Duo polonais pour les Douze Pièces de Franck sur le Cavaillé-Coll de Saint-François-de-Sales
César Franck (1822-1890) : Trois Pièces. Trois Chorals. Jaroslaw Tarnawski, orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-François-de-Sales de Lyon. Livret en polonais, français. Octobre 2021. Digipack 1 CD. TT 75’56. Recart 0051
César Franck (1822-1890) : Six Pièces Op. 16-21. Agnieszka Tarnawska, orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-François-de-Sales de Lyon. Livret en polonais, français. Avril 2022. Digipack 2 CDs. TT 39’25 + 45’25. Recart 0056
Ces deux digipacks nous sont parvenus après la célébration de l’anniversaire de Franck, mais s’inscrivent rétrospectivement parmi les meilleures réalisations que nous avions commentées à l’occasion de ce bicentenaire, riche de nouvelles intégrales des « Douze Pièces », couronnées par le sacre inattendu d’Ami Hoyano à Saint-Omer. L’approche exposée par monsieur et madame Tarnawski se présente moins visionnaire qu’Olivier Vernet à Caen, moins refondatrice que Joris Verdin, mais se situerait plutôt dans la lignée du grand style défendu par Michel Bouvard à Toulouse.
À l’instar des enregistrements déjà anciens réalisés par Marie-Claire Alain (première intégrale chez Erato) et par son titulaire d’alors Louis Robilliard (Festivo), le choix s’est porté sur un des Cavaillé-Coll les plus intacts, celui de Saint-François-de-Sales –et même si, comme le mentionne lucidement la notice, « il requiert une restauration urgente ». Avec sa large quarantaine de jeux, la taille de l’orgue lyonnais (1880) s’avère similaire à la console parisienne de Sainte-Clotilde, de vingt ans antérieure, que connut et admirait le compositeur. Les livrets de chaque album pointent quelques différences de nomenclature entre ces deux instruments successifs : un Récit réévalué et à plus forte intonation, mais un Positif moins fourni et sans 16’ ; pas de 32’ au pédalier (sauf par résultante acoustique du 102/3) mais une Soubasse en sus de la Contrebasse. On citera aussi la disparition des deux Quintes.
Malgré la distribution entre deux interprètes et deux sessions distantes de quelques mois (octobre 2021, avril 2022), ce regard croisé fédère une même esthétique, celle d’un discours largement épanoui, un peu « vieille école », conforme à la réputation du Pater Seraphicus, mais qui a fait ses preuves. Registrations idoines, tempos larges, phrasés dodus et expressifs qui laissent parler la magie des timbres du lieu. Agnieszka Tarnawska réussit autant les pages méditatives (Prière, Pastorale) que les majestueuses constructions fuguées des opus 17 et 18, et ne manque pas de brio dans le Finale dédié à Lefébure-Wély.
Jaroslaw Tarnawski s’était auparavant chargé des deux cycles de chefs-d’œuvre, qu’il sert avec un geste un peu plus affuté, cernant de près l’éloquence des pièces. On ne peut que saluer la simplicité et l’efficacité avec laquelle il façonne la Fantaisie, ses élans sur accords battus comme ses instants de recueillement où s’installe la sérénité, puis l’évidence qu’il dégage de la célèbre Pièce Héroïque, osant prendre les aises pour installer une profonde intériorité, sans brio surajouté ni précipitation intempestive. On placera au sommet son exécution des testamentaires Trois Chorals : le premier, d’abord rengorgé dans des fonds somptueux, qui prend le temps de raffiner chaque épisode sans disjoindre les lignes, mais peut-être au prix d’une lecture trop séquentielle de l’architecture. Ce qui n’empêche pas de se tendre vers une conclusion judicieusement resserrée. Le lugubre et fantasmatique second Choral se trouve agencé avec une parfaite maîtrise de la structure formelle de cette passacaille et du schéma émotionnel qu’elle sous-tend. Pour le dernier volet du triptyque, Jaroslaw Tarnawski ne force pas la verve toccatisante du Quasi Allegro, mais soumet le raptus à une conception sagement progressive qui s’intègre à une cohérence globale. On connaît des explorations plus intenses et virtuoses de ce morceau, mais peu d’aussi nobles, confrontant les deux thèmes avec art, jusqu’à un épilogue où l’ivresse est supplantée par un sentiment d’authentique grandeur.
Tout au long du parcours, et sur un instrument dont ils ont su tirer le meilleur compte tenu de son état « dans son jus », les deux organistes polonais livrent un témoignage des plus fiables qui peut dignement rejoindre le premier rayon d’une discographie pourtant abondante. Une superbe captation, qui flatte les couleurs, les textures et le relief du prestigieux Cavaillé-Coll, concourt à ce remarquable accomplissement. Si vous devez vous en faire idée, commencez par le CD au minutage le plus généreux, qui regroupe les créations les plus abouties du maître liégeois. Nul doute que cette découverte vous motivera à acquérir l’autre double-album.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5