Jean Rondeau, explorateur musical
En quelques années, Jean Rondeau s’est imposé comme l’un des clavecinistes majeurs de sa génération. Que ce soit en solo ou avec ses amis, ce jeune musicien fait toujours l’évènement. Mais Jean Rondeau a plus d’une corde à son arc, il aime pratiquer le piano jazz et compose des musiques de film. Alors que paraît son album intitulé Barricades, où il nous emmène sur les traces des trésors du baroque français avec son complice Thomas Dunford et l’ensemble Jupiter, il répond aux questions de Crescendo Magazine.
Votre nouvel album se nomme Barricades. Pourquoi ce titre ?
Il provient évidemment du titre de la pièce de F. Couperin Les Baricades Mistérieuses. C’est un titre qui déjà, en lui-même, laisse beaucoup de place à l’imagination poétique. Le sens n’en est pas totalement défini, il reste léger, comme en suspens. Et il en est un peu de même pour nos « Barricades ». Elles se dressent contre la négativité, l’intolérance pour nous peut-être, et d’aucun y trouverait son compte poétique.
Cet album propose des œuvres de plusieurs compositeurs qui se sont illustrés à l’époque des rois Louis XIV et Louis XV. Comment les avez-vous sélectionnés ? Quel est leur point commun ?
A l’exception de la dernière pièce de l’album qui est un duo extrait d’un opéra de Rameau, tel un clin d’œil de fin, toutes les pièces du disque nous viennent des compositeurs de la Cour de Versailles. Grâce à l’amour et au talent de Louis XIV pour la danse, et donc ce besoin de musique, celle-ci s’est trouvée très présente à la Cour et mise en avant par de nombreux compositeurs. Ces derniers étaient aussi des interprètes et donc des musiciens complets qui se trouvaient dans une dynamique très prolifique, musicalement parlant. Il y avait une recherche et une production très importantes, et le tout dans un style très précis, très défini et assez unique. Ce langage de la musique française à Versailles touche à un goût très sensible, très délicat, à une extrême finesse et un raffinement dans lesquels il est parfois difficile de s’immiscer. Fort heureusement, nous avons toute cette musique et l’amour que Thomas et moi portons à ce langage musical nous a permis de nous y engager pleinement d’en faire notre patrimoine culturel. Ainsi, nous avons décidé d’utiliser des pièces qui, à la base, furent écrites soit pour le luth seul soit pour le clavecin seul, et de réaliser un accompagnement improvisé (la basse-continue) afin de dialoguer autour de ces œuvres que nous chérissons.
Vous aimez sortir des sentiers battus et mettre en avant des compositeurs oubliés. Comment recherchez-vous des partitions ? Vous passez du temps en bibliothèque ?
Thomas et moi, nous faisons d’abord un choix de cœur, de musique et de passion, avant un choix de raison. C’est à dire que cette sélection peut concerner une œuvre elle-même mais aussi une forme musicale qui a ses nécessités, ses besoins, un programme musical ou autre. Mais nos choix sont avant tout musicaux. Et nous ne souhaitons pas, surtout pour un enregistrement, jouer de la musique à contre-cœur. Nous avons envie de nous sentir proche de l’œuvre jouée, en accord avec la partition. Pour cela, nous avons la chance d’avoir accès à des bibliothèques qui recèlent de musiques parfois méconnues, de petites perles oubliées de ce répertoire et parfois, nous aimons faire revivre ces partitions qui ont été déjà plusieurs fois patinées.
Pour la pochette de votre nouvel album vous posez dans un champ et non dans un château ou un décor qui évoque cette période. Un choix volontaire ? Est-ce que ce serait une incarnation d’une forme de “slow culture” ?
