Jeudi : soirée plus que contrastée avec deux candidats que tout semble séparer.

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Ouvrant cette quatrième soirée de la finale du Concours, Larry Weng (28 ans, Chine-Etats-Unis) aborde l’imposé de Claude Ledoux dans un style qu’on qualifiera de costaud et à poigne. Larry_Weng30073Son toucher volontiers percussif (première cadence) tire l’oeuvre vers le Bartok moderniste, mais dans la grande cadence, il réussit à instiller une belle atmosphère, bartokienne elle aussi, de « musique nocturne ». Malheureusement, Weng ne semble pas très en phase avec la fine poésie de l’oeuvre, et sa sonorité, trop souvent métallique et peu soignée, ne fait rien pour instaurer le climat onirique et subtil qu’elle réclame.
Le Deuxième Concerto de Brahms, oeuvre qui réclame autant de virtuosité que de profonde poésie, permet au pianiste de faire directement entendre une sonorité puissante mais laide. Trop souvent, on en est réduit à se demander si les moyens réels de l’artiste n’auraient pas pu être utilisés à meilleur escient. Certes, il fait preuve par moments de musicalité en se fondant très bien dans l’orchestre quand c’est à lui d’accompagner, mais l’impression générale est de se trouver face à un athlète du piano, un leveur de fonte efficace mais peu raffiné. Cette impression se confirme dans le deuxième mouvement qui commence cependant bien, mais il est frustrant de constater qu’il suffit que l’interprétation s’améliore un moment pour que Weng retombe immédiatement dans ses travers, à commencer par une sonorité qui se dégrade dès qu’il dépasse le mezzo forte. Dans l’Andante, Weng fait montre de sérieux mais guère de tendresse et la profondeur et la douleur de l’oeuvre lui semblent totalement étrangères. L’Allegretto grazioso final commence bien, mais tout ce qui est forte fatigue dans une interprétation terre-à-terre et qui n’a vraiment rien de gracieux. Grosse déception (et prestation très moyenne de l’orchestre).

Lukas_Vondracek30074Bientôt trentenaire et déjà bien parti dans la carrière, le pianiste tchèque Lukas Vondracek offre une prestation d’un tout autre calibre. Dès le début de A Butterfly's Dream de Ledoux, son approche est pleine de vie et bondissante. Il tire nettement le premier passage solo de l’oeuvre vers Debussy, alors que -comme chez Weng, mais avec davantage de raffinement- la grande cadence offre un bel exemple de « musique nocturne » bartokienne. Tout au long de l’oeuvre, Vondracek captive et fait preuve de véritables qualités de conteur.
C’est sans peur qu’il aborde le Troisième Concerto de Rachmaninov. Penché sur le piano, la tête dans les épaules, ce géant débonnaire fait preuve dès le début d’une virtuosité aisée et sans contrainte. Est-ce l’avantage de l’expérience plus grande, mais il joue comme au concert, sans volonté délibérée d’éblouir mais en se faisant plaisir (et à nous aussi), offrant un jeu toujours clair qui se joue des terribles difficultés de la partition, sauf peut-être dans la colossale cadence du premier mouvement, enlevée avec panache mais où la sonorité jusqu’ici magnifique se dégrade par moments dans les graves. Dès le retour de l’orchestre, Vondracek se livre à un véritable travail d’orfèvre en accompagnant les soli des vents. Le mouvement lent le voit faire preuve de sensibilité et de dignité, évitant tout recours au sentimentalisme ou à la larmoyance. Même dans les passages en accords les plus exigeants, le son n’est jamais pâteux, mais toujours d’une belle clarté et magnifiquement égal. Dans le Final, Vondracek impressionne par sa légèreté et son sens de la mesure: rien n’est jamais exagéré et il se refuse heureusement à toute recherche de l’effet.
Cette brillante prestation, accompagnée par un ONB et une Marin Alsop fortement impliqués, est accueillie par une standing ovation vociférante. Quel que soit son classement, voici un artiste qu’on réentendra avec plaisir.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Bozar, le 26 mai 2016

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