Eugène Ysaÿe en coffret
Œuvres de Ysaÿe, Chausson, Lekeu, Franck, Debussy. Solistes, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Brussels Philharmonic, Coffret de 5 CDs, Texte de présentation en français, anglais et allemand, Fuga Libera, FUG 758
En 2019, la Chapelle Musicale Reine Elisabeth célébrait son 80e anniversaire autour d’un hommage à Eugène Ysaÿe, l’un des plus grands violonistes du XXe siècle. Il ne s’agit pas d’une intégrale de son œuvre (le coffret ne propose pas ses 6 sonates pour violon seul, déjà largement représentées au disque) mais plutôt d’un aperçu de sa vie depuis ses débuts de virtuose globetrotteur jusqu’à la fin, quand son langage musical prend son envol et devient unique en son genre, en passant par une période médiane de créateur quand nombre de ses contemporains franco-belges lui dédient des œuvres.
Du côté des interprètes, l’affiche est imposante : on retrouve les maîtres en résidence à la Chapelle, certains de leurs élèves, artistes en résidence eux aussi, actuels et anciens, et des solistes célèbres : Renaud Capuçon, Tedi Papavrami, Lorenzo Gatto et Henri Demarquette. Avec la collaboration du Brussels Philharmonic et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, le tour est fait.
Parmi les (re)découvertes, on note la première discographique des deux premiers mouvements des Concertos pour violon et orchestre en Mi mineur et en Ré mineur. En 1884, à 26 ans, Ysaÿe écrivit ces deux œuvres fortement inspirées par les grands concertos romantiques. Insatisfait, il les laissera incomplets. Grâce aux larges travaux musicologiques de Xavier Falques et de la Juilliard School, elles ont pu être enregistrées par l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège dirigé par Jean-Jacques Kantorow, avec Yossif Ivanov et Nikita Boriso-Glebsky domptant sans difficulté apparente les parties solistes. Nombreux sont les mélomanes qui découvriront aussi la Légende Norvégienne pour violon et piano. Si Marc Bouchkov en gravait en 2017 la première discographique dans une interprétation fine et sensible, le jeune Canadien Kerson Leong propose ici une vision tout aussi aboutie de cette œuvre de jeunesse, optant pour l’intensité et le drame, contrastant sons denses et effleurements fantasmés.
Hormis les trois pièces précédentes d’ordre secondaire, le reste du coffret contient des œuvres majeures, voire des chefs d’œuvre notoires telles la Sonate de César Franck dans une version particulièrement limpide de Lorenzo Gatto et Julien Libeer (dont l’onirisme du dernier mouvement fait mouche !) et l’immense Sonate pour violon de Guillaume Lekeu. Et on retrouve Kerson Leong avec Jean-Claude Vanden Eynden dans le Quatuor pour piano et cordes du même compositeur.
Écrit entre 1893 et 1894 pour violon et piano, Ysaÿe n’orchestrera son sublime Poème Élégiaque qu’en 1904, en magnifiant les proportions (parfois même avec un brin d’excès). Rarement enregistré dans cette version, on a le plaisir d’entendre un « ancien » enregistrement (2009) par Tedi Papavrami et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège dirigé de main de maitre par son ancien directeur musical François-Xavier Roth qui peaufine chaque détail : superbe ton funèbre des timbales, fanfares endiablées, accord final de l’orchestre déployé par les cordes et vents tel un suaire…
Et la Méditation pour violoncelle et orchestre d’Ysaÿe est sublimée par Gary Hoffman. Traversant les ténèbres avant de rendre l’âme, la profondeur d’interprétation et la force tranquille de son jeu conviennent merveilleusement bien à l’œuvre.
Au-delà des considérations musicales, la qualité d’enregistrement, ample et équilibré, est uniformément fantastique.
Pierre Fontenelle