Gabriel Hollander, chef d’orchestre entrepreneur
Le chef d’orchestre Gabriel Hollander est musicien et entrepreneur. Il est le fondateur de l’Orchestre Etesiane avec lequel il sera prochainement en concert avec un programme qui sort de l'ordinaire. Gabriel Hollander aime également défendre le patrimoine musical et descendre dans la fosse, des caractéristiques pas si fréquentes chez les jeunes chefs d’orchestre. Le musicien est également Conductor Mentee auprès de la Peter Eötvös Fondation. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce chef émergent agitateur d’idées.
Vous êtes le fondateur de l’Orchestre Etesiane. Pourquoi avez vous pris la décision de créer un orchestre? Ce n’est pas une démarche si commune !
Cela s’est fait par la force des choses, alors que j’étais encore à l’école secondaire. Malgré mes lacunes techniques de direction de l’époque (à ce moment-là, je n’avais pas encore eu mon premier cours de direction !), j’avais fondé et dirigé le chœur des élèves de mon école. Cela m’a fait prendre goût à l’aspect organisationnel, fédérateur et de rencontre qu’un tel projet favorise.
Il y a quelques années, les projets rassemblant des artistes autour d’un même projet ont pris de plus en plus d’ampleur : par exemple, en 2018, j’ai rassemblé 70 choristes, 40 instrumentistes et 4 solistes pour deux concerts avec le requiem de Mozart, et en 2022, j’ai créé trois “Scratch Operas” en trois semaines avec une centaine d’intervenants (solistes, instrumentistes, choristes, pianistes) dans le cadre de ma préparation pour le concours de direction à l’Opéra Royal de Wallonie :
Le nom de l’orchestre s’est concrétisé en avril 2023 pour le concert de clôture du festival Courants d’Airs à Bruxelles. Etesiane — nom propre basé sur “l’étesien”, un vent puissant et chaud qui souffle sur la Méditerranée orientale — représente la chaleur que l’on vit quand on est fédéré par et pour le projet, dans l’orchestre, l’organisation et le public.
Quels sont les défis à surmonter pour fonder, dans ces années 2020, en Belgique, un nouvel orchestre ?
Les défis pour fonder un orchestre sont probablement semblables aux défis de chaque start-up — à la différence que l’on se trouve dès sa création avec un large groupe de personnes sur lequel le projet entier dépend. Pour moi, il me semble que le principal défi pourrait être le manque de temps et donc comment prioriser de manière efficace et juste les multiples tâches à effectuer.
C’est pour cela que je suis profondément reconnaissant à tous les partenariats que l’orchestre a déjà reçus jusqu'à aujourd'hui : des musicien.ne.s et d’autres organisations musicales, des lieux de concerts, des festivals et j’en passe. Sans tout ce soutien et cette confiance, il aurait été sûrement plus difficile de réaliser les dix premiers projets de l’orchestre Etesiane pendant ces deux dernières années.
Au programme de votre prochain concert, on relève les noms de Beethoven, du contemporain Dimitri Arnauts et une œuvre du compositeur belge Alexander Stadtfeld. Ce mix sort de l’ordinaire. Je présume que c’est une démarche volontaire et assumée de proposer de telles associations de compositeurs et d'oeuvres?
L’idée du programme musical du prochain concert d’Etesiane vient d’une énergie semblable au projet même de l’orchestre : celle de fédérer les projets et institutions autour du même but, l’expérience du concert. En pratique, ce concert offre au Talk C.E.C — nouvel espace à Bruxelles dédié aux expériences culturelles et enjeux environnementaux contemporains — un concert qui “ouvre en musique” la période des fêtes de fin d’année. D’où l’idée des différentes ouvertures.
En particulier, l’ouverture de Stadtfeld est une redécouverte mondiale après 170 ans et en partenariat avec la bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles. Plus tôt en 2023, elle a déjà été jouée par l'orchestre Melomania, et comme cette pièce mérite plus de visibilité, j’ai voulu la reprogrammer au prochain concert d’Etesiane.
