Hambourg, juin 2021 : Martha Argerich et ses amis en concerts publics

par

Rendez-vous avec Martha Argerich, volume 3 : Œuvres de Arno Babadjanian (1921-1983), Béla Bartók (1881-1945), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Leonard Bernstein (1918-1990), Johannes Brahms (1833-1897), Pablo Casals (1876-1973), Dimitri Chostakovitch (1906-1975), Manuel de Falla (1876-1946), César Franck (1822-1890), Felix Mendelssohn (1809-1847), Modeste Moussorgsky (1839-1881), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Astor Piazzolla (1921-1992), Serge Prokofiev (1891-1953), Franz Schubert (1797-1828) et Mieczyslaw Weinberg (1919-1996). Martha Argerich, Nicholas Angelich, Nelson Goerner, Alexander Gurning, Maria João Pires, Lilya Zilberstein, piano ; Renaud Capuçon, Gidon Kremer, Anne-Sophie Mutter, Tedi Papavrami, violon ; Gérard Caussé, alto ; Mischa Maisky, violoncelle ; Michael Volle, baryton, et une vingtaine d’autres solistes ; Symphoniker Hamburg, direction Sylvain Cambreling. 2021. Notice (uniquement de courtes biographies) en anglais, en allemand et en français. 458’ 35’’. Un coffret de sept CD Avanti 5014706 10702. 

Après Lugano, où un Festival Martha Argerich, regroupant un grand nombre d’amis et d’interprètes proches de la virtuose, a été organisé chaque été entre 2002 et 2016, c’est la cité hanséatique de Hambourg, en sa splendide Laeiszhalle, sur la Johannes-Brahms-Platz, qui a pris le relais à partir de 2018. Un premier volume de ce « Rendez-vous avec Martha Argerich » a été publié dès l’année suivante chez Avanti. Une nouvelle édition a eu lieu en 2019 et elle est également documentée par un coffret. Voici le troisième témoignage de ces jours de complicité et d’échanges musicaux : il s’agit de l’édition 2021, celle de l’année précédente ayant été perturbée par le Covid.

Martha Argerich a fêté ses 80 ans le 5 juin 2021, peu avant cette édition. Toujours motivée et dynamique, elle est la « vedette » de la moitié des œuvres ici incluses, dix-neuf au total. Un seul concerto pour piano au programme : le n° 2 de Beethoven, qu’elle a joué à maintes reprises, et dont elle connaît les moindres recoins de la partition. Elle en livre une lecture enthousiaste, pleine de vivacité dans l’Allegro con brio initial, de lyrisme intense dans l’Adagio, et de virtuosité maîtrisée dans le Rondo final. Une belle version, que le Symphonique de Hambourg, placé sous la direction de Sylvain Cambreling, déjà requis pour l’édition précédente, anime avec le même enjouement. Sur le même disque, on s’attardera au Trio n° 1 op. 49 de Mendelssohn, qu’elle joue avec son complice de toujours Mischa Maisky, mais aussi avec Anne-Sophie Mutter, scellant ainsi, dans ce contexte, une première collaboration avec la soliste allemande. Cette partition, créée en 1840 et que Schumann appréciait tant, dévoile, grâce à ce dialogue de haut niveau, ses secrets lyriques, fantastiques (superbe Scherzo) et brillants. 

Mutter n’est pas la seule à être invitée pour la première fois, c’est le cas aussi de Maria João Pires, qui est la partenaire d’Argerich dans une Sonate pour piano à quatre mains K 521 de Mozart, jouée avec retenue et verve à la fois. Pires propose en solo les Impromptus2 et 3 D 935 de Schubert et sa Sonate D 664. Le toucher a quelque chose de magique, tout paraît d’une évidence esthétique, en particulier la sonate de 1819, qui distille une poésie de tendresse cristalline. Martha Argerich est encore présente dans des pages variées : avec Mischa Maisky, bien sûr, dans de séduisantes Variations sur un air de La Flûte enchantée WoO46 de Beethoven, ou dans la Sonate op. 40 de Chostakovitch, méditative mais aussi sarcastique. Avec Renaud Capuçon, pour la Sonate op. 30 n° 3 du maître de Bonn, avec Lilya Zilberstein pour un autre Chostakovitch, le pétillant Concertino pour deux pianos op. 94 de 1953, ou encore avec la flûtiste solo du Symphonique de Hambourg, Susanne Barner, dans la Sonate op. 94 de Prokofiev, avec ses traits d’exubérance spirituelle. Mention spéciale pour une explosive Sonate pour deux pianos et percussion de Bartók, qui brille de mille feux, avec Nelson Goerner et les percussionnistes Alexej Gerassimez et Lukas Böhm, bien en forme. 

Pour le reste du programme, celui dans lequel Martha Argerich n’est pas impliquée, nous sortons du lot la Sonate pour alto et piano op. 120 n° 2 de Brahms. Il s’agit de la toute dernière apparition scénique de Nicholas Angelich, qui décédera à 51 ans, le 8 avril 2022, des suites d’une grave infection pulmonaire. Gérard Caussé est son partenaire dans l’adaptation de cette page d’abord destinée à la clarinette. Le caractère mélancolique et apaisant de l’Andante molto conclusif, avant sa fin lumineuse, prend, dans ces circonstances, une émouvante dimension. Le présent coffret a d’ailleurs été placé sous le signe d’un hommage à la mémoire de ce regretté virtuose. 

Un disque plaira aux passionnés d’Astor Piazzolla, d’autant plus que Gidon Kremer officie pour le langoureux et jouissif Great Tango, dans l’arrangement qu’en a fait Sofia Gubaidulina pour violon et piano (Georgijs Osokins est au clavier). Pour Les quatre saisons de Buenos Aires, tranches de vie d’un habitant de la cité, partition prévue pour un quintette, dont un bandonéon, qui a connu plusieurs arrangements, Tedi Papavrami est au violon, Eugene Lischitz au violoncelle, et Alexander Gurning au piano, pour rivaliser d’une séduction que l’on qualifiera d’« argentine ». En complément, on trouve les Danses symphoniques de « West Side Story » de Bernstein, dans une version pour deux pianos, souple et rythmée, par le duo Gerzenberg, Anton et Daniel, les fils de Lilya Zilberstein. 

Une voix est à mettre en évidence, celle du baryton allemand, Michael Volle qui propose de façon poignante les douloureux Chants et danses de la mort de Moussorgski, avec Daniel Gerzenberg pour partenaire. On saluera encore l’introduction dans ces soirées des brèves Douze miniatures pour flûte et piano op. 29 de Weinberg. Susanne Barner, qui avait Martha Argerich pour partenaire dans Prokofiev, est ici en duo avec la Japonaise Akane Sakai.

Les mélomanes qui ont acquis les deux premiers volumes da la série ne manqueront pas ce troisième « Rendez-vous avec Martha Argerich », non seulement pour ses prestations, mais aussi pour celles de tous ces artistes réunis pour célébrer la musique. Les prises de son en public sont de qualité et apportent un vrai confort d’écoute. 

Note globale : 10

Jean Lacroix

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.