schelomo », tant elle s’approprie l’œuvre, et dont Bloch lui-même déclare « Zara Nelsova EST ma musique ». Après les deux versions Decca dirigées par Ernest Bloch (1949) et Ernest Ansermet (1955), cette troisième, où elle reste égale à elle-même, planant au-dessus des autres solistes, sera sa dernière de l’œuvre.
Par leurs qualités exceptionnelles d’interprétation et de prise de son, ces deux gravures de 1967 se devaient d’être choisies par le label Alto pour cette superbe compilation Ernest Bloch. Tout en étant subtil et raffiné, l’Orchestre de l’Utah est précis et rutilant à souhait, avec pour conséquence de couvrir souvent dangereusement les cinq voix solistes requises au troisième mouvement Souccot de la Symphonie Israël : il est vrai que Bloch lors de son exécution souhaitait qu’elles soient placées parmi et même derrière l’orchestre… Les mélomanes prospecteurs tenteront de retrouver la version mono Litschauer de celle-ci, pour son équilibre idéal entre orchestre et un quintette vocal idéal de pureté ; la version Dalia Atlas (ASV - Naxos, 2000), bien qu’un peu plus molle et manquant de punch, mais rehaussée de bons solistes, peut être appréciée par certains ; enfin - oreilles sensibles s’abstenir ! - évitez celle d’un Evgueni Svetlanov sur le tard et plus hollywoodien que nature (Le Chant du Monde - Saison Russe - Brilliant Classics, 1998), certes superbe quoiqu’un peu lente, mais où les voix, se croyant à l’opéra, déploient un impossible vibrato : on est bien loin de l’atmosphère contemplative et mystérieuse voulue par Bloch…
Pour ouvrir ce superbe programme Bloch sous forme de concert, Alto a choisi les Trois Poèmes juifs contemporains (1913), non pas dans la version de Fritz Mahler (Vanguard, 1960) dont l’édition en CD était sans doute inaccessible, mais dans celle bien plus récente de James Sedares (Koch, 1993), chef d’orchestre américain qui nous a offert tant de superbes enregistrements en grand défenseur de la musique de son pays. Sa version de ces Trois Poèmes juifs, chaleureuse et colorée, choix idéal parmi celles postérieures de Dalia Atlas (ASV - Naxos, 1996), Andrey Boreyko (BIS, 2002) ou Steven Sloane (Capriccio, 2009), est parfaitement appropriée aux qualités musicales révélées par Maurice Abravanel.
Si l’on peut regretter l’édition en CD-R de cette parution Alto, plus fragile et moins durable que les CDs traditionnels de commerce, on appréciera le fait d’avoir conservé le visuel original de la parution Vanguard initiale en CD des gravures Abravanel, à savoir Homme en costume oriental (1639) de Rembrandt.
Son : 9 - Livret : 8 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10
Michel Tibbaut