Le compositeur Jacques Lenot et ses "propos recueillis"

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Le compositeur Jacques Lenot fait paraître un album centré sur ses Propos recueillis interprétés par l'ensemble belge Sturm und Klang sous la direction de Thomas Van Haeperen. Cette parution est une belle opportunité pour échanger avec l'un des compositeurs les plus attachants de la scène française.

L’enregistrement de vos Propos recueillis vient de sortir. Quelle place occupe cette partition dans vos compositions ?

Si l’on parle de « périodes » en peinture, on peut aussi le faire en musique, quand il s’agit d’un compositeur tel que moi, qui écris depuis l’âge de huit ans et en ai bientôt soixante-dix-sept. Les Propos recueillis occupent une place à part : celle de l’échappée après une longue opération chirurgicale… en 2011.

La présentation de l’album nous énonce « ce cycle de douze pièces pour un ensemble instrumental de douze musiciens est la transcription et l’orchestration d’une série de pièces pour voix et piano, piano seul puis violon et piano composées entre juin 2007 et septembre 2012.”. Qu’est-ce qui vous a poussé à augmenter l’effectif instrumental ?

J’ai eu l’opportunité de travailler en 2010 avec l’ensemble Multilatérale, incroyable ensemble de 26 musiciens, pour un disque enregistré à cette période. Suite à des problèmes de santé qui m’ont éloigné de l’écriture en 2011, je me suis ensuite remis à la composition en retravaillant des œuvres préexistantes, en l’occurrence les Propos recueillis pour 12 musiciens que j’ai ensuite eu envie de confier à l’ensemble Sturm & Klang dont j’avais la connaissance par un ami corniste.  J’avais alors repéré ce qui pourrait être une formation idéale : 4 bois, 3 cuivres et 5 cordes. C’est aussi un rappel de mes premières œuvres : je n’osais pas alors affronter les grands effectifs. L’idée d’un grand orchestre en réduction s’est vite imposée.

Est-ce qu’il y a une difficulté technique à passer de la voix à l’ensemble instrumental ?  

La voix d’alto des lieder m’a imposé le choix de la flûte alto, du hautbois d’amour, du cor de basset, du cor en fa. La ligne mélodique du chant se fait chant instrumental -je n’ai pas oublié le « sprechgesang » cher à Schoenberg. Il m’a fallu penser intérieurement les paroles et traiter la prosodie instrumentale quasi « parlando ». La ligne vocale se fond dans le tissu instrumental de manière presque plus naturelle qu’avec un « accompagnement » de piano seul. La difficulté a été plus précisément de garder l’idée d’un chant accompagné et de ne pas perdre le sens du discours, devenu secret.

Les six premiers propos sont issus des six Else Lasker-Schüler Lieder pour mezzo et piano. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette poétesse ?

Un ami m’a offert le recueil « Mon piano bleu », qui venait d’être traduit en français par Jean-Yves Masson, en 1995, aux éditions Fourbis. Ma pratique de la langue allemande étant limitée, je me suis fait aider pour la prosodie, en vue d’écrire un cycle de lieder pour voix d’alto. Je n’y suis pas arrivé (c’était une envie ancienne) et j'ai repoussé le projet. Je connaissais cette poétesse par les amis écrivains qu’elle a eus à Berlin avant de partir en Palestine mais n’avais encore rien lu. J’ai choisi ceux où elle parle de l’exil, de la solitude, de la nostalgie et de la détresse et qu’elle transforme, par la magie des mots, en allégories et visions fascinantes.

Comment s’est formalisée la collaboration et l’enregistrement avec l’ensemble Belge Ensemble Sturm und Klang et son chef Thomas Van Haeperen ?

J’ai rencontré il y a quelques années un musicien hongrois vivant à Lille qui a programmé un ensemble de mes pièces instrumentales et m’a invité à venir en parler publiquement. Il m’a fait ensuite connaître le Quatuor Tana avec qui j’ai pu enregistrer la presque totalité de mes quatuors à cordes, puis Thomas van Haeperen à qui j’ai tout de suite proposé une collaboration. Son ensemble a créé mes  Delectatio morosa, alors que l’ensemble parisien Multilatérale jouait les trois derniers Propos recueillis. C’est après ce concert en octobre 2012 que j’ai eu envie d’enregistrer l’intégrale et de la proposer à Sturm und Klang. L’organisation a pris un certain temps mais le pari a été tenu. C’est la pandémie qui a retardé la sortie du CD…

Quels sont vos prochains projets ?

Nous créons lors d’un concert privé à Aix en Provence le 25 juin Ainsi le poète  pour clarinette, alto, violoncelle et piano avec mes amis Eric Charray, Marie Anne Hovasse, François Baduel et Jacques Raynaut.

Le Festival Messiaen – La Meije programme mon sixième Livre des Elégies « Des anges et des dieux » pour violoncelle et orchestre, avec Marie Viard, l’Orchestre National de Cannes sous la direction de Tito Ceccherini, le 30 juillet dans la Collégiale de Briançon. Le Festival Toulouse Les Orgues m’invite le 8 octobre à installer dans l’église Saint-Pierre des Chartreux mon  Annonciation  (Quatorze tableaux pour orgue et électronique en temps réel d’après l’Annonciation italienne de Daniel Arasse), avec Jean-Christophe Revel et Etienne Démoulin (technique IRCAM).  L’Abbaye de Royaumont fait entendre mon Troisième Livre d’orgue le 4 décembre, par Jean-Christophe Revel, qui l’a enregistré pendant le confinement en février 2021. Ce même confinement a retardé la création de  Weltinnenraum  d’après Rainer Maria Rilke et Philippe Jaccottet, que m’a commandé le Lemanic Modern Ensemble, prévue en 2023 à Genève.

Le site de Jacques Lenot : http://jacqueslenot.net

  • A écouter :

Jacques Lenot, Propos recueillis.  Ensemble Sturm und Klang, direction Thomas Van Haeperen. Enregistrement effectué à l'espace Senghor de Bruxelles du 21 au 24 février 2017. 1 album L'oiseau prophète

 

Crédits photographiques : Florian Chavanon

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

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