Beethoven : fin de l’intégrale symphonique du bicentenaire chez Harmonia Mundi

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie no 4 en si bémol majeur, opus 60. Symphonie no 8 en fa majeur, opus 93. Étienne Nicolas Méhul (1763-1817) : Symphonie no 1 en sol mineur. Luigi Cherubini (1760-1842) : Ouverture de Lodoïska. Bernhard Forck, Akademie für Alte Musik Berlin. Avril-mai 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 40’54 + 49’46. Harmonia Mundi 902448.49

Prévu pour s’achever lors du bicentenaire de 2027, le projet éditorial qu’Harmonia Mundi consacre à Beethoven vient avec le présent album boucler l’intégrale des neuf symphonies, confiée à quatre chefs et trois orchestres. Un cycle plutôt bien accueilli dans nos colonnes : même si Bertrand Balmitgere se montrait réservé envers la Neuvième par Pablo Heras-Casado, même si L'Eroica par François-Xavier Roth nous semblait plus volontariste que toujours convaincante, Jean Lacroix situait à haut niveau la Septième par Gottfried von der Goltz, et un Joker Absolu saluait même la Cinquième survoltée par Les Siècles que nous qualifiâmes de « version HIP de référence ». L’Akademie für Alte Musik Berlin s’était déjà distinguée dans les deux premières symphonies et la Pastorale, et nous revient ici dans les quatrième et huitième.

Ne manquons pas de souligner l’exceptionnelle qualité de la longue notice signée de l’éminent Peter Gülke, complétée dans sa traduction en français par les instructives apostilles de Bertrand Vacher. Quoi de plus captivant que de lire un propos intelligent et révélateur sur des œuvres qu’on croit connaître par cœur. L’opus 60 est présenté sous l’angle de l’incertitude, de la subversion des attentes (sur le plan du développement thématique, des surprises harmoniques), et d’un certain génie de l’ironie. L’opus 93 drainerait-il une réputation de superficialité, de facticité ? Peut-être car « on n’en a vu que la façade » relativisait le musicologue Harry Goldschmitt, cité dans la notice qui cumule les exemples pour prouver le raffinement du discours, sa malice (flouer l’auditeur par des ruses), et son ingénieuse cohérence d’un mouvement à l’autre.

On dévore ces lignes avec un vif intérêt, hélas l’écoute coule avec indifférence. La pâleur des teintes, le lissage des textures, la minceur de la pâte orchestrale (une vingtaine de cordes) accrochent peu l’oreille. Dans la Symphonie en si bémol majeur, les tempi permettent un épanouissement serein voire excessivement sage (le final), contrairement à l’Allegro Vivace où l’Akademie ambitionne un contraste maximal avec l’introduction et se prend les pieds dans le tapis à force de bousculer l’allure. On cherche en vain ses appuis : au lieu d’une motricité qui affermisse des directions, on se trouve cramponné à une monture qui regimbe en tout sens. Ce rodéo fatigue, -mène-t-il quelque part ?

Même déception pour la huitième symphonie : dans l’Allegro vivace e con brio, on ne comprend pas toujours la logique des accentuations, qui au demeurant n’atteignent pas la précision qu’on espérerait de cet effectif contingenté. Le flux charrie son limon, avance sans nécessité, sans se cadrer dans une forme sûre. Idem pour le final où, malgré la légèreté et l’élan impulsés par Bernhard Forck, le relief reste épidermique, sans incarner pleinement l’impérieux humour qui fait le prix de ces pages. On regrette le poids de signification dont quelques baguettes d’hier (Pablo Casals, Paul van Kempen, Hermann Scherchen, John Barbirolli, Leonard Bernstein…) investissaient ce chaudron d’humeur. On apprécie en tout cas comment les troupes berlinoises métamorphosent le Menuetto en kaléidoscope.

En dépit de la patine d’époque et de la réflexion sur les phrasés, ce témoignage enregistré (assez platement) au Teldex Studio laisse une impression d’inaboutissement, du moins rien qui singulariserait une vision esthétique ou s’imposerait face à une discographie qui pullule depuis des lustres. Au rayon HIP à poigne, Paavo Järvi à Brême (RCA) a marqué un sommet qui inciterait à explorer d’autres voies. Si l’interprétation beethovénienne devait se chercher un renouveau, au-delà de la lettre ne peut-on renouer avec la chaleur, le cœur et la profondeur, à l’instar de ce que de disques en concerts propose un Jordi Savall ?, tel que décrit par Pierre Carrive.

Comme dans les précédents volumes, Beethoven est contextualisé par des partitions contemporaines. Depuis les albums de Marc Minkowski (Erato) et de Michel Swierczewski (Nimbus) gravés voilà plus de trente ans, les symphonies de Méhul ont fait leur chemin chez les mélomanes. On nous offre ici celle en sol mineur (tonalité de la K. 550 de Mozart), en laquelle Robert Schumann voyait une réponse à la Cinquième du Maître de Bonn, à tort ou à raison puisque Méhul ne connaissait certainement pas cette œuvre. L’Akademie für Alte Musik en livre une lecture tonique mais disciplinée, voire un peu trop. L’Allegro réclamerait davantage d’ivresse, surtout en sa section de développement. Et le conclusif Allegro agitato s’ébat entre candeur mendelssohnienne et fougue lyophilisée, ce qui n’est pas la plus évidente recette pour l’embraser. Déjà peu passionnante en soi, l’Ouverture de Lodoïska nous est servie comme un verre d’eau tiède et ne stimule aucunement l’enthousiasme en berne qui nous voit refermer ce digipack dont on attendait vraiment mieux. On ne voudrait pas sembler mesquin en conseillant ce disque pour son remarquable livret, mais il le mérite et surclasse la concrétisation musicale de cette heure et demie.

Son : 7,5 – Livret : 10 – Répertoire : 6,5-10 – Interprétation : 6,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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