John Eliot Gardiner, une intégrale anniversaire

John Eliot Gardiner, The Complete Recording on Erato. English Baroque Soloists ; Monteverdi Choir & Monteverdi Orchestra ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon ; Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo ; The Chamber Orchestra of Europe ; Equale Brass Ensemble. 1976-1995. Livret en français, anglais et allemand. 64 CD Warner 5054197205514.
Alors qu’il célèbre ses 80 ans le 20 avril prochain, John Eliot Gardiner se voit honoré par une belle boîte qui regroupe ses enregistrements pour le label Erato soit une période qui couvre près de 20 ans : de 1976 à 1995. L’idée est formidable et elle nous propose un beau regard rétrospectif sur la carrière d’un chef capté ici lors de ses années fondatrices qui marquèrent la discographie et le répertoire et qui restent des modèles d’inspiration et d’ouverture d’esprit musical.
Le répertoire est le premier élément qui nous frappe à la lecture des œuvres proposées dans ce coffret. Que ce soit vers le baroque ou vers le répertoire du XIXe siècle, on ne peut rester qu’admiratif de la richesse de ce panorama. On retient les exhumations et les raretés lyriques du baroque : Rameau (La Danse, Les Boréades), Leclair (Scylla et Glaucus), Gluck (Les Pèlerins de la Mecque) ou du répertoire français : Chabrier (L’Etoile), Messager (Fortunio), Offenbach (Les Brigands) ou du symphonique avec les rares Scènes pour orchestre de Massenet ou l’Arlésienne de Bizet dans son instrumentation originale. Tous ses enregistrements restent des références inégalées par la justesse du style et la qualité des distributions. Même si parfois l’une ou l’autre voix peut être critiquée, la cohésion de l’ensemble et l’esprit collectif transcendent les limites.
Un autre aspect de cette somme est dans une qualité qui reste superlative malgré l’épreuve du temps parfois fatale à tant de premières relectures du mouvement historiquement informé du tournant des années 1970/1980. Même les fondatrices Music for the funeral of Queen Mary, enregistrées à Londres en 1976, ont encore une portée discographique majeure par le soin rigoureux apporté au texte musical. Si la discographie de nombreuses œuvres s’est considérablement enrichie, comme pour Semele ou Rinaldo de Haendel, Gardiner et ses musiciens séduisent par la vivacité du ton, le sens dramatique et la flexibilité qui les fait passer avec une aisance des oeuvres purement instrumentales, aux oratorios ou aux partitions opératiques. Pour certaines gravures, comme King Arthur de Purcell, il n’y a toujours pas mieux tant Gardiner parvient à préserver le sens théâtral avec une gouaille des faubourgs londoniens qui sied tellement bien à cette comédie musicale avant l’heure. On ne peut que thésauriser toutes les gravures de Purcell et de Haendel réunies dans ce coffret même si on avoue écouter avec ferveur The Indian Queen de Purcell ou L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel.
Autre passion du chef : la musique française largement représentée lors de son mandat à la tête du tout nouvel Orchestre de l’Opéra de Lyon dont il fut le premier directeur musical et dont il avait choisi tous les musiciens. Outre le travail sur le répertoire déjà mentionné, notons la qualité du travail sur le texte musical. Ainsi l’album de mélodies de Berlioz dont les célèbres Nuits d’été chantées ici par les différents types de voix : mezzo-soprano, ténor, contralto et baryton tel que voulu par Berlioz. Si on apprécie la diction parfaite des chanteurs, on est encore plus heureux avec l’accompagnement orchestral vivant et attentif. Ce bonheur se poursuit avec l’une des grandes versions de référence de l'Enfance du Christ de Berlioz portée par une distribution magistrale (Anne Sofie von Otter, Anthony Rolfe Johnson, Gilles Cachemaille, José van Dam et Jules Bastin). Dans la Symphonie en ut de Bizet, Gardiner cerne avec légèreté et humour le geste compositionnel du jeune artiste avec une évidence et une fluidité qui restent inégalées. Des explorations francophiles, il faut bien évidemment saluer avec déférence l’intégrale également inégalée des Boréades de Rameau, captée à Aix-en-Provence en 1982, l’aboutissement d’un travail de longue haleine sur cette oeuvre, et l’Iphigénie en Tauride de Gluck enregistrée à Lyon en 1987.
Du côté des raretés, on est heureux de retrouver un inattendu album de pièces russes pour violoncelle et orchestre de Tchaïkovski, Glazounov, Rimsky-Korsakov et Cui par Steven Isserlis et l’Orchestre de chambre d’Europe. Ce n’est certes pas le cœur de répertoire du chef, mais là encore, le soin apporté à l’accompagnement est exemplaire car toujours dynamique et jamais mécanique ou routinier. On prendra comme bonus bienvenu la BO du film England, my England de Tony Palmer sur la vie de Purcell.
De cette somme, seuls deux albums sont en retrait, les Symphonies n°8 et n°9 de Schubert captées à Lyon et un album Ravel / Duparc avec Barbara Hendricks enregistré à Monte-Carlo qui pêche par le style vocal de la chanteuse.
Dès lors, cette somme, très bien enregistrée par les micros de Erato, est un référence et une pierre angulaire du patrimoine discographie et interprétatif.
Note globale : 10