Joseph Haydn, père de la symphonie romantique

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Suite de notre dossier Haydn avec un article rédigé par Nicolas Derny, en 2009, sur le compositeur en père de la Symphonie.

Franz Joseph Haydn fait souvent office de figure paternelle. Connu sous le nom de "Papa Haydn", le romantisme le considèrera comme le "père de la Symphonie", ne tenant compte, à peu de choses près, que des célèbres Symphonies Parisiennes et surtout Londoniennes. S’il n’invente pas la Symphonie, aucun autre compositeur parmi ses contemporains, Mozart faisant -comme toujours- exception, ne peut rivaliser avec lui dans ce domaine. Retour sur le parcours du compositeur qui posa les bases du genre.

La musique symphonique tire ses origines des ouvertures françaises et italiennes du XVIIe siècle, pièces relativement brèves à la forme bi- ou tripartite se différentiant par l’ordre d’alternance des sections vives et des parties lentes (lent-vif (-lent facultatif) pour la France ; vif-lent-vif pour l’Italie). A l’époque, le terme de sinfonia renvoie simplement à une pièce pour plusieurs instruments. La première moitié du XVIIIe siècle voit le développement de la forme en Italie (Sammartini) et du côté de Mannheim (Stamitz), Ecole qui établira le canon "classique " du genre et contribuera, grâce à l’excellence de son orchestre, à faire croître la sophistication de l’écriture instrumentale. C’est sur ces fondements que s’édifiera le corpus de Haydn au cours des décennies suivantes.

Contrairement à l’idée reçue, Joseph Haydn n’a pas attendu d’entrer au service des Esterházy, en 1761, pour commencer à composer des Symphonies. Cependant, les premières tentatives, dès 1757, ne s’éloignent pas du modèle de l’ouverture d’opéra italien. L’orchestration, basée sur un groupe de cordes nettement dominé par les premiers violons augmentés de deux hautbois et deux cors, reste également très traditionnelle. On estime que seules 14 œuvres de ce type virent le jour. C’est en effet le nombre de Symphonies qui nous est parvenu, uniquement sous forme de copies car aucun autographe ne semble avoir subsisté. 

Ce n’est qu’une fois en poste à Esterháza que Haydn focalise son attention sur un genre qu'il s’apprête à révolutionner. Les 5 premières années (1761-1765) voient naître les premiers chefs-d’œuvre, dorénavant en 4 mouvements (vif-lent-menuet-vif), dont l’écriture instrumentale se fait foncièrement plus concertante que dans les pièces antérieures. Il faut, pour s’en convaincre, écouter le premier "coup de maître", le cycle Le Matin, Le Midi et Le Soir qui annonce dès 1761 l’esthétique à venir. La présence d’instruments solistes n’est pas sans rappeler le Concerto Grosso et la musique italienne du début du siècle. L’année que Haydn passa auprès du compositeur et professeur italien Nicola Popora (1754) semble avoir laissé des traces dans l’imaginaire musical du Maître de Chapelle des Estherázy… Peut-être s’agit-il pour Haydn de faire briller les musiciens d’un orchestre nouvellement engagé, tout comme lui. De la vingtaine de Symphonies que voit naître cette époque, on retiendra également Le Philosophe (n°22), seule composition du genre utilisant une mélodie de choral (dans l’adagio) ou encore les pièces qui se partagent le thème de la chasse (n°24, 31 et 32). 

Mais c’est à partir de 1766 que l’originalité de Haydn s’affirme pleinement. C’est l’époque où des œuvres importantes d’autres types voient le jour. Le genre symphonique en tire une transformation bénéfique et se voit attribuer des portées nouvelles. L’influence du mouvement Strurm und Drang se fait sentir, repoussant encore les limites des modèles du passé et laissant plus de place aux "élans du cœur". Le mouvement Sturm und Drang, d’origine littéraire, ne considère plus la musique comme un simple divertissement, mais comme un "mouvement de l’âme". Cette nouvelle conception se traduit chez Haydn par des rythmes plus sauvages et syncopés, des sauts d’intervalles et d’inattendues tensions harmoniques. Ce nouvel élan inspire également des Symphonies en mode mineur telles que La Funèbre (n°44, en mi mineur), Les Adieux (n°45, en fa # mineur) dont le célèbre dernier mouvement voit les musiciens quitter la scène les uns après les autres, ou La Passion (n°49, en fa mineur) dont rien ne prouve qu’elle ait été composée pour la Semaine Sainte. Ces années Sturm und Drang voient aussi naître les exceptionnelles Maria Theresa (n°48), à laquelle le XIXe siècle appliquera des parties de trompettes et de timbales très exagérées, ou encore Le Distrait (n°60), composée à partir d’une musique de scène pour une pièce de Regnard. Cette Symphonie est d’ailleurs une des rares dont le titre soit original.    

