Fauré et Bach réunis pour le premier album du pianiste Gabriel Durliat

In Paradisum. Gabriel Fauré (1845-1924) : Requiem, op. 48, VIII. In Paradisum, transcription pour piano Gabriel Durliat ; Pelléas et Mélisande, suite op. 80, transcription pour piano Gabriel Durliat ; Nocturnes n° 7 op. 74, n° 11 op. 104 n° 1 et n° 13 op. 119. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Fantaisie et Fugue pour orgue en sol mineur, BWV 542, transcription pour piano Franz Liszt ; L’Art de la fugue. Contrepoint XIV, complétion Gabriel Durliat ; Cantate BWV 147 : n° 10 Choral « Jésus que ma joie demeure », transcription pour piano Myra Hess. Gabriel Durliat, piano. 2024. Notice en français. 65’ 40’’. Scala Music SMU019.
Voici le premier récital du jeune pianiste français Gabriel Durliat, né à Bourges en 2001. Formé dès 2016 au Conservatoire de Paris où il est l’élève d’Henriette Cartier-Bresson, Thierry Escaich, Jean-Frédéric Neuburger et Guillaume Connesson, il se perfectionne ensuite à l’Académie Jaroussky, à Boulogne-Billancourt, auprès de Cédric Tiberghien. Premier Français à remporter le Concours international Campus de Pontoise en 2022, il obtient, en Allemagne, le Deuxième Prix du Concours Hans von Bülow de Meiningen en 2023, réservé à la direction d’orchestre depuis le piano. Gabriel Durliat avait commencé à approfondir la technique de direction à Copenhague, en juin 2022, en participant à des leçons données par Fabio Luisi ou Herbert Blomstedt. Ce jeune artiste, aux intérêts multiples et à l’indéniable talent, signe pour Scala Music un premier et remarquable récital, qui réunit Gabriel Fauré et Jean-Sébastien Bach, en apportant à chacun d’eux une touche personnelle.
Avec des pages de Fauré, Gabriel Durliat apporte sa pierre à l’édifice de la commémoration des cent ans de la disparition du natif de Pamiers. Il considère, dans un texte qui sert de notice, que, malgré le statut dont il bénéficie, Fauré demeure un musicien méconnu, en particulier ses œuvres de maturité. C’est en partant de cette constatation qu’il a élaboré le programme en posant la question : comment faire entendre, au sens le plus noble du terme, sa musique ? Trois Nocturnes sont à l’affiche : le n° 7 (1898), sombre et passionné, dont on n’ignore pas la difficulté d’exécution, le n° 11 (1913), un hommage funèbre et poignant à Noémie Lalo, l’épouse décédée du critique Pierre Lalo, le fils d’Édouard, et le n° 13 (1921), avec ses dimensions vastes et dramatiques. Durliat les traduit avec une maturité déjà affirmée : technique solide, absence de pathos, lisibilité, éloquence. Ces trois pages semblent ici couler de source. Durliat va plus loin, en s’appropriant en quelque sorte d’autres moments fauréens à travers les transcriptions qu’il en fait. Il s’efface avec pudeur derrière l’Andante moderato du Requiem. Il reproduit le côté consolateur de cet In Paradisum, qui donne son titre à l’album, avec une retenue qui lui semble naturelle. Sa transcription de Pelléas et Mélisande souligne par ailleurs très bien les côtés élégiaques de cette musique de scène.
Ce programme fauréen de qualité alterne avec des pages de Bach, ce qui se justifie pleinement, le Français ayant été un ardent défenseur de la figure historique qu’il avait appris à connaître lors de sa formation à l’École Niedermeyer, où Bach était, parmi d’autres, à la base de l’enseignement du piano. S’il a choisi la transcription de Liszt pour le diptyque de la Fantaisie et Fugue BWV 542, dont il souligne l’exubérance sans sombrer dans la grandiloquence, s’il cisèle Jésus que ma joie demeure dans la transcription dépouillée de Myra Hess, Gabriel Durliat n’hésite pas à se lancer avec aisance dans le Contrepoint XIV de L’Art de la fugue, en le complétant d’un In memoriam Gabriel Fauré personnel, concrétisant ainsi de façon originale le lien entre les deux créateurs.
Le présent récital témoigne d’un talent des plus prometteurs, dont nous suivrons l’épanouissement avec un vif intérêt. On est heureux de trouver, en exergue, à l’intérieur de la pochette, un extrait de La Chanson d’Ève de Charles Van Lerberghe (1904), le poète symboliste belge qui inspira à Fauré un cycle de dix mélodies : Épanche mon âme/En ton abîme, pour qu’elle embaume/La terre sombre et le souffle des morts. En parfaite adéquation avec le contenu de l’album.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix