Jean-Nicolas Diatkine, Liszt transcripteur 

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Le pianiste Jean-Nicolas Diatkine fait paraître chez Solo Musica un album consacré à des transcriptions par Franz Liszt d'œuvres de Schubert et de Wagner avec, en transition entre des deux univers, la Ballade n°2 de Liszt. Crescendo Magazine s’entretient avec le musicien, qui va donner le programme de cet album en concert à la salle Gaveau.  

Votre nouvel album propose des transcriptions par Liszt d'œuvres de Schubert et de Wagner ? Qu’est-ce qui vous a poussé vers ce choix ?

Le temps, un esprit de défi et … les œuvres elles-mêmes. Je m’explique : après une période où j’ accompagnais régulièrement de grands chanteurs, et plus précisément dans le répertoire du lied allemand, la vie m’a emmené vers d’autres horizons où je me suis plus concentré sur mon travail de soliste, avec Schubert, Brahms et Beethoven que j’ai enregistrés ces dernières années. 

En récital, j’ai joué des œuvres qui allaient de Soler, Haendel, à Chostakovitch en passant par Ravel et son Gaspard de la Nuit, sans bien sûr oublier les romantiques.

Mais indéniablement, l’atmosphère poétique des lieder de Schubert me manquait. Il faut dire que j’ai eu la chance d’y accompagner Zeger Vandersteene dont c’est le répertoire de prédilection, et qui y exprimait toute son extraordinaire musicalité. Nous avions commencé par Le Voyage d’Hiver qu’il avait interprété des centaines de fois, puis La Belle Meunière et enfin le Chant du Cygne, sans parler des autres lieder tout aussi connus. Ces expériences merveilleuses m’ont profondément marqué. Le temps m’ a semblé venu d’essayer de restituer cet univers émotionnel dans lequel j’ai baigné à cette époque. 

Parallèlement, le recueil de ces lieder transcrits par Liszt revenait souvent sur mon pupitre, mais je rejetais l’idée de les jouer, pour ne pas dénaturer le souvenir que j’en avais. En effet, je ressentais à quel point Liszt se sert parfois de Schubert pour mettre en valeur sa propre virtuosité, comme dans sa transcriptions de La Truite, par exemple. Alors le défi que je me suis lancé a été de ne pas céder à cette tentation et même de faire l’inverse : rester entièrement au service de Schubert. J’ai découvert alors un nouvel univers sonore au piano, et comment Liszt se sert du clavier pour retrouver le chant et ses nuances impalpables (c’est le cas de le dire !). 

Le nombre de transcriptions de Liszt est impressionnant ! Le choix a-t-il été difficile ?

Oui, car en rejeter certaines dont  j’adore l’original, comme Das Sterbenglöcklein, était un crève-cœur. La virtuosité y est si présente qu’il m’a semblé que Schubert avec sa simplicité désarmante ne s’y retrouve pas. 

Les œuvres proposées sont tirées de lieder ou d’opéras. Comment Liszt intègre-t-il la problématique vocale au piano ?

Dans les lieder de Schubert, on constate que la puissance et l’expressivité du chanteur ne peut jamais être totalement remplacée par la ligne mélodique du piano, puisque la durée du son est limitée et que le crescendo sur une note tenue lui est par essence impossible. Liszt a compensé ce problème en dilatant parfois d’une façon spectaculaire l’accompagnement. C’est le cas dans l’Ave Maria par exemple. Schubert y accompagne la voix par des arabesques en double notes, mais Liszt va parfois jusqu’à six, qui doivent être jouées pianissimo ! Au contraire chez Wagner, où l’accompagnement symphonique a en réalité une place centrale, la transcription de Liszt trouve assez naturellement son équilibre. Il choisit même parfois d’ignorer la voix comme dans certains passages du “Rêve D’Elsa” extrait de  Lohengrin, où il n’a transcrit que l’orchestre.

Nous sommes à une époque qui valorise l’Urtext et la transcription reste marquée dans un temps où, à défaut d’autres vecteurs de communication, elle permettait aux partitions de se diffuser. En quoi les transcriptions peuvent nous toucher ?

