Incitatif échantillon de l’œuvre d’orgue de Feliks Nowowiejski, par Ireneusz Wyrwa
Feliks Nowowiejski (1877-1946) : Concerto pour orgue no 1 Op. 56 no 1. Concerto pour orgue no 2 Op. 56 no 2. Introduction à l’hymne Veni Creator Spiritus Op. 9 no 8. Introduction au Salve Regina Op.9 no 4. Prélude sur le thème du Kyrie de la messe Orbis Factor Op. 9 no 3. Ireneusz Wyrwa, orgue de la Cathédrale Sainte-Marie de Tallinn. Septembre 2023. Livret en polonais et anglais. TT 65’55’’. UMFC CD 204
Principalement formé en Allemagne (Berlin, Ratisbonne) avant de s’installer à Poznań en 1919, Feliks Nowowiejski écrivit pour les genres vocaux profanes et sacrés (son opéra Légende de la Baltique, l’oratorio Quo Vadis, des messes, le chant patriotique Le Serment), pour l’orchestre (ballet, concerto, symphonie). Il lègue aussi un important catalogue pour orgue tant en quantité qu’en qualité, qu’il défendit en concert dans toute l’Europe, de Londres à Prague. Malgré l’intérêt de ce corpus, huit décennies après la disparition du compositeur, sa notoriété tarde encore à percer hors de sa Pologne natale. Rares sont les albums qui lui furent entièrement consacrés.
On rappellera le zèle de Rudolf Innig pour enregistrer les neuf symphonies en avril 1997 (MDG), au terme d’un an et demi d’étude des partitions, d’autant que les volumes alors récemment édités par l’Académie Chopin de Varsovie contenaient selon lui « un nombre d’erreurs si exceptionnellement élevé qu’ils ne furent vraiment exploitables qu’après une correction consciencieuse du texte ». Les quatre Concertos et une sélection de pièces furent ensuite gravées par Rudolf Innig sur le même Sauer de la cathédrale de Brême. La voie avait été frayée par les anthologies de Jerzy Erdman, spécialiste de Nowowiejski, dans un CD capté à Katowice-Janów (Polskie Nagrania, 1987, 1989) puis un double-album à Beckum (CPO, 1990-1991). Plus récemment, on mentionnera les contributions de Sebastian Adamczyk et d’Elzbieta Karolak, tous deux chez le label Dux.
Auteur d’un fondamental mémoire de presque 400 pages, accompagné d’un CD (Problèmes d'interprétation des œuvres pour orgue de Feliks Nowowiejski à la lumière des conceptions esthétiques du compositeur, KUL, 2011), Ireneusz Wyrwa nous propose ici une sélection d’opus qui relèvent de la maturité créatrice, ancrée dans les années 1930. Deux Concertos, et trois pièces plus modestes qui relèvent de la fantaisie de choral. On saluera l’intelligence du programme, qui débute sur une Introduction au Veni Creator Spiritus, une hymne qui inspire la trame mélodique du morceau entendu plage suivante, évoquant les noces du compositeur (« mon mariage dans la cathédrale Wawel à Cracovie »). Ce premier mouvement du Concerto annonce une dimension autobiographique voire familiale si l’on considère que le second (Infantes Dei) se réfère à la progéniture. L’iambe initial de ces « enfants de Dieu » rappellera aux cinéphiles la célèbre signature du film Pink Panther imaginée par Henry Mancini, et amorce l’étrange chromatisme mitteleuropa de cette page dérivée de la gamme mineure tzigane. Le troisième mouvement (In Paradisum) évolue d’un cérémonial funèbre vers un horizon de résurrection. Succède en plage 5 une brève pièce autour du Salve Regina ; un enchaînement fort logique et là encore aux connexions biographiques quand l’on sait que l’antienne mariale est liée en Pologne au rite pour les défunts, et fut jouée aux funérailles du compositeur à Poznań en janvier 1946.
Plus encore que dans l’opus 56 no 1, le portique du Concerto no 2 (en réalité le premier écrit) occupe une envergure prépondérante dans le schéma de l’œuvre. Y défilent des allusions au poème symphonique Le Rêve de Dante (1911) de Piotr Rytel, au motif B-A-C-H (on célébrait en 1935 le 250e anniversaire de la naissance du Cantor de Leipzig), et des ingrédients de Nowowiejski lui-même, empruntés à des pièces de concours. Le cœur du triptyque puise au fonds grégorien (Gloria de la Missa de Angelis) : un havre de tendre ferveur qui débouche sur une Toccata tour-à-tour édifiante et rayonnante.
Sur le superbe Ladegast/Sauer de la cathédrale luthérienne de Tallinn (la plus vieille église de la capitale estonienne), rénové en 1996, Ireneusz Wyrwa adopte un convaincant équilibre entre clarté et suggestivité, entre densité polyphonique et transparence. Idéal dans ce crépuscule romantique du premier XXe siècle (voir le récital de Martin Rost chez MDG, 2006), l’instrument et son interprète exposent un incitatif échantillon du corpus organistique de Nowowiejski. Aujourd’hui encore, il peine à s’émanciper de ses frontières. On conseillera d’autant volontiers ce portrait d’une heure cinq qui ne saurait mieux inviter à la découverte de cet univers aussi profond qu’éloquent.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 10
Ireneusz Wyrwa