Il est certain que la pochette dégage une image qui semble être plus proche des interprètes que des compositeurs. Parfois, l’illustration d’un album est le fruit d’un grand hasard. On essaie là aussi de diriger ce choix vers quelque chose qui serait en accord avec ce qu’on est ou ce qu’on fait. Faire écho de cette période musicale en mettant en parallèle une peinture qui résonnerait avec l’œuvre musicale, pourquoi pas ! Mais poser dans un château ou un décor qui évoquerait cette période, ça serait un choix qui ne me conviendrait pas, que je trouverais trop décalé !
Vous êtes également compositeur. Est-ce que la pratique de la musique baroque vous influence ?
L’écriture musicale de chaque époque, de chaque style est une source immense. Chaque période apporte des points de vue nouveaux, des angles uniques sur un texte musical. Ce n’est d’ailleurs pas une histoire linéaire, en deux dimensions, il y a des rebonds, des allers-retours, mais toujours dans un rapport très étroit avec la danse ou le chant, qui sont un peu la fondation de ces structures artistiques. Dès lors, je peux vous répondre affirmativement : la musique baroque aussi est une influence puissante.
Est-ce que le répertoire contemporain pour clavecin vous intéresse ? Souhaitez-vous l’enrichir et le développer ?
Pour tout vous dire, je ne connais pas très bien le répertoire pour clavecin du XXIe siècle. En revanche, le répertoire du XXe siècle me passionne beaucoup ! Même si le clavecin n’était pas au centre de l’attention de tous les compositeurs, il y a des choses qui se sont faites et que j’aime beaucoup travailler, jouer. Le clavecin au XXe siècle a eu la chance d’avoir des interprètes, comme Wanda Landowska, qui ont remis l’instrument au goût du jour et qui ont attisé des curiosités, comme celle de Poulenc ou d’autres. Mais je pense que le clavecin aujourd’hui a encore beaucoup à dire et qu’il faut continuer à travailler la compréhension de l’instrument et de son expression pour pouvoir composer pour cet instrument.
Vous êtes aussi pianiste de jazz. Comment cette pratique nourrit-elle vos interprétations au clavecin ?
J’ai un peu étudié le jazz, sans trop savoir ce que c’est exactement. Le jazz me semble davantage être un mouvement qu’une école, ou même qu’un style. Donc je ne suis pas certain qu’on fasse du jazz, mais peut-être participe-t-on (ou pas !) un moment à ce mouvement. J’utilise principalement le piano pour la création et la composition. Il me sert à explorer, expérimenter plus qu’autre chose.
Comment voyez-vous l’avenir de la musique classique ?
C’est une vaste et imposante question ! Tout d’abord, pourquoi faut-il garder cet adjectif de « classique ». Il n’a déjà pas beaucoup de sens. On pourrait par la même occasion cesser de qualifier de « baroque » la musique des XVIIe et XVIIIe siècles et de mettre 200 ans d’histoire musicale sous une même étiquette absurde. Elle pourrait peut-être s’appeler : musique traditionnelle européenne ? Je pense que la musique a parfois besoin d’écoles et mouvements et il faut trouver un juste équilibre entre les dénominations. Mais, dans la globalité, je vois plutôt un avenir très positif. D’ailleurs, je pense que le mouvement dit de « musique ancienne » a repensé l’interprétation, mais aussi le rapport aux textes musicaux, aux instruments, aux contextes historiques. Tout cela a fait beaucoup de bien, à mon avis, à l’interprétation des musiques européennes traditionnelles du passé. J’ai hâte d’avancer vers ce futur !
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
- A écouter :
"Barricades". Œuvres de François Couperin (1668-1733), Robert de Visée (c.1655-1732), Michel Lambert (c.1610-1696), Marin Marais (1656-1728), Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Jean-Henry d’Anglebert (1629-1691), Antoine Forqueray (1672-1745), Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Thomas Dunford, archiluth ; Jean Rondeau, clavecin ; Lea Desandre, mezzo-soprano ; Marc Mauillon, baryton ; Myriam Rignol, viole de gambe. 1 CD Erato.
Le site de Jean Rondeau : www.jean-rondeau.com
Crédits photographiques : Parlophone Records Ltd