Herreweghe et le Collegium Vocale Gent dans trois Cantates de Bach à Flagey

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Artistes en résidence à Flagey pour la présente saison, Philippe Herreweghe et ses fidèles acolytes du Collegium Vocale Gent se produisaient dans la belle acoustique du Studio 4 pour une soirée consacrée à des Cantates de Bach, répertoire qu’ils servent depuis des décennies et où leur réputation n’est plus à faire. 

Le programme, bien pensé comme toujours avec ces interprètes, proposait trois Cantates écrites entre 1723 et 1725 par Bach pour l’église Saint-Thomas à Leipzig où le compositeur occupa le poste de Cantor de 1723 à sa mort en 1750.

Devant un public nombreux et extrêmement attentif, c’est la Cantate Bleib bei uns, denn es will Abend werden BWV 6 qui ouvrait le programme. D’emblée, on ne peut qu’admirer l’extraordinaire qualité du petit chœur de 12 chanteurs -qui intègre également les solistes du chant- et de la formation orchestrale de chambre que dirige le chef gantois dans cette oeuvre qui paraphrase le récit des pèlerins d’Emmaüs. La justesse et l’équilibre du choeur, la qualité des solistes (où l’on retrouve des habitués de la formation comme la superbe soprano Dorothee Mields et ce remarquable vétéran qu’est la basse Peter Kooij, mais aussi de plus jeunes recrues comme le contreténor Alex Potter et le ténor Guy Cutting), la transparence sonore impressionnent fortement. Mais au fur et à mesure que l’oeuvre avance, un doute s’instaure et se confirme : il y a quelque chose d’étrangement raide et froid dans cette interprétation curieusement timorée et privée de toute passion, de toute flamme. 

Heureusement, les choses changeront (et pour le mieux) dès la Cantate suivante, Was Gott tut, das ist wohlgetan BWV 99, basée sur l’un de plus célèbres hymnes luthériens dont la première et la dernière strophe encadrent l’oeuvre. Ici, le chef se départit heureusement de l’incompréhensible neutralité observée dans la Cantate précédente pour nous offrir une interprétation infiniment plus animée et engagée. Après le récitatif Sein Wort der Wahrheit stehet fest énoncé avec autorité par Peter Kooij, l’Aria Erschüttre dich doch nicht, verzagte Seele offre un superbe dialogue entre le ténor et une délicate partie de flûte tenue par l’excellent Patrick Beuckels. Dans le duo Wenn des Kreuzes Bitterkeiten, les entrelacs de la soprano et du contreténor avec les parties de flûte et de oboe da caccia sont une merveille toute pétrie de cette humanité et de cette beauté consolatrice que Bach sait si bien offrir.

Dans la Cantate Herz und Mund und Tat und Leben BWV 147, Bach ajoute à l’instrumentation déjà riche (deux hautbois, hautbois d’amour, deux oboi da caccia) une trompette qui apporte une note festive à un choral introductif plein de vie. Les interventions des solistes du chant sont excellentes, comme celle du contreténor Alex Potter en dialogue avec le hautbois d’amour dans l’air Schäme dich, o Seele, nicht. Dorothee Mields est merveilleusement émouvante (et quelle belle messa di voce) dans son bel air Bereite dir, Jesu où les volutes du violon solo -remarquablement tenu ici par Christine Busch- se joignent à la soprano. Plus d’un auditeur aura dressé l’oreille à l’écoute du choral entendu à deux reprises dans la Cantate (d’abord au milieu de l’oeuvre, puis à sa conclusion) qui n’est autre que cette merveilleuse mélodie si connue des amateurs de piano dans la transcription faite pour cet instrument par la pianiste britannique Myra Hess sous le nom Jésus, que ma joie demeure, immortalisée dans un inoubliable enregistrement de Dinu Lipatti, et reprise ensuite par tant d’autres.

Ainsi s’achève en beauté un concert de merveilleuse musique dans une interprétation de grande classe.

Patrice Lieberman

Bruxelles, Flagey, 25 janvier 2023

Crédits photographiques :  Michiel Hendryckx


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