Ludovic Morlot, entre Seattle et la Chine 

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Le chef d’orchestre Ludovic Morlot est actuellement en Chine où il prépare une tournée avec l’Orchestre National des Jeunes de Chine (NYO China) pour un parcours entre Asie et Europe qui les conduira, entre autres, au Konzerthaus de Berlin. En juin dernier, le chef a terminé son mandat de Directeur musical auprès du Seattle Symphony Orchestra.  Ludovic Morlot répond aux questions de Crescendo-Magazine.  

Vous allez diriger une tournée en Europe de l’Orchestre National de Jeunes de Chine. Vous étiez déjà au pupitre de leur première tournée internationale, en 2017, aux USA. Comment avez-vous été embarqué dans cette aventure ? 

J’ai toujours été passionné par le travail auprès de jeunes musiciens et j’imagine que c’est grâce à cette réputation que NYO China m’a contacté pour mener ce projet pour sa session inaugurale en 2017. Après le succès de ces concerts il y a 2 ans, je me vois flatté de diriger cette nouvelle tournée de concerts aujourd’hui. Une tournée qui commence à Shanghai et se poursuit en Allemagne, en Angleterre puis en Italie.

Lors de cette tournée, vous allez faire étape à Berlin pour un concert au prestigieux Konzerthaus. Est-ce que cela a un sens particulier dans la jeune histoire de cet orchestre ? 

Le concert à Berlin est une opportunité formidable pour ces jeunes musiciens qui, pour la plupart, ne sont jamais allés en Europe. Pouvoir présenter ce programme dans un environnement aussi prestigieux aura sans aucun doute une influence capitale dans la croissance de ces jeunes artistes et donnera à l’orchestre un bagage important pour continuer à former aux métiers d’orchestre la jeune génération de musiciens issus des conservatoires de Chine.

L’Orchestre National des Jeunes de Chine est naturellement composé de jeunes musiciens chinois issus de conservatoires nationaux et internationaux. Que pouvez-vous nous dire sur le niveau actuel des jeunes instrumentistes chinois ?  

La formation instrumentale en Chine est évidemment axée sur le répertoire soliste et n’encourage pas beaucoup la musique d’ensemble (autant l’orchestre que la musique de chambre). Le challenge est donc de réconcilier un niveau technique assez élevé avec une discipline d’ensemble et une écoute d’autrui qui restent à développer, sans oublier l’apprentissage de techniques de jeu propres à l’orchestre qui sont encore étrangères à nombre d’entre eux, notamment le travail sur la production du son et la variété de nuances.

Monter un programme avec un orchestre de jeunes oriente souvent vers des oeuvres spectaculaires. Comment avez choisi celles de cette série de concerts ?

Comme en 2017, nous avons tenté de mêler des oeuvres incontournables du répertoire tout en présentant nos musiciens avec une oeuvre d’un compositeur chinois qui a un lien particulier avec notre projet. Il y a 2 ans, nous présentions une oeuvre de Zhou Long (The Rhyme of Taigu) et cette année, nous ouvrons notre concert avec deux mouvements extraits d’une suite de Ye Xiaogang (Tianjin suite). 

Garrick Ohlsson sera notre soliste dans le Concerto n°5 “Empereur” de Beethoven suivi de la Symphonie n°5 de Chostakovich en seconde partie du concert. 

Après huit années, vous quittez la direction musicale de l’Orchestre Symphonique de Seattle. Vous avez complètement redynamisé cette phalange, lui donnant une grande visibilité internationale. Quel regard portez-vous sur ce beau mandat ? 

Je quitte ce poste avec de merveilleux souvenirs musicaux et une grande fierté du travail que nous avons accompli au cours de ces huit années. De nombreux concerts formidables évidemment, une richesse de répertoire qui a captivé la curiosité et l’enthousiasme d’un public grandissant, de nombreuses commissions et créations, une activité discographique qui a apporté à l’orchestre de nombreuses distinctions (5 Grammy Awards et le Gramophone Orchestra of the Year 2018), et tant d’autres réalisations…

 Au pupitre de l‘Orchestre Symphonique de Seattle, vous avez publié de nombreux enregistrements, principalement tournés vers la musique française et les classiques de la modernité. Comment avez-vous construit ce travail éditorial  ? 

Oui, nous avons publié près de 20 enregistrements sous le label-maison : Seattle Symphony Media ! Il était important pour moi d’enregistrer des oeuvres qui puissent articuler l’identité particulière de cet orchestre. Une identité versatile et axée principalement autour des compositeurs américains et français pendant mes années comme directeur musical. Ives, Varèse, Dutilleux.. mais aussi des projets plus spécifiques encore comme John Luther Adams (Cantaloupe Records), George Perle (Bridge Records) ou Aaron Jay Kernis (Onyx).

Vous avez programmé beaucoup de musique contemporaine. Qu’est ce qui vous attire chez les compositeurs de notre temps ? 

Les mêmes caractéristiques que chez les compositeurs de toute autre époque. Une voix originale et unique et une technique d’écriture impeccable. Le challenge d’identifier des compositions nouvelles, de les créer ou recréer puis de les promouvoir à travers le monde, me fascine.

Un disque consacré à des pièces de Marc-André Dalbavie sort cet été. Pour vous, comment le compositeur s’intègre-t-il dans l’héritage de la musique française et celle du XXIe siècle ?

La musique de Marc-André embrasse toutes les caractéristiques qui font de lui un compositeur extraordinaire. Ce disque nous montre un Dalbavie héritier des grandes traditions de la musique symphonique française, de Messiaen à Dutilleux, tout en capturant une esthétique qui lui est très personnelle et immédiatement identifiable.

Sur ce disque, il y a 3 concertos, chacun interprété par des solistes américains. Comment les avez-vous convaincu de participer à cette aventure ? 

Par mon enthousiasme envers ce répertoire qui était une découverte pour eux. Je leur suis reconnaissant pour leur confiance et leur travail qui a produit, je pense, un résultat magnifique. Jay Campbell avait collaboré avec le Seattle Symphony il y a quelques années déjà en enregistrant le Concerto pour violoncelle de George Perle. Et de pouvoir mettre en avant le talent extraordinaire de Mary Lynch et Demarre McGill (tous deux solistes avec l’orchestre -hautbois et flûte) a rendu le projet encore plus attrayant.

Cette année 2019, nous fêtons Berlioz. Pour les chefs d’orchestre, et surtout les chefs français, Berlioz occupe une place à part. Qu’en-est-il pour vous ? Qu’est ce qui fait la particularité de Berlioz ? 

Berlioz, pour moi, est peut-être le Beethoven français ! Tant d’innovations et de force dans son écriture font de lui, au même titre que Rameau plus tôt, un pilier de l’histoire de la musique. J’ai toujours eu une affection toute particulière pour sa musique mais aussi pour son personnage. Ses oeuvres sont dans le répertoire que je revisite à chaque opportunité qui m’est offerte.

Le site de Ludovic Morlot : http://ludovicmorlot.com/

À écouter : 

Marc-André Dalbavie : La Source d’un Regard, Concerto pour hautbois,  Concerto pour flûte, Concerto pour violoncelle. Mary Lynch, hautbois ; Demarre McGill, flûte; Jay Campbell, violoncelle. Seattle Symphony Orchestra, Ludovic Morlot. Seattle Symphony Media SSM1022

 

Crédits photographiques : Lisa Marie Mazzucco

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

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