La création du prélude Pro Mémoria de Dimitri Arnauts s’inscrit aussi dans une démarche volontaire de l’orchestre Etesiane de collaborer avec des compositeurs contemporains, belges et internationaux. Dans les mots du compositeur, ce prélude annonce “une oeuvre symphonique plus vaste, qu’il [le compositeur] a composée pour célébrer le triomphe de la Paix et de ses artisans bienveillants”.
Le compositeur belge Alexander Stadtfeld est bien oublié. Est-ce qu’il vous tient à cœur de défendre le patrimoine belge au concert ? Avez-vous déjà d’autres plans pour proposer aux auditeurs des découvertes musicales de compositeurs nationaux ?
Je garde un tiroir (digital) de compositeurs et d'œuvres inédites qui n’attendent qu’un moment opportun pour être programmés. Spécifiquement pour Stadtfeld, cela faisait plusieurs années que Koenraad Sterckx, l’éditeur de cette ouverture, m’avait montré cette musique et sa redécouverte me donne certainement l’envie de faire redécouvrir d’autres pièces de son répertoire symphonique et opératique.
Il y également d’autres idées dans le tiroir (digital) pour présenter aux auditeurs avides de (re)découvertes musicales, comme celle des “messes brèves” (missa brevis). Cette forme d’oratorio “miniature” permet une réflexion spirituelle d’une manière presque intime, tant par leur durée que le nombre de leurs musicien.ne.s sur scène. Plusieurs concerts autour du projet des “messes brèves” sont déjà programmés dans des festivals en 2024.
Vous avez dirigé récemment une production d’un opéra de Mozart, est-ce un souhait de développer une carrière dans la fosse ? C'est un domaine plutôt fuit par la jeune génération de chefs !
Tout à fait : depuis que j’accompagne des chanteur.se.s au piano, je continue de rester profondément attiré par l’opéra (ainsi que l’oratorio). Ce domaine rassemble plusieurs valeurs importantes pour moi : la beauté de la musique, l’histoire avec le texte, le théâtre et la mise en scène (et dans l’oratorio aussi la spiritualité). J’ai déjà eu le plaisir de diriger des opéras, opérettes et comédies musicales, en Belgique et à l’étranger (Cologne en Allemagne, Bucarest en Roumanie et Szolnok en Hongrie) et d’arriver parmi les six derniers candidats lors concours de l’Opéra Royal de Wallonie en 2022.
Vous êtes actuellement Conductor Mentee auprès de la Peter Eötvös Fondation. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
L’expérience de travailler en intime collaboration avec les chefs d’orchestre et compositeurs Peter Eötvös et Gregory Vajda de la Foundation Peter Eötvös à Budapest est pour moi un bond vers l’avant dans le domaine de la direction musicale de la musique contemporaine. Grâce à cette expérience, j’ai pu travailler plusieurs fois avec l’ensemble français Ars Nova, ainsi que l’orchestre hongrois Danubia, et plusieurs concerts en Allemagne et Hongrie sont programmés dans les prochaines saisons.
En particulier, l’expérience de Conductor Mentee auprès la fondation Peter Eötvös m’a permis de rencontrer et travailler avec le Conductor Composer de cette année 2023, le compositeur anglais Sebastian Black. Même après avoir pu créer quelques-unes de ses oeuvres pendant ces derniers mois, je me réjouis de continuer à (faire) découvrir ses prochaines créations dans concerts à venir. (Et qui sait, peut-être un jour développer ensemble une des idées du tiroir digital ?).
En concert :
Talk CEC, ancienne manufacture de porcelaine, Samedi 16 décembre (20h30)
Au programme : Beethoven (Ouvertures de Fidelio et Egmont), Dimitri Arnauts (création) et Alexander Stadtfeld : Ouverture de Hamlet
Orchestre Etesiane, direction : Gabriel Hollander
Le site de Gabriel Hollander : www.hollandermusic.com
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : DR