Gabriel Bestion de Camboulas, explorateur de l’orgue 

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L’organiste Gabriel Bestion de Camboulas fait paraître chez Calliope un album qui fait rimer l’orgue avec la musique de chambre. Dans le cadre du Trio Orpheus, il explore le répertoire du trio avec orgue, violon et violoncelle, une formation instrumentale rare qui prend ses racines au XIXe siècle. La parution de ce disque, éditorialement des plus  attrayants, nous a donné l’envie d’en savoir plus. 

Le Trio Orpheus, avec lequel vous faites paraître cet album, a pour ambition de mettre l’accent sur le répertoire oublié pour orgue, violon et violoncelle. Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce répertoire, aussi particulier qu’oublié ? 

Un besoin viscéral de partager le travail de la musique avec d'autres ! L'orgue est un instrument où ces moments sont trop rares. J'avais l'habitude de tenir le continuo dans les orchestres baroques. Mis à part ce répertoire, ainsi que quelques concertos pour orgue, la musique de chambre me manquait cruellement. Jusqu'au jour où mes lectures m'ont amené à découvrir les romanesques soirées musicales chez Madame Pauline Viardot avec Fauré, Saint-Saëns ou Liszt autour de l'orgue Cavaillé Coll de salon. Cela m'a immédiatement fait rêver.

En quoi cette forme musicale était-elle importante au XIXe siècle ? A quel public s'adressent ces partitions ? 

 Les propriétaires qui avaient les moyens de s'offrir un orgue brillaient volontiers en installant cet instrument dans leur salon de musique. Les exemples sont nombreux : Pauline Viardot, Edouard André, le Baron de l'Espée (le plus connu, dont l'orgue se trouve aujourd'hui au Sacré-Coeur de Montmartre). Ces personnalités recevaient chez elles des musiciens de renom pour des soirées musicales et souvent des premières en  créations. On imagine avec délice le Requiem de Gabriel Fauré en version "chambriste" dans un salon. Mais c'était aussi l'occasion pour les organistes de se manifester en dehors du contexte liturgique, ce qui donne lieu à d'autres styles musicaux, comme la création de la Première Symphonie avec orgue d'Alexandre Guilmant au Palais du Trocadéro en 1878.  

 Comment avez-vous choisi les œuvres sur cet album ? Pourquoi celles-là car je présume qu’il en existe des dizaines ? 

 Il en existe plusieurs, certes, mais aucune n'est comparable à l'envergure de la Suite Op.149 de J.G.Rheinberger. Composée en quatre mouvements, elle s'apparente plus à une symphonie par ses dimensions et sa richesse. D'une maîtrise polyphonique et instrumentale totale. Notre volonté était aussi de proposer exclusivement des pièces en trio (et non duos). Pour offrir un maximum de variété, nous avons opté pour des transcriptions de musiques orchestrales. Elles donnent un nouvel éclairage, plus intime, aux œuvres déjà génialement connues (par exemple la Danse Macabre de Camille Saint-Saëns). Enfin, le contexte de l'amitié musicale franco-allemande à la fin du XIXe siècle sous-tend cet album, à l'instar de la longue admiration amicale réciproque de Saint-Saëns pour Liszt. 

Quels sont les enjeux techniques et stylistiques de marier les timbres et les dynamiques d'instruments aussi différents ? 

Pour l'organiste, l'enjeu est de suivre les dynamiques des cordes. Sans les couvrir, j'ai cherché à me fondre dans le son pour créer une osmose globale. Pour les cordes, l'enjeu est de maintenir un jeu souple bien que timbré, afin de garder une force d'ensemble. C'est amusant de constater les adaptations que nous devons faire au fil des différents concerts. En effet, l'emplacement de l'orgue, sa taille et sa puissance varient à chaque endroit. Si bien qu'à la fin de chaque concert, nous avons hâte de découvrir les nouvelles surprises que nous apporteront les prochains lieux. C'est une vraie rencontre avec l'orgue avant de rencontrer le public.  

Sur cet album, il y a également une de vos compositions. Pouvez-vous nous en parler ? 

Le travail intense que la Suite de Rheinberger nous a demandé m'a beaucoup inspiré. J'avais envie de continuer à exploiter d'autres sonorités de notre trio à travers un langage proche de celui de Rheinberger. C'est une parodie qui lui rend hommage. Cependant, certaines variations s'éloignent de son classicisme, allant même jusqu'à convoquer les accents de la musique Tango. Cet exercice d'écriture m'a littéralement passionné et j'encourage vivement les compositeurs à s'intéresser à cette formation riche et complémentaire. 

 L’orgue est-il finalement un instrument de musique de chambre comme les autres ? 

 Je soutiens cette idée. Les sonorités variées de l'orgue lui confèrent la souplesse nécessaire pour dialoguer avec les autres instruments. A notre époque, il y a de moins en moins de difficulté à déplacer un orgue dans les lieux de concert. Le reste du travail est aussi à faire pour le décloisonnement des mentalités en termes de catégories et de conventions musicales. Mais en France comme en Europe, beaucoup de salles de concerts et d'églises osent innover, avec succès, en matière de programmation pour orgue. Et c'est tant mieux ! Là où l'orgue pouvait souffrir d'une image désuète, il gagne au contraire à être connu, comme instrument de musique de chambre entre autres.

Le site de Gabriel Bestion de Camboulas : https://gabriel-bestiondecamboulas.com/accueil

  • A écouter : 

Alchimie. Oeuvres de Franz Liszt, Josef-Gabriel Rheinberger, Camille Saint-Sans, Gabriel Bestion de Camboulas, Henri Cieutat. Trio Orpheus. 1 CD Calliope Records. CAL 22101.

 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR

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