Herbert Schuch : invité en résidence à Bozar

par

Tristan Murail (1947) : Cloches d’adieu, et un sourire… in memoriam Olivier Messiaen
Franz Liszt (1811-1866) : « Pater noster » - «Bénédiction de Dieu dans la solitude » - « Funérailles », pièces issues des Harmonies poétiques et religieuses

Johann Sebastien Bach : (1685-1750) : Choral « ich ruf’ zu dir, Herr Jesu Christ », BWV 639 (arr. F. Busoni) – Aria « Die Seele ruht in Jesu Händen », BWV 127 (arr. H. Bauer)
Maurice Ravel (1875-1937) : « La vallée des cloches » (Miroirs)
Olivier Messiaen (1908-1992) : « Cloches d’angoisse et larmes d’adieu » (Huit préludes)
Herbert Schuch, pianoInvité en résidence pour la saison 2014-2015 à Bozar, le jeune pianiste germano-roumain né en 1979 s’illustrera dans une série de cinq concerts. Formé à l’Universität Mozarteum Salzburg, il remporte de nombreux concours dont le Concorso Pianistico Internazionale Alessandro Casagrande, le London International Piano Competition et l’Internationale Beethoven Klavierwettbewerb. En plus d’avoir travaillé avec Alfred Brendel, Herbert Schuch joue avec les plus grandes phalanges orchestrales sous la direction de chefs renommés : Pierre Boulez, Andrey Boreyko, Laurence Foster… Pas de thématique générale pour sa résidence : il préfère une approche thématique par concert, notamment autour de la danse et de la spiritualité. Chaque programme est judicieusement construit, provocant parfois l’auditeur dans des œuvres inhabituelles en étroite relation avec d’autres plus célèbres. Au programme, Stravinsky, Hindemith, Ravel, Schumann, Beethoven, Brahms, Messiaen, Murail, Ullmann et d’autres qui ne manqueront pas d’attiser la curiosité de l’auditeur.
Herbert Schuch ouvre sa résidence à Bozar avec un récital coloré, intime où se côtoient imaginaire et sensation. S’agissant du programme enregistré chez Naïve, l’auditeur rencontre un artiste mature et sincère dans un répertoire maîtrisé. Le titre, Invocation, de par la richesse des différents langages et des trouvailles sonores, prend toute sa place ce soir. Dès les premières notes de Murail, on est sous le charme. Schuch prend le temps d’écouter la résonnance de chaque note, qu’il allie délicatement aux silences. Dans Cloches d’adieu, et un sourire… in memoriam Olivier Messiaen, s’apprécient le rapport entre les notes, les sections et le timbre développé au fil de l’œuvre. Quelques références à Messiaen, sons de cloches et autres citations, se perçoivent rendant l’œuvre passionnante. Sans véritable arrêt, Schuch poursuit avec « Pater noster » de Liszt. Dans cette écriture chorale, il privilégie la simplicité et l’expressivité de chaque accord. La construction, tant thématique qu’harmonique, est claire, limpide et les passages plus lyriques jouent de souplesse. Jeu de pédale surprenant mais intéressant, sans doute pour adopter une approche davantage chorale. En plus d’être un redoutable technicien du son, Schuch est aussi un excellent virtuose, toujours au service de la musique. Avec « Bénédiction de Dieu dans la solitude », le pianiste se montre plus démonstratif et lyrique, contrastant avec les œuvres précédentes : la ligne mélodique, appuyée avec justesse, est soutenue par un accompagnement discret mais vivant. On notera aussi une volonté de chercher toutes les sonorités et couleurs que lui propose le clavier. Le point culminant de l’œuvre arrive très naturellement sans aucun maniérisme. C’est un Liszt introspectif, à l’image d’une période de questionnement, de recherche, sans doute la période la plus impressionnante du compositeur. Ferrucio Busoni fut à l’honneur avec deux transcriptions de choral de Bach (le second comme bis). Belle manière de poursuivre le travail de Liszt avec un langage intensément religieux où naturel et simplicité sont les mots-clés.
En seconde partie, Schuch explore à nouveau un langage moderne, celui de Messiaen. Pièce de jeunesse, « Cloches d’angoisse et larmes d’adieu » (issu des Huit Préludes pour piano) est doté d’une écriture encore classique et curieusement très expressive. Si l’on félicitait la maturité de Schuch dans Murail, le pianiste atteint ici un degré de réflexion mémorable : il s’approprie l’œuvre à l’image du langage déjà très personnel de Messiaen dont le prélude est dédié à sa mère, décédée en 1927. Arrangé par Bauer, l’aria « Die Seele ruht in Jesu Händen » est conduit dans la même veine. Tempo modéré et contrôle des accords pour une ligne mélodique (« vocale ») sobre et évocatrice. Toujours dans une optique funèbre, Schuch poursuit avec une lecture à la fois personnelle et brillante de « Funérailles » de Liszt. L’hommage fait aux victimes de la révolte hongroise d’octobre 1849 est interprété avec toute l’angoisse qui le caractérise tandis que l’apport de motifs populaires dans des parties plus sereines ouvre l’imaginaire sur l’ouverture, sur la lumière.
Quoi de mieux que conclure avec « La vallée des cloches » (Miroirs) de Ravel ? La pièce agit comme reflet du récital et mène à réfléchir et penser sur cette idée d’invocation qu’Herbert Schuch a souhaité présenter au public belge. Un premier récital réussi qui incite à nous intéresser à ce jeune pianiste dans un monde où la culture est si malmenée…
Ayrton Desimpelaere
Conservatoire Royal de Bruxelles, le 22 octobre 2014

Les commentaires sont clos.