Glinka et Dvořák servis avec chaleur par le Quatuor Hába et leurs partenaires

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Mikhail Glinka (1804-1857) : Sextuor pour piano et cordes (Gran Sestetto originale) en mi bémol majeur. Antonín Dvořák (1841-1904) : Quintette pour piano et cordes en la majeur, op. 81. Haiou Zhang, piano ; Ioan Cristian Braica, contrebasse ; Quatuor Hába. 2022. Notice en allemand et en anglais. 65’06’’. Hänssler HC24034. 

Au cours des premières années du XXe siècle, l’éditeur parisien Henri Laurens publia des ouvrages de vulgarisation artistique, dont une collection consacrée aux compositeurs. Après un volume consacré à Liszt, le critique franco-britannique Michel Dimitri Calvocoressi (1877-1944) publia en 1911 une « biographie critique » de Mikhail Glinka. Cet auteur considérait que la valeur de la production du compositeur était inégale et qu’à part ses deux opéras et ses pièces symphoniques, on pouvait laisser de côté presque tout le reste. Il ajoutait : Ni ses quelques œuvres de musique de chambre, simples essais de jeunesse (le sextuor pourtant est contemporain de La Vie du Tsar), ni ses pièces de piano, n’apportent rien de neuf, ne révèlent même un tempérament (p. 56). Un jugement lapidaire, mais surtout injuste. L’écoute de la Sonate pour alto et piano de 1825 ou du Quatuor de 1830, mais, surtout, des partitions composées en 1832, confirme une opinion à courte vue, rectifiée depuis lors par la critique russe spécialisée, mais aussi par notre compatriote Frans C. Lemaire dans sa volumineuse Histoire de la musique russe (Fayard, 2006). 

Après avoir étudié à Saint-Pétersbourg, notamment avec John Field lors d’un séjour de ce dernier, Glinka, communément surnommé « le père de la musique russe », se rendit dans plusieurs villes italiennes entre 1830 et 1833, dont Milan, Naples et Rome. Il y subit l’influence du lyrisme italien, en particulier de Donizetti et Bellini. En 1832, il composa des divertissements sur des thèmes des opéras de ces derniers, un remarquable Trio pathétique pour piano, clarinette et basson, ainsi que le Sextuor qui fait partie du programme du présent album. Cette page d’une expressivité chaleureuse a été écrite sur les bords du lac de Côme, et est destinée à un quatuor à cordes, une contrebasse et un piano. Elle s’inspire du style opératique italien, par son côté mélodique brillant, et du romantisme naissant, en particulier de Carl Maria von Weber pour le piano. Le critique Calvocoressi aurait été mieux éclairé en considérant ce témoignage de la courte production de musique de chambre de Glinka comme le sommet de sa créativité de jeunesse. Après son séjour dans la Péninsule, puis un passage par Berlin, Glinka se tournera vers ce qu’a retenu surtout la postérité : ses opéras à caractère national, Ivan Soussasine (La vie pour le tsar) et Russlan et Ludmila, et ses pages symphoniques.

On prend un réel plaisir à écouter l’introduction de cette œuvre écrite à l’intention d’une virtuose italienne (mariée, dont Glinka fut amoureux), le piano ayant un rôle dominant. L’entrée au clavier est franche et virtuose, sinon solennelle, et anime un Allegro de forme sonate enrichi par deux thèmes qui combinent l’élégance et la suavité, avec une belle place pour le violoncelle, avant une vive conclusion. L’Andante central propose un climat délicat, une mélodie qui fait la part belle au violoncelle et au violon, avec des accents fervents. Ce mouvement s’enchaîne avec le très dynamique final, baigné dans une atmosphère qui englobe des élans opératiques et des traits romantiques, servis par une émotion passionnée. 

Le Quatuor Hába, dont la fondation à Prague remonte à 1946, a connu des heures de gloire, avant d’émigrer en Allemagne lors des événements de 1968. Un temps dissous, il a connu une nouvelle vie en 1984, la formation évoluant au fil du temps. Aujourd’hui, elle est constituée par les violonistes Sha Katsouris et Artur Podlesny, l’altiste Peter Zelienka et le violoncelliste Arnold Ilg, qui se produisent dans des répertoires variés et peu fréquentés. Ici, le pianiste Haiou Zhang, formé en Chine puis à Hanovre, et le contrebassiste roumain Ioan Christian Braica se joignent à eux pour cette version du Sextuor, bien construite et chaleureuse, balancée et sensible, qui ne doit pas rougir face au Quatuor Borodine avec Ludmila Berlinskaïa et Grigori Kovalevski (EA Records, 2004) ou au Quatuor Pražák, avec Lukáš Klánský et Pavel Nejtek (Praga, 2012), même si ces deux derniers ensembles sont plus incisifs dans la mise au point de ce romantisme lyrique. 

Le couplage avec le Quintette pour piano et cordes op. 81 de Dvořák, qui précède le Sextuor dans le présent album, révèle tout autant les qualités des Hába. Cette page célèbre de 1887 contient l’une des plus belles réussites musicales du Tchèque, la Dumka du second mouvement, qui s’énonce dans un climat mélancolique, suivi d’un thème qui va lancer un déchaînement de danses énergiques, avant le retour au silence. Le Molto vivace qui suit est un furiant subtil, au charme indéniable, dans un contexte valsant. Un Allegro tout sourire, traversé par un rythme de polka, conclut l’œuvre, pétillant de mille feux, dans une irrésistible coda. Malgré l’abondante concurrence (dont les impérissables Budapest avec Clifford Curzon, ou Borodine avec Sviatoslav Richter), les Hába, avec un Haiou Zhang qui a des élans espiègles, signent une version haute en couleurs, en sensations radieuses et en conversations émotionnelles. Ce couplage inhabituel fonctionne bien et fait de cet album un moment de plaisir musical.

Son : 8,5  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 8,5

Jean Lacroix  

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