C’est exactement la question que je me suis posée avant de me lancer sur ce chemin. La réponse est venue de l’extraordinaire inventivité de Liszt. J’ai découvert que ces transcriptions, loin d’être seulement des réductions à usage privé, sont des créations à part entière. Au-delà de l’exigence digitale impressionnante qui n’est ici qu’une étape, l’exploitation sonore que Liszt fait du clavier est simplement prodigieuse et sans précédent. Dans le répertoire du piano, leur originalité leur donne une place à part. 

La Ballade n°2 de Liszt marque la transition entre les œuvres schubertiennes et les wagnériennes. Pourquoi spécifiquement cette partition pour marquer ce passage entre les deux univers ?

Schubert a profondément marqué la culture musicale et y a laissé un marque indélébile, dont on retrouve des traces chez des compositeurs plus tardifs, comme Mahler, sans pour autant qu’il s’agisse de véritables citations. Dans le “Rêve d’Elsa” par exemple, il m’ a semblé retrouver certains passages du Voyage d’Hiver (Auf dem Flusse). Mais le plus évident, et Wagner l’a reconnu en privé, est l’influence de Liszt sur celui-ci et particulièrement de cette ballade qui a aussi son propre programme. D’après Claudio Arrau, élève d’un élève de Liszt, elle aurait été inspirée par le mythe grec de Héro et Léandre, retranscrit par Schiller dans son poème éponyme. La parenté entre le thème de Héros dans la ballade et celui d’Isolde dans la Mort d’Amour d’Isolde, est très frappante. L’introduction de la deuxième ballade fait également penser à l’ouverture du Vaisseau Fantôme, et son deuxième thème à celui de l’oiseau dans Siegfried… Ces correspondances ont beaucoup influencé mon interprétation. Il m’a semblé logique que dans ce programme, la place de Liszt compositeur devait faire pendant à celle du transcripteur, c'est-à-dire se tenir au milieu.

Vous avez enregistré cet album un piano Schiedmayer de 1916. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cet instrument ? Quelles sont ses spécificités ?

Dans ses transcriptions, Liszt demande souvent à l’interprète de tenir la pédale sur des durées où les harmonies de l’accompagnement changent. Pourquoi le fait-il ? C’est justement pour permettre au chant de gagner une amplitude supplémentaire. Le problème qui en résulte sur un piano moderne est le risque d’un mélange, pire, d’une confusion entre les différentes voix de l’accompagnement. En public, avec la résonance naturelle de la salle, le problème se pose moins. Tandis qu’avec des micros posés à moins de deux mètres, la saturation se produit très facilement.  

Cette question était déterminante pour bien choisir le piano en vue de l’enregistrement. Je me suis confié à Laurent Bessières, accordeur référant à la Philharmonie de Paris. Il m’ a alors proposé d’essayer ce Schiedmayer qu’il a lui-même restauré. J’y ai trouvé à ma grande surprise une grande clarté entre les voix, même dans les tenues de pédale les plus problématiques, particulièrement dans Ständchen de Schubert et dans la “Marche Solennelle” vers le Saint-Graal, extrait de Parsifal de Wagner. De plus, sa longueur de son est exceptionnelle, et ses couleurs possèdent un caractère un peu sépia. Il couvre aussi tous les timbres de l’orchestre, des violons aux cuivres. J’ai eu l’impression de retrouver Liszt en « version originale », même si c’est un peu surprenant à la première écoute, car nos oreilles n’y sont plus habituées ! L’essai m’a convaincu. Finalement, au cours de l’enregistrement, ce piano m’a emmené encore plus loin que je ne l’avais imaginé.

Jean-Nicolas Diatkine sera en concert à la Salle gaveau le 2 juin à 20h30 

A écouter : 

Franz Liszt, Schubert and Wagner transcriptions ; Ballade n°2. Jean-Nicolas Diatkine, piano. 1 CD Solo Music 

 

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