La "période" suivante, qui s’étale de 1773 à 1784, marque le retour à une certaine "objectivité" classique. La production symphonique décroît alors sensiblement. Non pas que le compositeur se désintéresse du genre, mais à cause de l’importance prise par l’opéra italien à la Cour Esterházy, obligeant son Maître de Chapelle à s’y consacrer davantage. Cela n’empêche pas de nouveaux chefs-d’œuvre de voir le jour, telles La Roxolane (n°63) ou L’Impériale (n°53), dont on ne s’explique pas le titre mais qui compte parmi les Symphonies les plus populaires et les mieux diffusée à travers l’Europe de l’époque. Et pour la première fois depuis plus de 20 ans, Haydn s’attèle à la composition de Symphonies non plus destinées à la Cour des Estherázy, mais aux concerts publics et aux éditeurs. Il s’agit des numéros 76-78 (1782) et 79-81. Une "diversion" permise par la renommée internationale grandissante du compositeur qui est édité et joué à Paris depuis le milieu des années 1760…

Les 6 Symphonies Parisiennes datent de 1784-1785 et sont composées en réponse à une commande du Comte d’Ogny, mécène du Concert de la Loge Olympique de Paris. Bien que Haydn n’ait jamais mis les pieds dans la capitale française, on trouve quand même dans ces pièces nombre d’hommages au style "local", notamment par l’usage de danses caractéristiques. L’orchestre de la Loge en question, plus fourni que celui dont le compositeur disposait à Estheráza, est composé de musiciens amateurs et professionnels, dont le jeune Cherubini, très marqué par ce "cycle". On trouve dans ce recueil les célèbres La Reine de France (parce qu’elle plaisait particulièrement à Marie-Antoinette, n°85), ou L’Ours (n°82), symphonie en ut majeur au ton martial dont le robuste finale peut suggérer… un ours en train de danser ! A Paris, Haydn enverra encore 5 Symphonies (n°88-92), dont la célèbre Oxford, nommée ainsi car le compositeur la dirigera lorsqu’il sera nommé Docteur par l’Université de la ville. 

Les Symphonies Londoniennes, datant de 1791-1795, sont les derniers chefs-d’œuvre que Haydn destine au genre et demeurent, jusqu’à aujourd’hui, les plus connues. Pour ne citer que leurs titres, notons La Surprise (n°94), Le Miracle (n°96), la Militaire (n°100), L’Horloge (n°101) ou Le Roulement de timbales (n°103). Avec les Parisiennes et les Londoniennes, l’orchestre s’élargit (1 flûte, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes et timbales), ainsi que la virtuosité exigée de chaque pupitre. Malgré quelques touches humoristiques, le ton se fait moins jovial et la forme plus libre. Haydn n’hésite pas à utiliser avec insistance des thèmes à caractère populaire et champêtre, tant et si bien qu’E.T.A Hoffmann décrit l’effet de ces Symphonies comme une "promenade à la campagne". 

Cependant, nul n’est prophète en son pays. Johann-Michael Haydn (1737-1806), le "petit" frère, est l’auteur de 43 Symphonies qui, soli instrumentaux mis à part, se démarquent de celles de Joseph en ce sens que nombreuses d’entre elles sont constituées de 3 mouvements. Et Johann-Michael de faire le chemin inverse de son frère en se dirigeant, en 1788-89, vers des formes à la concision étonnante.  Mais si "l’influence familiale" ne se fait qu’assez peu sentir, il faut souligner l’impact des Symphonies de Joseph sur les générations futures. C’est auprès de Haydn que Beethoven prit ses premières leçons dès son arrivée à Vienne en 1792. L’influence du compositeur des Esterházy sur le jeune Ludwig est au moins aussi considérable que celle de Mozart, bien que leurs relations ambiguës, teintées à la fois d’admiration et de rivalité, soient difficilement analysables. Gustav Mahler considérait la Première Symphonie de Beethoven comme du "Haydn au sommet de la perfection " et que ces deux compositeurs étaient à la base de l’introduction d’éléments populaires dans la symphonie, une des bases de sa propre esthétique. Mais la source d’influence la plus importante de Haydn sur le jeune Beethoven est certainement le goût du développement que partagent les formes sonates (entre autres) de ces deux génies. Il ne faut pas oublier non plus que Schubert le symphoniste mit bien du temps à se départir de l’influence conjuguée de Mozart et Haydn. 

Il aura fallu attendre le milieu du XXe siècle et l’avènement du microsillon pour que la véritable redécouverte des Symphonies de Haydn commence. Avant ça, la vision "romantique" dominait et seules quelques œuvres célèbres étaient jouées en plus des deux dernières douzaines Parisiennes et Londoniennes. Heureusement, notre époque dispose de plusieurs intégrales qui permettent de découvrir et de redécouvrir cette somme de musique aussi riche que les dizaines de Cantates de Bach ou Lieder de Schubert. Tout comme pour les Symphonies de Beethoven, Brahms, Schumann, Bruckner ou encore Mahler, chaque génération d'interprète y trouve ce qu'elle y cherche : expression (pré)romantique ou source d’étude d’une esthétique sur instruments d’époque. Les deux options ont leur charme. L’exploration n’en est que plus passionnante…  

Nicolas Derny

Crédits photographiques : DR

Dossier Haydn (I) : de la naissance à Londres

Dossier Haydn (II) : le temps des triomphes

 

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