Gluck et magnifique soirée polonaise à Varsovie

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Lukasz Borowicz dirigeant l’Orchestre Symphonique de la Radio Polonaise © Bruno Fidrych

Le deuxième opéra donné en version concert lors de ce 18e Festival Beethoven placé cette année sous l'"Idéal de liberté" que symbolise le compositeur, fut Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck dont on fête cette année le tricentenaire de la naissance. La soirée était donnée en collaboration avec le département Voix et Opéra de l'Université de Yale sous la direction artistique du Professeur Doris Yarick-Cross. Le jeune et talentueux chef Lukasz Borowicz conduisait l'Orchestre Symphonique de la Radio Polonaise dont il est titulaire depuis 2007 auquel s'était joint le Choeur de la Radio Polonaise préparé par Izabela Polakowska. Un plateau de haut vol qui confirma les curriculum annoncés : la soprano Helena Juntunen (Iphigénie), le baryton David Pershall (Oreste), le ténor Eric Barry (Pylade), la basse George Mosley (Thoas, roi des Scythes), la soprano Anna Destraël (1ère prêtresse), la soprano Laura Holm (2e prêtresse et une femme grecque), le ténor Benoît Deney (un Scythe) et la basse Guillaume Durand (le ministre du sanctuaire). Un seul bémol à la soirée : l'utilisation d'un grand symphonique dans une salle généreuse qui plus est, le jeu "à l'ancienne" des cordes sur des vents massifs confinaient à la lourdeur et gommaient les subtils méandres de la partition. Mais contre mauvaise fortune, le chef déploya son professionnalisme et choisit d'empoigner l'orchestre à bras le corps pour affirmer de façon péremptoire le caractère novateur de la partition de Gluck. On appréciera aussi la qualité de la projection vocale et de la diction française des choeurs et des solistes -c'était finalement Iphigénie la moins compréhensible mais elle compensait par le grain de sa voix lumineuse.

Mardi soir l'"Idéal de Liberté" beethovénien se déclinait au travers de deux compositeurs polonais qui ont choisi la liberté face aux thuriféraires du totalitarisme, qu'il soit politique ou musical.
La soirée s'ouvrait avec le Concerto pour violon et orchestre à cordes d'Andrzej Panufnik dont on célèbre le 100e anniversaire de la naissance (il est décédé en 1991). Un anniversaire bienvenu et dont on espère qu'il fera connaître davantage ce compositeur, émigré en Angleterre en 1954 et auteur d'un grand corpus, symphonique notamment, que vient d'enregistrer pour CPO le jeune et talentueux Lukasz Borowicz que nous avions pu apprécier hier. Commande de Yehudi Menuhin, l'oeuvre commence par une longue cadence du violon qui va peu à peu se fondre dans l'orchestre, l'interrogeant ou l'interpellant dans un grand lyrisme teinté de spiritualité, celle que ressentait le compositeur chez son créateur. L'oeuvre est aussi marquée d'accents et de rythmes de son pays natal et de l'odeur du bois des forêts polonaises duquel son père, luthier, façonnait ses instruments. Le bois, c'est la couleur du violon de la soliste, Tai Murray, un son d'une grande intériorité et d'une profonde intensité se déployant dans l'esprit du grave. L'orchestre, le Beethoven Academie Orchestra sous la conduite du Vénézuelien Christian Vasquez était en totale symbiose avec la soliste. Un mot de cet orchestre : basé en Pologne, il fut fondé en 2003 et réunit les meilleurs étudiants et diplômés des conservatoires européens. Très rapidement, il participa à de nombreux festivals et divers enregistrements.
C'est le même orchestre que nous retrouvions pour le Concerto doppio pour violon et alto (ce soir dans une version violon et violoncelle) et grand orchestre de Krzysztof Penderecki avec, en solistes, la violoniste Elina Vahala  et le violoncelliste Arto Noras, tous deux de culture finlandaise. Dans sa version initiale, le concerto fut créé à Vienne le 2 octobre 2012 par Janine Jansen et Julian Rachlin -à qui l'oeuvre est dédiée- et l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise dirigé par Mariss Jansons. Comme le concerto de Panufnik, celui-ci commence par une longue cadence des solistes, cadence que l'on retrouvera sous d'autres dires dans le courant de l'oeuvre. L'oeuvre est formée de divers épisodes interconnectés qui varient dans les tempi et la texture de la narration musicale. Les dialogues entre les solistes se font de plus en plus dramatiques avant d'être interrompus par de lourdes syncopes de l'orchestre. Dans le Finale, on retrouve une grande Passacaille contrepointée par les solistes et reprise en canon par divers instruments. On retrouve ici l'art du compositeur dans la magnificence de l'usage orchestral alliée à la complexité et l'intelligence de l'écriture toujours accessible par l'auditeur. En cela aussi, Penderecki a choisi la liberté.
C'est la Troisième Symphonie de Beethoven, l'"Eroïca" qui clôturait le concert. Pourquoi Christian Vasquez, jusqu'ici à l'écoute des compositeurs, a-t-il voulu identifier Beethoven à un compositeur hurlant des fortissimi de manière survoltée. C'était confondre intensité sonore et intensité expressive. Pourquoi cette dépense d'énergie, inutile quand l'essentiel est ailleurs ?
Bernadette Beyne
Varsovie, Philharmonia, le 15 avril 2014

 

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