Furtwängler en intégrale 

par

The Complete Wilhelm Furtwängler on Record. Berliner Philharmoniker, London Philharmonic Orchestra, Lucerne Festival Orchestra, Philharmonia Orchestra, Wiener Philharmoniker, Wilhelm Furtwängler.  Notice de présentation en français, allemand et anglais. Enregistrements entre 1927 et 1954. 1 coffret de 55 CD Warner Classics. 01900295232405.

Warner Music propose un événement éditorial : l’intégrale des enregistrements officiels du légendaire Wilhelm Furtwängler. Pour publier cette somme, la firme s’est entendue avec sa consoeur Universal Music et le coffret présente donc l’intégrale des bandes publiées par Deutsche Grammophon, Polydor, HMV, Decca et Telefunken. Bien évidemment, ces enregistrements ne sont pas “inconnus” et ils sont plus ou moins régulièrement proposés au catalogue. Cependant, ce legs tendait à être un peu négligé et trop oublié des rééditions. Il faut dire que des reprises sous différents labels quand ces albums furent libres de droits et l’apparition de bandes de concerts inédites souvent de très haute qualité (comme le coffret des enregistrements publiés par le label des Berliner Philharmoniker) mais parfois plutôt anecdotique, contribuent à éloigner ces bandes du rythme des rééditions régulières des majors. De plus, le réseau des nombreuses Sociétés Furtwängler à travers le monde s'activait aussi pour compléter notre connaissance de l’art du chef par l’édition de captations complémentaires des ses concerts. Cette profusion éditoriale, en grande partie portée par des amoureux de Wilhelm Furtwängler, fut néanmoins un peu problématique car l’idée apparut que le grand musicien aurait été plus à l’aise avec l’exercice du concert que celui du studio et qu’il subissait le disque plus que d’en être un fervent partisan. L’excellente notice de présentation tord le cou à ces légendes urbaines ! Au final, Furtwängler a accompagné des grandes évolutions de l’enregistrement comprises entre l’abandon du cornet acoustique à l’apparition de la stéréophonie, même si le maestro ne put utiliser cette dernière avancée majeure.  

Le gros atout de ce coffret réside dans sa plus value éditoriale car il ne s’agit pas d’une mise en boîte des précédentes parutions mais d'un travail méticuleux de Stéphane Topakian, l’un des grands connaisseurs de l’art du chef en collaboration avec Christophe Hénault, l’un des meilleures spécialistes de la restitution du patrimoine sonore. Dès lors, ce travail comprend de précieux remasterings des albums mais il a relevé d’autres défis comme  un remontage de la Passion selon Saint-Matthieu à partir des enregistrements complets sur bande des quatre concerts donnés du 14 au 17 avril 1954. L’auditeur est parfois face à une restitution pionnière comme la Symphonie n°7 captée à Vienne en 1950 et proposée à partir des bandes originales (26 bandes !) qui étaient considérées comme perdues ; dès lors il a été possible de gommer les imperfections de bande par des inserts d’extraits d’autres prises. Parfois ce travail nécessitait quelques menues adaptations comme pour l’enregistrement de la Symphonie n°5 de Beethoven en 1926 dont plusieurs mesures manquaient ; pour stabiliser le confort d’écoute, ce “trou” a été complété avec la version de 1937.  Cette action éditoriale et technique qui nous plonge presque aux côtés du chef et de ses ingénieurs du son, s’avère passionnante et elle est très bien présentée dans la notice de ce coffret.    

On ne s’étendra pas foncièrement sur le contenu tant le commentateur ne peut avoir la prétention de mettre des mots sur l’art d’un tel musicien ! Tout est à écouter et à thésauriser dans ce coffret témoin du génie d’un musicien qui reste sans doute l’incarnation suprême du geste du chef d’orchestre, capable de transcender les instrumentistes au service d’une vision de la musique née de la fulgurance de l’inspiration et de l’engagement total. Il n’empêche que revenir à ces enregistrements pourtant bien connus reste une expérience par la puissance du torrent musical à l’image des légendaires gravures de la Symphonie n°9 enregistrée à Bayreuth en 1951 ou la Symphonie n°4 de Schumann gravée à Berlin en 1953. Certes, il y a eu depuis des centaines de nouveaux enregistrements dont de nombreux sont excellents, mais du caractère total de cet engagement artistique sans faille découle une force dramatique qui est unique dans l’histoire de la musique au disque. 

Le coffret se prolonge d’un album d’inédits composé de matériaux alternatifs qui découlaient, entre autres, des filages pour des essais de balance des micros, avant les prises. La pépite de ce disque réside dans une Symphonie n°8 de Schubert captée par les micros de la radio danoise à l’occasion d’un concert des Wiener Philharmoniker à Copenhague en 1950, proposée en première mondiale. Un sympathique documentaire audio "Wilhelm Furtwängler - A Memoir", déjà proposé lors de l'édition d'un précédent coffret en 2011, est adjoint à cette belle boite. 

Dès lors, pas d’hésitation, ce coffret est un pierre angulaire de l’histoire de la musique et de l’interprétation. C’est l’un des évènements de l’année. 

Son : 10 (pour la qualité exceptionnelle du remastering)  – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

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